• « Idolâtré, identifié aux Dieux de l'Olympe, rival heureux des héros de la légende ou de l'histoire, il est si différent, si au-dessus de la masse de ses sujets que face à lui les lois communes n'ont plus cours. »

    Les Reines de France au Temps des Bourbons, tome 2, Les Femmes du Roi-Soleil ; Simone Bertière

     

    Publié en 2010

    Editions Le Livre de Poche 

    608 pages

     

    Résumé :

    Prolongement de la passionnante fresque des Reines de France, couronnée par le prix d'Histoire Chateaubriand-La-Vallée-aux-Loups, ce volume, qui peut être lu de façon autonome, fait revivre le plus long règne de notre histoire. Des deux femmes de Louis XIV, l'une, l'insignifiante Marie-Thérèse d'Espagne, a le titre de reine, mais pas la vocation. Françoise de Maintenon, son épouse secrète, a les capacités, mais sa naissance obscure lui interdit de prétendre au titre. Entre elles, la galerie des maîtresses, tour à tour comblées de faveurs et sacrifiées, illuminées et brûlées par la personnalité écrasante du Roi-Soleil : Marie Mancini, l'amour perdu de ses vingt ans ; la tendre Louise de la Vallière, dont la disgrâce sera un chemin de croix ; l'éclatante Montespan, éclaboussée par la sinistre affaire des Poisons, et bien d'autres encore. En arrière-plan, la Cour de Versailles...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Si les deux règnes précédents ont généré deux fortes personnalités féminines -Marie de Médicis puis sa belle-fille, Anne d'Autriche-, il n'en est pas de même sous le règne de Louis XIV. La timide et effacée Marie-Thérèse n'aura aucun rôle politique, aucun rôle diplomatique non plus et s'éteindra jeune, à même pas cinquante ans, alors que le règne de son époux a encore de beaux jours devant lui...il aurait donc été délicat de ne proposer qu'une biographie de Marie-Thérèse car il n'y a finalement pas beaucoup à dire sur elle. Enfermée dans le carcan traditionnel d'une reine, elle ne sera pas même une représentante efficace de la couronne qu'elle avait ceinte à son mariage. Et, de sa mort en 1683 jusqu'au mariage du jeune Louis XV en 1725, il n'y aura plus de reine en France. D'autres femmes la remplaceront, non pas en dignité, mais dans les faits, auprès du roi, qui tend à devenir la figure omnisciente de la monarchie française. Simone Bertière a donc opté pour un livre plus général que les précédents qui tournaient essentiellement autour des figures royales. Mais le XVIème siècle avait Anne de Bretagne ; il eut aussi Catherine de Médicis. Le premier XVIIème siècle eut Marie de Médicis, controversée mais qui sut tout de même s’accommoder de la régence qu'elle se vit confiée à la mort brutale d'Henri IV en 1610 et surtout, il eut Anne d'Autriche, la propre mère de Louis XIV, qui protégea férocement le patrimoine de son fils et fera traverser à la France sans trop d'encombres la période agitée de la Fronde. Après elles, malheureusement, la pauvre Marie-Thérèse fait pâle figure. C'est pour cette raison que, dans ce livre, hormis la reine et sa tante, l'incontournable Anne d'Autriche, mère aimante et écoutée, nous allons faire la connaissance de tout un essaim féminin gravitant et cela jusque dans ses dernières années, autour du Roi-Soleil. Louis XIV ne fut certainement pas un amateur ni même un promoteur de la femme, comme avaient pu l'être avant lui Henri IV ou François Ier...Henri IV avait eu beau être un bon administrateur et un grand roi, il n'en resta pas moins soumis à ses sens et à ses maîtresses, qu'il adulait et qui n'hésitaient pas à le manipuler au besoin tant le jugement du roi pouvait s'avérer aveugle quand il était amoureux. On n'imagine pas non plus Louis XIV prononcer de belles phrases comme son lointain prédécesseur le roi François, à la gloire des femmes ( « Une cour sans dames serait comme un jardin sans fleurs ») ni même écrire des lettres pleines de bons sentiments et de formules amoureuses comme son grand-père Henri IV. Il ne s'exposera pas au ridicule qui fut celui, parfois, du Vert-Galant quand il était amoureux et se moquait donc de tout ! Mais Louis XIV aima assurément les femmes...il en avait besoin. Homme sensuel, il a besoin d'une femme dans son lit et, quand il s'avère que la reine déçoit dans ce domaine, il prendra des maîtresses. Mais on se rend vite compte aussi que, malgré sa misogynie assez instinctive et typique de l'époque, le cercle du roi, jeune ou vieux, sera peuplé de beaucoup de femmes dont l'Histoire a perpétué le souvenir, soit parce qu'elles étaient de caractère, soit parce qu'elles étaient scandaleuses, soit parce qu'elles étaient amoureuses.

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     Louis XIV et sa famille travestis en Dieux de l'Olympe par Jean Nocret (1670) : y sont notamment représentées, au centre Anne d'Autriche, à droite Marie-Thérèse, au fond les cousines du roi, sous les traits des Trois Grâces et, à gauche, Henriette d'Angleterre. 


    La première, bien sûr, c'est la mère. Anne d'Autriche, l'Espagnole, poursuivie dans sa jeunesse par la méfiance de Louis XIII et de son ministre Richelieu, coupable de faux pas qui flirtaient avec la trahison, ne fut véritablement française qu'à la naissance de son premier fils en 1638 puis lorsqu'elle doit, pour lui, assurer la régence. Elle sera une figure tutélaire, tant pour Louis que pour son jeune frère Philippe, une mère moderne -dans le sens actuel du terme-, qui n'hésita pas à prendre en charge complètement l'éducation de ses enfants et les réprimandant au besoin, même le jeune roi. Louis XIV l'aima d'un amour filial fort et passionné et il pleura beaucoup cette mère qui s'éteignit après une longue lutte contre un cancer du sein, en 1666. Et peut-être parce que le jeune homme qui allait épouser sa cousine, en 1660, s'attendait à trouver chez cette jeune infante espagnole une copie de sa mère, la déception n'en fut que plus forte quand Marie-Thérèse, bien que fille de roi et élevée dans le but de faire une reine de France, s'avéra finalement incapable de relever avec brio la mission qu'on lui assignait.
    Sur le plan amoureux, enfin, les femmes ne vont cesser de virevolter, de la prime adolescence du roi jusqu'à son âge mûr, où il s'assagira réellement. Il y'eut celles qu'il aima, celles qui ne furent que des passades, des relations purement charnelles pour satisfaire un besoin, une envie. Parmi les favorites qui peuvent se targuer d'avoir été aimées, il y'eut d'abord Louise de la Vallière, jeune femme timide et effacée, bien loin de l'idée que l'on se fait d'une favorite. Elle n'avait rien d'une Agnès Sorel, rien non plus d'une Gabrielle d'Estrées ou d'une Henriette d'Entragues. Jolie à sa façon, un peu boiteuse, elle avait surtout pour elle d'aimer le roi d'un amour sincère et désintéressé, qui plut au jeune Louis XIV, qui, tout roi qu'il était, n'avait pas d'amis mais que des serviteurs. Il y'eut aussi, bien sûr, la passion de jeunesse, violente et achevée cruellement au moment du mariage espagnol, avec la nièce de Mazarin, la jeune et très italienne Marie Mancini. Et il y'eut enfin la flamboyante Montespan, qui fut, comme certain auteurs aiment à le dire métaphoriquement, l'été épanoui du Roi-Soleil. Elle lui donna plusieurs enfants qui firent souche et dont le sang déjà mêlé fusionna ensuite, par des unions, avec le sang très bleu des cousins royaux. Ces enfants, qui n'avaient pu, dans leur prime jeunesse, être reconnus, avaient été élevés loin de la Cour par une femme réputée pour son peu d'importance, cette veuve Scarron dont les origines n'étaient pas claires et le premier mariage moins encore. Cette femme, c'est Madame de Maintenon et elle connut certainement le destin et l'ascension les plus flamboyants de cette fin de siècle en devenant le dernier amour et l'épouse morganatique du roi. Compagne de la maturité et du grand âge, elle survivra au roi et sera donc la dernière à l'accompagner dans ses derniers moments.

     Le Renoncement de Louise de La Vallière, par Jean Nocret (XVIIème siècle)

    Et, dans un cercle plus élargi, il nous faut tourner les yeux vers ces femmes qui furent plus ou moins proches du roi, mais sans pour autant partager sa couche, parce qu'elles étaient, au choix, filles, belle-soeurs, belle-filles ou petite-filles du grand roi. On peut penser, bien évidemment, à la vive Henriette d'Angleterre, propre belle-sœur de Louis XIV, avec laquelle il flirta un peu avant de tomber sous le charme de Louise de la Vallière. Cette jeune femme, qui avait fui son pays toute jeune et n'avait pas connu son père, le roi Charles Ier, décapité par son peuple en 1649, brûla la vie par les deux bouts avant de s'éteindre, foudroyée brutalement à vingt-six ans. Elle fut remplacée par Elisabeth-Charlotte, une Allemande au fort caractère, connue sous le nom de « Madame Palatine », qui sut s'attirer un temps l'amitié du roi puis son agacement. Louis XIV se montra aussi très proche de ses filles, nées de ses liaisons avec mademoiselle de La Vallière et madame de Montespan. Il aima beaucoup Marie-Anne, très belle, l'unique fille de Louise. Il fit surtout office d'arbitre entre les très colériques et orgueilleuses filles de la Montespan. Il essaya avec beaucoup de bonne volonté de faire une place à Marie-Anne Victoire, sa belle-fille venue de Bavière et il aima d'un amour d'un grand-père la petite Marie-Adélaïde de Savoie, la jeune épouse de son petit-fils le duc de Bourgogne, qu'il pleura lorsqu'elle mourut brutalement en 1712. Et au-dessus de toutes ces figures qui tournoient dans un monde si rapide qu'il broie les plus fragiles où celles qui ont le malheur de faire un faux pas, c'est assurément plus l'ombre brune de Madame de Maintenon qui plane que celle, plus éthérée, de la blonde Marie-Thérèse, vite morte et vite oubliée. Et pourtant, comme pour d'autres, son malheur aura été d'aimer follement cet époux qu'on lui donnait après qu'elle en ait rêvé depuis sa plus tendre enfance et la chute ne sera certainement que plus cruelle et plus affreuse pour la pauvre reine quand, toute sotte qu'elle fut, elle se rendra compte que l'amour chevaleresque de son cousin au moment de leur union n'avait été qu'une comédie qu'on lui avait fait habilement jouer...

    File:Marie-Thérèse d'Autriche, reine de France.jpg

     Marie-Thérèse d'Autriche, reine de France, par Charles et Henri Beaubrun (XVIIème siècle)


    Elles furent donc nombreuses, ces femmes et elles firent, à leur manière, à leur échelle et selon leur moyen, le règne du Roi-Soleil. Il aurait été en effet difficile d'analyser l'aspect féminin de ce dernier sous le seul prisme de l'image de la reine, qui ne peut soutenir la comparaison avec celles qui l'ont précédée. Marie-Thérèse n'a pas régné, ne s'est pas montrée digne des grandes vues dont elle devenait la bénéficiaire mais aussi la gardienne, en se mariant. Figure trop pâle, elle ne peut, à elle seule, soutenir le propos de l'auteure et c'est donc pour cette raison que Simone Bertière a inséré dans son livre d'autres femmes, incontournables et que l'on ne peut raisonnablement pas exclure au risque de livrer une vision fausse du règne de Louis XIV. Que serait-il, en effet, sans Madame de Maintenon, qui fut le soutien des vieux jours et la compagne de l'âge mûr, celle qui réussit la prouesse d'assagir un roi sensuel et passionné. Et le livre n'en est donc que plus intéressant, d'autant plus que beaucoup de ces femmes furent appelées, à un moment ou à un autre, à jouer le rôle vacant de la reine. Et même si celui-ci tendait à s'amoindrir, il restait le second, après celui du roi et Louis XIV en gratifia donc certaines ; par là-même il les gratifiait de sa confiance et d'une véritable faveur. Au début de son mariage, la jolie Henriette remplaça parfois une Marie-Thérèse déficiente et quand celle-ci eut finalement rejoint le tombeau, Louis XIV propulsa sur le devant de la scène des jeunes femmes comme la Dauphine ou la duchesse de Bourgogne qui s'en tirèrent avec plus ou moins de brio.
    Bel essai sur un règne long et compliqué mais qui a le mérite d'être suffisamment bien documenté, tant en sources historiques qu'en travaux plus contemporains et peut donc être analysé de façon suffisamment critique pour être pertinente, ce livre est intéressant et facile à lire. On déplorera seulement quelques passages parfois un peu confus, mais Les Femmes du Roi-Soleil n'en reste pas moins une bonne introduction pour ceux qui veulent se renseigner sur Louis XIV ou, tout simplement, pour les amateurs du Grand-Siècle.

    En Bref :

    Les + : un livre passionnant, bien écrit et bien documenté.
    Les - : quelques passages un peu confus.

     


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  • « A quoi nous servirait de nous être aimées en ce monde si nous devions être séparées toute une éternité ? »

    « Je meurs d'amour pour toi... » Lettres à l'archiduchesse Marie-Christine, 1760-1763 ; Isabelle de Bourbon-Parme

    Publié en 2010

    Editions Le Livre de Poche (collection La Lettre et à la Plume)

    256 pages

    Résumé :

    Isabelle de Bourbon-Parme, petite-fille de Louis XV, épousa en 1760 le futur empereur Joseph II. Cette jeune femme d'une intelligence exceptionnelle séduisit la cour de Vienne et tomba éperdument amoureuse de...sa belle-sœur, l'archiduchesse Marie-Christine.
    Ses lettres et billets, découverts par Elisabeth Badinter -qui les présente ici dans une passionnante introduction-, révèlent une personnalité hors du commun, douée d'un véritable talent d'écriture. Et l'on suit jour après jour les tourments de la passion de cette princesse pleine d'esprit qui mourra à vingt-deux ans. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Née le 31 décembre 1741 à Madrid, Isabelle est la fille de don Philippe, fils du roi d'Espagne Philippe V et d'Elisabeth de France, fille aînée de Louis XV -pour la petite anecdote, elle est le premier petit-enfant du roi de France qui devient ainsi grand-père à l'âge surréaliste de...trente-et-un ans ! !
    Espagnole par la naissance, doublement française par le sang -elle est Bourbon par son père comme par sa mère et descend deux fois de Louis XIV-, italienne et allemande par la culture, Isabelle de Bourbon-Parme est une princesse surprenante à bien des égards. Cosmopolite, polyglotte, européenne avant la lettre, elle est mariée à dix-neuf ans au futur empereur Joseph II, qui, contre toute attente, va tomber follement amoureux de sa jeune épouse, qui lui donnera une fille. Elle-même, prônant un féminisme presque violent, ne sera jamais amoureuse de son époux mais le fut sans aucun doute -ou du moins eut-elle une très forte amitié pour elle-, de Marie-Christine, sa belle-sœur.
    Sa correspondance qui, jusqu'ici n'avait été que peu exploitée voire censurée, pour la liberté de ton adoptée dans certaines lettres, est donc ici redécouverte et très bien présentée par Elisabeth Badinter, dans une excellente préface. Très endommagée par le naufrage du bateau qui la transportait et qui quitta les Pays-Bas en 1792, lors du soulèvement contre Marie-Christine et son époux Albert de Saxe-Teschen, gouverneurs de la province au nom de l'Autriche, la correspondance d'Isabelle de Bourbon-Parme est très incomplète, souvent non datée et archivée de façon tout à fait fantaisiste, ce qui conduit donc à un véritable casse-tête lorsqu'il s'agit de la publier. Les tâches et l'encre fanée ainsi que l'aisance d'Isabelle dans plusieurs langues qui la font ainsi passer de l'une à l'autre dans un même billet ou utiliser des tournures d'une langue dans une autre, n'ont pas non plus aidé au travail des personnes ayant travaillé à l'élaboration de cette édition moderne. Rafraîchie, ponctuée -ce qui n'était pas forcément évident au XVIIIème siècle-, et corrigée -l'orthographe de l'époque était en effet souvent assez fantaisiste voire phonétique malgré l'évident talent d'écriture de la jeune femme-, la collection La Lettre et la Plume nous livre donc ici un document rare et qui nous permet, sans voyeurisme aucun, d'entrer dans l'intimité d'une princesse qui mériterait d'être mieux connue. Très intelligente, dotée d'un sens critique acéré et de convictions tout aussi assurées, Isabelle eut un destin tragique mais elle aurait assurément, si elle avait vécu, été un digne successeur de Marie-Thérèse et une représentante irréprochable de l'Empire. Mais cette princesse que l'on pourrait presque penser maudite, mourut à vingt-deux ans. Elle laissa une famille adoptive inconsolable et un veuf éploré qui reporta toute son attention et son amour sur l'unique enfant que l'unique femme qu'il eût jamais aimé, lui donna. Cette mélancolie morbide qui transparaît sans arrêt sous la gaieté et l'humour apparents des lettres d'Isabelle sont peut-être un héritage de son grand-père maternel, Louis XV, connu pour avoir été un grand dépressif devant l’Éternel.

    L'Archiduchesse Marie-Christine (1742-1798), peinte en 1765, peintre anonyme


    Pour le reste, ses lettres sont relativement redondantes, des déclarations toujours très enflammées envers sa belle-sœur Marie-Christine à qui, on le sent, Isabelle s'était très attachée. De celle-ci, nous ne savons que peu de choses, du moins pour ce qui est de sa psychologie, il est donc difficile de savoir si les deux jeunes femmes, qui n'avaient que cinq mois de différence, se sont retrouvées dans une analogie de caractères et de pensées. Mais on sait que Marie-Thérèse s'attacha très vite à sa petite belle-fille, comme elle l'était aussi de sa fille Marie-Christine, dont elle était proche. La preuve s'il en est, elle fut la seule archiduchesse à pouvoir se marier selon son corps tandis que toutes ses autres sœurs -à commencer par la petite Marie-Antoinette-, n'étaient, malgré l'affection de leur mère, considérées que comme des pions politiques et des moyens d'arracher des alliances aux puissances voisines. Y'avait-il donc chez les deux jeunes femmes une certaine ressemblance qui les a réunies dans l'affection et l'estime de l'Impératrice et, tout naturellement, à fait d'elles des amies ? Car malgré la présentation, qui fait d'Isabelle une femme amoureuse d'une autre femme, je pense qu'il faut plutôt voir dans cette relation entre Isabelle et sa belle-sœur une grande amitié, peut-être mâtinée d'humour et de joutes sexuelles épistolaires -certaines lettres d'Isabelle sont en effet assez lestes- et l'absence des réponses de Marie-Christine, méconnues à ce jour et certainement perdues, ne permet malheureusement pas de mettre les lettres et les billets d'Isabelle en exergue et de les analyser ainsi à travers un prisme différent. Alors Isabelle et Marie-Christine ont-elles réellement entretenu une relation saphique, ont-elle passé le pas de la simple correspondance ? On sait que Marie-Christine fut amoureuse deux fois au cours de sa vie et deux fois d'hommes. Le premier, dont elle fut très éprise, Louis de Wurtemberg, fut éconduit par ses parents mais elle parvint à arracher à l'Impératrice la promesse de pouvoir choisir son mari et ce fut donc certainement par affection, par inclination, que Marie-Christine choisit finalement, en 1766, d'épouser Albert de Saxe-Teschen. Il est donc difficile de voir en Marie-Christine une femme attirée par une de ses semblables. Pour ce qui est d'Isabelle, par contre, le doute peut effectivement subsister. Victime d'un mariage arrangé, comme beaucoup de princesses du temps, elle n'a pas de mots assez durs pour dénoncer ce sacrifice et surtout, après sa mort, dans ses papiers, furent découverts de violentes diatribes comme les hommes, papiers dont l'Impératrice prit connaissance mais qu'elle refusa toujours de montrer à Joseph II tant ils recelaient de violence contre les hommes. Alors la princesse Isabelle, une lesbienne ? Pourquoi pas. Même si le mot n'existait pas encore et que l'on avait du mal à l'époque à imaginer deux femmes se livrant ensemble à la sexualité, le saphisme n'était pas nouveau pour autant et l'on en accusera plus tard Marie-Antoinette dans des pamphlets ce qui prouve que, même si l'on croyait la chose inconcevable, on n'y pensait pas moins pour autant. Le doute perdurera sans doute toujours mais, malgré cela, ce sont de belles lettres qui nous est donné de lire, de belles preuves d'amitié, de gaieté et d'un certain optimisme, malgré l'ombre omniprésente de la mort qui plane au-dessus d'Isabelle...Cette correspondance apporte encore une autre facette à un siècle qui n'en est donc que plus riche.

    Isabelle de Bourbon-Parme par Jean-Marc Nattier

    En Bref :

    Les + : une correspondance presque inédite et intéressante, marquée par le réel talent d'écriture d'Isabelle.
    Les - :
    des lacunes qui rendent parfois la lecture laborieuse ; des redondances.


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  • « [...] Ayez en pitié mon peuple et mon royaume et ne permettez pas qu'il tombe jamais dans l'erreur, comme des états nos voisins, qui étoient jadis si catholiques, apostoliques et romains, et peut-être plus que nous. » Testament de Louis XV, le 6 janvier 1766

    Les Rois qui ont fait la France : Louis XV, grand-père de Louis XVI ; Georges Bordonove

    Publié en 2007

    Editions Pygmalion (collection Les Rois qui ont fait la France)

    315 pages

    Résumé :

    Pendant presque mille quatre cents ans, des rois se sont succédé de manière quasiment ininterrompue sur le trône de France. Ils étaient issus de trois célèbres dynasties, les Mérovingiens, les Carolingiens et les Capétiens. A travers l'épopée tumultueuse de leurs vies et de leurs règnes, où se révèlent des personnalités diverses et parfois controversées, renaissent avec un grand éclat les heures les plus prestigieuses et les plus exaltantes de notre Histoire.

    Monté sur le trône à cinq ans et demi, Louis XV fut-il seulement l'amant prodigue de mesdames de Pompadour et du Barry ? Un prince volage et futile dont la beauté continue de nous fasciner et qui s'attira l'amour puis la haine de son peuple ? Non, malgré les apparences, jamais roi, à l'exception de Henri IV, ne se montra aussi conscient des problèmes de son pays et attentif à construire l'avenir. Nombre de ses réformes furent reprises par les révolutionnaires et Napoléon Ier. Sous son long règne, la Corse et la Lorraine devinrent françaises et l'économie nationale prit son envol. Louis XV fut un esprit secret, éclairé et sensible, soucieux d'épargner le sang des hommes. Cette biographie nous le fait redécouvrir.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Si l'on devait juger de la destinée d'un homme selon ses premières années, assurément Louis XV ferait partie de ceux qui ne sont pas nés sous une bonne étoile. Et pourtant...quand il voit le jour, au matin du 15 février 1710, la France est florissante, du moins pour ce qui est de sa succession. Si le royaume est affaibli, exsangue, à cause de la terrible Guerre de Succession d'Espagne, qui appesantit les dernières années du règne de Louis XIV, peu de royaumes européens peuvent cependant se targuer d'avoir une dynastie aussi foisonnante que celle du Roi-Soleil qui, à soixante-douze ans, a la chance de connaître trois générations de ses successeurs, sans compter, bien sûr, la descendance de ses bâtards légitimés, qui accroissent encore un peu plus la famille.
    De son mariage avec Marie-Thérèse d'Autriche, un seul fils, Louis, né en 1661, survécut. Il est connu sous le nom de Grand-Dauphin. Marié en 1680 à la princesse Marie Anne Christine de Bavière, il aura d'elle trois fils : Louis, duc de Bourgogne, Philippe, duc d'Anjou et qui ceindra la couronne d'Espagne en 1701 et Charles, duc de Berry. L'aîné, Louis, appelé à succéder à ses père et grand-père, est marié tout jeune à une jolie et vive petite princesse savoyarde, Marie-Adélaïde, qui fera les délices de la cour du Roi-Soleil vieillissant et du couple que ce dernier formait avec Madame de Maintenon. Louis de Bourgogne et Marie-Adélaïde sont les parents de Louis, duc de Bretagne, né en 1707 et d'un autre petit Louis, titré cette fois duc d'Anjou, et qui voit donc le jour en février 1710. L'enfant n'était, à sa naissance, pas destiné à accéder un jour au pouvoir suprême, ayant un frère aîné qui deviendrait, en toute logique, le Dauphin de France. Tout au plus était-il destiné, comme avant lui Philippe ou Gaston d'Orléans, à être un grand seigneur, à devenir Monsieur, frère du roi, ambassadeur et promoteur de la couronne royale. Ni plus, ni moins.

    Portrait de Louis XV par Maurice Quentin de la Tour (1748)


    Mais le destin va en décider autrement. Le petit duc d'Anjou a un an et quelques mois quand son grand-père, le Grand Dauphin, est emporté par la variole à l'âge de cinquante ans. Ses parents sont donc propulsés sur le devant de la scène, devenant Dauphin et Dauphine de France. Mais en février 1712, à quelques jours de différence, Marie-Adélaïde et Louis succombent à une scarlatine infectieuse. Stupeur à la Cour, qui accuse le duc d'Orléans, neveu de Louis XIV, d'avoir empoisonné ses descendants. Douleur du vieux roi qui perd deux enfants auxquels il était extrêmement attaché. Le petit Bretagne aura à peine le temps de jouir de sa nouvelle position puisqu'il décède lui aussi, de la même maladie que ses parents, début mars 1712.
    Ne reste de cette famille royale si belle encore un an auparavant, qu'un vieillard foudroyé par les deuils et un petit enfant de deux ans, malade lui aussi et que sa gouvernante, Madame de Ventadour et ses femmes, sauveront certainement d'une mort certaine en le soustrayant aux soins des médecins qui, à l'époque, tuaient plus sûrement qu'ils ne guérissaient. A deux ans à peine, le petit Anjou, devenu par la force des choses Dauphin de France, est orphelin. La famille royale de France n'est plus représentée que par ce petit enfant à la santé fragile et par Charles de Berry, son oncle. En Espagne survit également un petit-fils de Louis XIV, sous le nom de Philippe V. Mais, toujours est-il que, la succession française qui reposait quelques mois encore sur plusieurs générations d'hommes adultes et préparés au pouvoir n'est plus soutenue aujourd'hui que par un enfant, un bébé devrait-on dire.
    Louis XV sera assurément conditionné par son enfance malheureuse. Il ne manqua pas d'amour, puisque Madame de Ventadour, sa gouvernante, fut comme une mère pour lui, mais il manqua des conseils paternels, de l'affection de sa vraie mère et de la douceur de vivre d'une vraie famille. Isolé dans une cour vieillissante, au milieu de personnes, non dénuées d'affection mais qui avaient l'âge d'être ses arrière-grands-parents, Louis XV fut un enfant puis un homme renfermé, secret, timide, que l'on méjugea mais qui ne fut pas pour autant dénué d'intelligence ni de perspicacité. Et, s'il ne fut certainement pas un aussi bon administrateur que son bisaïeul dans le sang duquel on serait tenté de croire que coulait le pouvoir à l'état pur, Louis XV ne fut pas pour autant un roi médiocre. Certes, on peut être tenté, avec le recul que l'on a aujourd'hui, de penser que le règne de Louis XV a cimenté la Révolution et lui a servi de terreau fertile, on ne peut pour autant lui en imputer la faute complète. En effet, le vent révolutionnaire soufflait, plus ou moins fort, sur la royaume de France depuis les troubles de la Fronde, c'est-à-dire, bien avant que ce petit garçon de cinq ans et demi n'accède au pouvoir. Et on ne peut lui enlever d'avoir essayé, comme il a pu, de redresser les finances et l'économie du royaume, en s'entourant de personnages capables, comme le cardinal de Fleury, son mentor de jeunesse, ou l'abbé Terray, haï du peuple mais qui fut certainement un surintendant des finances tout à fait compétent. Sous le règne de Louis XV s'ébauche déjà l'Etat moderne. La preuve, des idées à peine ébauchées à l'époque et qui seront reprises ensuite dans les Codes de Napoléon Ier au début du siècle suivant.
    Louis XV commit peut-être l'erreur de ne pas considérer à sa juste valeur la montée des Lumières, porteurs de progrès et de modernisme. Il commit peut-être l'erreur de s'arc-bouter, contre eux, sur le principe de droit divin de sa monarchie, mais il n'en fut pas pour autant un tyran et se montra sincèrement peiné de l'incompréhension du peuple à son égard. De Bien-Aimé, il devint le Bien-Haï et en souffrit. Il faut bien reconnaître au peuple de France que l'époque n'était pas simple : le royaume était affaibli par des guerres successives, par des impôts de plus en plus lourds à supporter et il fut achevé par la perte des comptoirs indiens et de la Nouvelle-France (le Canada), que l'annexion de la Lorraine et de la Corse ne parvint pas à racheter. Il est néanmoins regrettable que la légende noire de Louis XV prime encore aujourd'hui sur les aspects positifs de son règne qui sont finalement, quand on prend le temps de s'y pencher, relativement nombreux. Il ne fut pas qu'un homme prisonnier de ses sens, amant passionné de Mesdames de Pompadour et du Barry et des petites demoiselles du Parc-aux-Cerfs, il ne fut pas cruel au point d'assassiner d'un coup de fusil, comme on l'a dit, une biche apprivoisée ni même de se baigner dans le sang de jeunes enfants du peuple assassinés sauvagement dans quelque coin sombre. Mais peut-être cette légende noire participe-t-elle aussi au discrédit progressif d'une monarchie qui sera abolie quelques années plus tard et à la légitimation, en quelque sorte, de cette Révolution qui avait besoin, pour durer, de se poser en antagoniste convaincue d'un régime pernicieux et malsain. Et notre pays actuel étant fondé sur son passé révolutionnaire bien plus que sur son passé royal -quoique celui-ci soit remis au goût du jour depuis quelques temps-, il est vrai que les idées reçues concernant Louis XV sont malheureusement nombreuses.

    Portrait de Louis XV en costume de sacre par Hyacinthe Rigaud (1730)


    La biographie de Georges Bordonove est un peu ancienne aujourd'hui. Datée du début des années 1980, elle n'est pas dépassée mais commence cependant à dater un peu et on voit d'ailleurs que la méthode de l'auteur diffère quelque peu de l'actuelle. Alors qu'on serait amené, de nos jours, à nuancer la légende noire de la Régence en accordant à Philippe d'Orléans et à son héritage des actions positives, on se rend compte que l'on condamnait encore assez généralement cette période-là il y'a trente-cinq ans. Georges Bordonove nous livre en effet un portrait sans concession du Régent mais se montre bien plus indulgent quand il s'agit de dresser un bilan des cinquante-neuf ans de règne de Louis XV. Sans minorer les erreurs qu'il put commettre au cours de son long règne -et d'ailleurs qui peut s'affirmer bien malin pour n'en avoir jamais commis ?-, l'auteur rend en quelque sorte à César ce qui lui appartient, en dressant un portrait plutôt positif d'un règne jugé de façon souvent bien trop sévère. Bien que timide et donc, par là même silencieux, Louis XV était un homme intelligent, averti et qui sut certainement bien mieux juger de la situation que bien de ses contemporains, à commencer par Choiseul, ministre imbu de sa personne et donc peu enclin à la remise en question. Louis XV fut un roi en demi-teinte mais qui ne mérite assurément pas d'être traité de mauvais monarque car il fut en effet loin de l'être.
    Seul regret quant à ce livre : qu'il se concentre essentiellement sur la géopolitique et l'évolution de la diplomatie et des affaires étrangères au XVIIIème siècle. Il aurait pu être intéressant de consacrer un peu plus de temps à un portrait du roi intime, au milieu de sa famille et de ses amis. Une autre façon, en effet, de voir les personnages publics mais qui n'est malheureusement pas souvent mise en avant.

    En Bref :

    Les + : un livre qui permet de redécouvrir un personnage à la légende noire tenace.
    Les - :
    des passages géopolitiques un peu flous, une biographie un peu trop orientée sur la géopolitique...


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  • « Les humiliations longuement subies finissent parfois par se retourner contre ceux qui les infligent. »

    Marie-Antoinette ; Antonia Fraser

    Publié 2002 en Angleterre ; en 2007 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Marie-Antoinette , the Voyage

    Editions J'ai Lu

    723 pages 

    Résumé : 

    Tour à tour reine de la mode, l'Autrichienne, Madame Déficit, Madame Veto, icône martyre ou Messaline royale, Marie-Antoinette est une des rares femmes de l'histoire de France à avoir cristallisé autant de passions haineuses, envieuses ou amoureuses. 

    Avec son objectivité et sa précision d'historienne, Antonia Fraser retrace le voyage initiatique de la reine : son enfance, son idylle avec le comte Axel Fersen et, enfin, ses efforts héroïques pour sauver sa famille, et la monarchie, de la tempête...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Quand elle naît, en 1755, la plus célèbre -et la plus vilipendée- des reines de France n'est pourtant pas destinée à le devenir. La petite Maria Antonia Josepha Johanna, fille de Marie-Thérèse et de François de Lorraine, empereur du Saint-Empire, n'est en effet pas le premier enfant du couple : elle arrive en bonne quinzième et avant-dernière position et n'est donc pas, de toutes les sœurs, celle qui est destinée à faire un grand mariage. Les hasards, les deuils, feront de la petite Antonia, affectueusement surnommée Antoine par les siens, la candidate à un mariage français, destiné à consolider la toute nouvelle alliance entre la Maison d'Autriche et celle des Bourbons -on parle en effet à l'époque de renversement des alliances tant celle-ci n'allait pas de soi. La jeune archiduchesse est ainsi promise à un prince à peine plus vieux qu'elle, Louis, duc de Berry, propulsé à la place enviée mais ô combien inconfortable quand on y est mal préparé, de Dauphin, à la mort de son aîné, le duc de Bourgogne.
    Ce jeune couple, qui se marie en 1770, sous le patronage débauché mais non moins affectueux du grand-père du marié, Louis XV, devient roi et reine à peine quatre ans plus tard. Ils personnifient, comme leur aïeul, les derniers feux de cette monarchie pluriséculaire, qui va s'éteindre à peine vingt ans plus tard sous les coups d'une Révolution violente et qui aura des conséquences à l'échelle européenne et influera désormais sur l'Histoire et les institutions du pays.
    De nos jours encore, deux-cent-vingt-deux ans après sa mort, Marie-Antoinette ne cesse pas de faire parler d'elle. Elle cristallisa l'amour populaire puis la haine de son vivant et, si aujourd'hui, elle a encore des détracteurs véhéments, elle n'en a pas moins -et beaucoup- des admirateurs passionnés. Il est difficile d'être objectif quand on traite du personnage de Marie-Antoinette, car sa fin tragique et les dernières années de sa vie suscitent nécessairement, pour nous, Français du XXIème siècle, des sentiments de compassion et de commisération qui n'avaient pas forcément leur place dans le contexte difficile de l'époque.

    Marie-Antoinette âgée d'environ quatorze ans, peu avant son mariage (portrait de Joseph Ducreux, 1769)


    Le travail des historiens est donc, de fait, plus difficile à réaliser, c'est certain. En effet, en tant que scientifique, l'historien est tenu de faire preuve d'une objectivité parfaite, ce qui peut s'avérer très difficile avec des personnages qui concentrent sur eux tant de sentiments, contradictoires et exacerbés. Marie-Antoinette n'est pas, comme certains autres, un personnage historique figé dans son temps, dans son contexte, dans son époque, bien au contraire : elle est aussi contemporaine que du XVIIIème siècle et les femmes d'aujourd'hui peuvent autant se retrouver en elle et s'identifier que celle de l'époque qui ont pu fréquenter la reine. Il est donc, bien sûr, en ce cas, difficile, de réaliser un travail dénué de tout sentiments, mais je dois dire qu'Antonia Fraser s'en tire plutôt bien. Historienne réputée, qui a beaucoup travaillé sur l'Histoire de France, elle nous livre en plus un œil neuf, en tant qu'anglo-saxonne. Il est toujours intéressant de lire des travaux de chercheurs étrangers sur des questions d'histoire finalement très nationale. Parfois, il peuvent avoir un oeil neuf et un point de vue tout à fait innovant et donc, par là même, intéressant.
    S'il est en effet difficile de décrire les dernières années et les derniers moments de cette reine, qui souffrit autant qu'elle fut frivole, si ce n'est plus, sans susciter de la pitié et en ressentir très certainement quelque peu, je dois dire que la biographie d'Antonia Fraser est plutôt réussie. Ce n'est bien sûr pas la première biographie de cette reine que je lis, compte tenu de ma passion immodérée pour l'époque et le personnage, mais j'ai quand même passé un très bon moment. Émaillée de témoignages d'Anglais ou d'Américains de passage à Paris et à la Cour, cette biographie a un petit caractère international plutôt sympathique et qui colle du coup très bien à l'image contemporaine de Marie-Antoinette, récupérée par le cinéma, la publicité et toutes sortes de produits dérivés.
    L'auteure a su aussi très bien capter cette atmosphère délétère qui va caractériser rapidement le règne de Louis XVI et Marie-Antoinette, d'autant plus forte que la déception sera à la hauteur des attentes premières. Tandis que la reine s'étourdit de plaisirs et de folies, pour compenser le malheur et la frustration de sa vie de couple, le roi, lui, voit sombrer lentement le navire qui lui avait été confié par ses ancêtres. Car, bien qu'il n'en soit pas directement le responsable, Louis XVI est celui qui personnifie la chute d'un régime millénaire. Et Marie-Antoinette est celle qui, depuis la fin du XVIIIème siècle, est le symbole encore plus flagrant de cette chute. Taxée de bêtise, de méchanceté et de mépris, Marie-Antoinette est sans nul doute la figure royale fra nçaise que l'on détesta autant et que l'on aima d'ailleurs détester. L'auteure s'emploie donc à redorer son blason, sans tomber pour autant dans l'hagiographie : si Marie-Antoinette fut parfois insultée gratuitement et taxée de vices et de travers qu'elle n'avait pas, force est de reconnaître que, par certains de ses comportements, elle s'attira elle-même ces critiques, certes extrêmes mais signe d'un ras-le-bol général que les souverains, aveuglés et figés dans un univers clos et ancestral, ne virent pas arriver et qui, pourtant les balaya.

    Kristen Dunst dans le film de Sofia Coppola (2006)


    Dans la biographie d'Antonia Fraser, le côté maternel de Marie-Antoinette, parfois mis de côté dans certaines autres, pour se concentrer plutôt sur le personnage que joua la reine en dehors de son particulier, est au contraire plutôt poussé en avant. La reine participa en effet, avec beaucoup d'autres de ses contemporaines, à l'image moderne que l'on se fait de l'enfant : elle fut l'une des premières souveraines de France à prendre réellement soin de ses enfants, à veiller à leur éducation et à leur bon développement, les pleurant sincèrement quand ils venaient à mourir -elle perdra sa petite Sophie en 1787 et le petit Dauphin Louis-Joseph, atteint de tuberculose, au début du fatal été 1789- et ne prenant en considération, quand elle n'avait plus rien, que le bien-être de ceux qui restaient, Madame Royale et le petit Louis-Charles. J'ai apprécié de voir ce trait de caractère de la reine, plutôt évident mais pas souvent traité, mis en avant et qu'Antonia Fraser consacre des chapitres complets à la conception de la maternité par Marie-Antoinette et les liens qu'elle entretint ensuite avec sa progéniture.
    Le seul bémol, qui pourrait venir de la traduction, est la complexité de certaines phrases, émaillées souvent de propos complémentaires entre tirets qui font parfois perdre le fil. Mais, dans l'ensemble, c'est un bon livre, un travail sérieux et à conseiller à tous les fans de cette reine emblématique.

    En Bref :

    Les + : un travail sérieux et intéressant.
    Les - :
    des phrases parfois un peu alambiquées et compliquées qui font malheureusement perdre le fil.


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  • « L'éclat de vos beautés si dignes de louanges : faisait croire à nos yeux que vous étiez un ange. » Extrait d'un ballet donné le 12 février 1619 en l'honneur de la reine 

    Pour mon fils, pour mon roi : la reine Anne, mère de Louis XIV ; Philippe Alexandre, Béatrix de l'Aulnoit

    Publié en 2010

    Editions Pocket

    509 pages

    Résumé :

    Venue en France à quatorze ans pour y épouser le roi Louis XIII, Anne, infante d'Espagne, a imploré pendant vingt-trois ans la divine providence pour qu'elle lui donne un fils. Tant de prières, de jeûnes, de pèlerinages ont été récompensés par ce miracle nommé Louis XIV. Mais tout au long de ces années stériles, la reine Anne, adulée par les plus beaux hommes de son temps, est persécutée par Richelieu. Elle tremble d'être répudiée. Une fois veuve et régente, elle résiste à la Fronde dont son ministre, Mazarin est l'apprenti sorcier. Cette biographie vous fera découvrir cette exubérante Espagnole, dont la seule passion aura été de donner le Roi-Soleil à la France.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Anne d'Autriche, petite infante espagnole -ce que ce nom n'indique pas au premier abord-, est née avec le siècle, au mois de septembre 1601. Cinq jours plus tard -est-ce tout simplement le hasard ou la divine providence, comme le pensèrent les contemporains ?- voyait le jour en France un Dauphin, Louis, fils d'Henri IV et de son épouse italienne, la reine Marie de Médicis. D'aucuns virent dans ces naissances consécutives le signe du Ciel que ces deux bébés encore aux langes étaient voués à se marier dans un avenir plus ou moins proche. Le petit Français serait un jour le roi Louis, treizième du nom. Et la petite fille, qui ne s'appelle pas encore Anne mais Ana Maria Mauricia, sera sa reine. Ensemble, ils donneront à la France l'un de ses rois emblématiques : Louis XIV, le Roi-Soleil.
    Anne est détentrice d'une hérédité aussi ravageuse du fait de la consaguinité que flamboyante : elle est en effet la fille aînée de Philippe III d'Espagne et de son épouse, Marguerite d'Autriche-Styrie. Dans ses veines, coule le sang de Charles-Quint, d'Isabelle de Castille mais aussi des anciens princes de Bourgogne qui la rattachent donc à son futur époux par un cousinage commun avec les anciens rois de France capétiens. Elevée dans la piété et la dévotion, dans les austères palais-monastères du nord de l'Espagne, dans une famille aimante et unie, déchirée par la mort prématurée de sa mère, la reine Marguerite, Anne devient une douce et belle reine de France à l'âge de quatorze ans. En effet, malgré son jeune âge, Louis règne depuis cinq ans -sous la férule de sa mère et de ses amis parvenus, Concini en tête-, sur la France, depuis que le couteau meurtrier de Ravaillac lui a pris son père. Et, tandis que la jeune Elisabeth de France s'en va en Espagne pour épouser le prince des Asturies, le jeune frère d'Anne, c'est une jeune reine-infante, guère plus vieille que sa petite belle-sœur qui prend le chemin inverse pour ceindre l'une des couronnes d'Europe les plus prestigieuses. Elle y connaîtra la gloire, très longtemps plus tard. Mais elle y connaîtra aussi bien des malheurs et des vicissitudes et même si son destin fut aussi malheureux que celui de sa lointaine descendante, Marie-Antoinette à qui fut, comme à Anne dans sa jeunesse, reprochés sa frivolité et son manque de sérieux,  Anne saura tirer son épingle du jeu. Car, avant de devenir une femme à la poigne de fer qui parvint à tenir en respect parlementaires et princes pendant la Fronde, une reine arc-boutée sur ses principes et sur sa volonté de sauvegarder l'Etat au nom de son fils, elle fut une reine stérile, malmenée par un mari versatile et au caractère compliqué et par un ministre, Richelieu qui, disait-on, faisait payer à la trop belle Espagnole, dont il avait été amoureux, son dédain.

    Anne d'Autriche dans les années 1620 par Pierre Paul Rubens


    Aimée d'un Anglais, le beau Buckingham -dont Dumas fera un personnage clé de son roman Les Trois Mousquetaires-, adulée par les poètes et soutenue contre vents et marées par ses amies, Anne d'Autriche fut une reine de conte de fées à bien des égards mais qui connut certainement comme aucune autre souveraine n'en a connu, humiliations, punitions et vexations indignes de son rang. Sa force fut de tomber enfin enceinte à un âge à l'époque où les femmes, en général, n'enfantaient plus depuis longtemps. A trente-sept ans, cette reine qui n'y croyait plus donnait un Dauphin à la France, un héritier qui ferait de la couronne jalousement défendue par sa mère devenue régente, l'une des plus puissantes et des plus flamboyantes d'Europe.
    Cette biographie d'Anne d'Autriche est intéressante, facile à lire et tout à fait accessible. Chronologique -bien qu'elle commence avec la naissance de Louis XIV, le 5 septembre 1638 avant de revenir en arrière-, elle permet de voir se dérouler sous nos yeux le destin de l'une des princesses qui, assurément, marqua d'une trace indélébile son siècle et permit à la France de s'épanouir, dans la période que l'on appellerait un jour le Grand-Siècle. Elle, l'Espagnole qui fut accusée de trahison et d'intelligence avec l'ennemi, elle qui fut accusée, comme plus tard Marie-Antoinette, de ne jamais avoir coupé les ponts avec sa famille et son pays d'origine, fut pourtant celle qui se battit avec le plus de force pour sauver la couronne de France face à une agitation de plus en plus violente et qui, à bien des égards, préfigurait déjà, d'une certaine manière, les secousses de la Révolution.
    Ce livre permet d'en apprendre autant sur la femme que sur la reine. Car il ne faut pas oublier que, même si ces petites princesses -et celles des maisons d'Autriche et d'Espagne plus que les autres, peut-être-, étaient conditionnées dès leur plus jeune âge pour devenir des objets de gouvernement et d'adoration du peuple, des moyens pour leur famille de faire des alliances avantageuses, elles n'en restaient pas moins des femmes, des épouses et des mères. Ce qu'on reprocha à Marie-Antoinette un siècle et demi plus tard, parfois à tort d'ailleurs, on le reprocha aussi à Anne d'Autriche en son temps, preuve que la condition de reine ne protégeait pas de toutes les idées reçues que l'on pouvait nourrir à cette époque envers la gent féminine. On la rendit coupable de l'élan irrépressible qu'elle ressentit pour un autre homme que son mari alors que celui-ci la négligeait, on la rendit aussi coupable d'une stérilité inexplicable mais qu'il était plus commode de lui imputer, elle, une princesse étrangère, donc encline à devenir le réceptacle de tous les reproches. Elle fut cependant relativement aimée du peuple, même après la Fronde et la France prit part, avec beaucoup de ferveur et d'empathie, à l'agonie de la reine-mère, qui souffrit mille morts comme une sainte -en Espagnole qui se respecte.
    Ce livre, qui court de la plus petite enfance, guindée mais heureuse de cette petite princesse blonde aux yeux clairs, se referme avec sa mort, au milieu des années 1660. Anne meurt comme elle a vécu -du moins depuis la propre mort de Louis XIII-, aussi française qu'elle a pu être espagnole, avec la satisfaction d'avoir donné à la couronne qu'elle avait épousé à quinze ans, deux fils et d'avoir connu leurs propres enfants.
    Elle reste l'une de nos figures historiques et les plus intéressantes à mon avis, mais malheureusement injustement méconnue. Et même si la biographie de Philippe Alexandre et Béatrix de l'Aulnoit ne peut assurément pas être considérée comme un écrit scientifique, elle reste très agréable à lire et bien documentée.

     La couronne de France offerte par la Vierge Marie à Louis XIV (Philippe de Champaigne, XVIIème siècle)

    En Bref :

    Les + : une biographie accessible et bien documentée.
    Les - :  Aucun. 


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