• « Rien n'est plus dangereux qu'un homme qui n'a plus rien à perdre. L'énergie du désespoir décuple ses forces et il se transforme en monstre. »

    Le Maître des Peines, tome 1, Le Jardin d'Adélie ; Marie Bourassa

     

    Publié en 2008 au Canada ; en 2013 en France (pour la présente édition)

    Editions Pocket

    793 pages

    Premier tome de la saga Le Maître des Peines

    Résumé : 

    Paris, 1340. Décharné, trop grand pour son âge, le jeune Louis Ruest vit sous le joug tyrannique d'un père alcoolique et violent. Ses seules ambitions : redorer l'honneur de la famille en épousant la profession de ses ancêtres -maître boulanger-, gagner l'amour d'une jeune femme et être un homme honorable. 
    Mais dans une capitale prête à s'embraser, écrasée par le fanatisme religieux, la guerre, et la peste qui s'annonce, Louis va devoir accepter un tout autre destin. Et devenir le bourreau le plus redouté du royaume...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Dans les années 1340, le jeune Louis vit sous la férule terrible d'un père violent et alcoolique qui le traite comme un moins que rien. Et pourtant, l'enfant n'a qu'un souhait : être un boulanger renommé comme a pu l' être son père à une certaine période de sa vie. Le rêve de Louis est tout simplement d'être ce qu'ont été ses ancêtres avant lui.
    Mais rien ne sera comme il l'espère parce que son père le harcèle et le considère comme responsable de la stérilité de sa mère, qui n'a pu lui donner d'autres enfants que lui. Ce que ne sait pas le boulanger Firmin, c'est qu'en martyrisant cet enfant, il est en train de préparer une main étonnamment sûre et qui fomente doucement sa vengeance et la destruction de son bourreau.
    Le destin de Louis l’amènera loin de son milieu d'origine puisqu'il va devenir l'un des bourreaux les plus redoutés du XIVe siècle pour tenter de s'émanciper de sa jeunesse misérable et humiliée sans pour autant l'oublier puisque toute sa vie se nourrit justement de cette vengeance qu'il n'aura de cesse de poursuivre.
    Le roman de Marie Bourassa prend corps dans un contexte historique riche et intéressant. Nous sommes au début des années 1340, la Guerre de Cent Ans est commencée depuis peu, guerre de succession entre l'Angleterre et la France pour le trône des Lys.
    Et surtout, le royaume de France et l'Europe toute entière s'acheminent doucement vers ce qui sera sûrement la plus grande pandémie de tous les temps : la Grande Peste de 1348 qui fera par la suite des retours sporadiques et tuera une bonne partie de la population.
    L'auteure a mis dix ans pour achever ce roman, entre les recherches et le travail de rédaction. Marie Bourassa est Canadienne qui plus est, ce qui signifie qu'elle travaille là sur une Histoire qui n'est pas la sienne alors on peut saluer la précision des informations qui sont nombreuses : car il a fallu, au delà même du contexte historique qui passe en second plan à bien des moments, que l'auteure se renseigne sur le monde de la boulangerie médiévale. Si le métier n'est pas forcément bien différent de ce qui se fait aujourd'hui puisque la finalité en est la même, le système des corporations de nos jours, n'existe plus et l'organisation même de l'artisanat en a été changé. Depuis le XIIème siècle qui plus est, le métier de boulanger -ou de talemelier comme on disait à l'époque-, connaît une évolution importante, avec par exemple, l'autorisation qui leur est conférée par le roi de posséder des fours privés, ce qui concurrence donc le système du ban seigneurial. Un officier royal, le Grand Panetier, chargé également de gérer le service de bouche du roi, était le responsable des boulangers parisiens et leur accordait le droit de posséder la balance qui leur permettait ensuite de peser leur pâte et de confectionner des pains en conformité avec les édits royaux.
    Il a fallu également à l'auteure se renseigner sur le mouvement dit des Pénitents ou des Flagellants, mouvement à caractère sectaire qui apparaît avec la Grande Peste et hurle par les chemins que la fin du monde approche et que le repentir est exigé de Dieu.
    Puis, dans la seconde partie du livre nous faisons connaissance avec un personnage qui aujourd'hui nous paraît bien surprenant mais qui, à l'époque est un rouage essentiel du monde judiciaire. Personnellement c'est un univers que j'avais découvert dans une saga d'Andrea H. Japp qui ne m'a donc pas surprise mais que je ne peux m'empêcher de trouver original ! Il y'a tout de même peu de romans qui ont un bourreau pour personnage principal et on découvre que cet élément charnière du système judiciaire médiéval n'en est pas moins marginal, au point que de vraies dynasties bourrelières -du mot ancien bourrel, synonyme de bourreau-, se sont mises en place : la preuve, au XVIIIème siècle par exemple, l'exécution de la haute justice à Paris fut confiée pendant plusieurs décennies à la même famille, les Sanson. Le fils aîné du bourreau hérite de la charge de son père, le cadet le remplace, le cas échéant. Un apprentissage est assuré par le père afin que son héritier soit rodé le moment venu. Car plusieurs attributions sont celles du bourreau qui ne se charge pas d'exécuter uniquement les sentences de mort. Il peut être habilité à appliquer la Question, donc à torturer mais aussi à débarrasser les villes des animaux errants ce qui valait à certains bourreaux le surnom de Tue-Chien. Ils avaient aussi la tâche ingrate de l'équarrissage. En contrepartie, le bourreau avait un droit exclusif, celui qu'on appelle de havage et qui signifie que son titulaire a, sur un marché, le droit de prendre sur les étals la quantité de marchandises que peut contenir la paume d'une main.
    Au travers du personnage de Louis, nous découvrons donc un métier qui peut nous faire froid dans le dos aujourd'hui mais qui était essentiel à l'époque, tout en suscitant tout de même un certain ostracisme instinctif de la part de la population.
    Cette première lecture de l'année 2017 aura été intense et c'est le genre de livres dont on ne sort pas indemne et qui remue vraiment, par toute la violence qu'il contient, tangible ou pas. Certaines scènes sont dures, insoutenables, assez difficiles à lire mais en même temps fascinantes à lire parce que très bien maîtrisées par l'auteure. D'autres, émouvantes, font monter les larmes ou sourire tristement. Ce premier tome de la saga Le Maître des Peines est plus qu'un roman historique car il traite malheureusement d'un sujet qui sera d'actualité tant que la race humaine existera... c'est la destruction d'un être, destruction méthodique par autrui mais aussi par lui-même qui nous apparaît dans ce roman. Dans Le Maître des Peines c'est une vengeance dans toute sa cruauté mais aussi, en quelque sorte, dans toute sa légitimité qui nous apparaît... instinctivement, on ne cautionne pas la violence même si nous en avons certainement tous une petite part en nous, parce qu'elle fait peur et qu'on ne peut pas vraiment la dominer. Et pourtant dans ce roman on comprend celle de Louis, enfant bafoué, renié, dont on a occulté jusqu'à l'essence même. Le personnage est extrêmement fascinant surtout lorsqu'il revêt son costume de bourreau dans la seconde partie du roman. J'ai retrouvé le même charisme, quoiqu'un peu plus torturé, que chez Hardouin cadet-Venelle, le fameux personnage de bourreau d'Andrea H. Japp.
    Après un début un peu laborieux, j'ai été prise par l'intrigue ! J'ai trouvé que le travail de l'auteure était extrêmement précis, tant en ce qui concerne la qualité narrative que celle du contexte historique choisi. Ce n'est pas tout d'écrire des romans historiques, encore faut-il qu'ils soient vraisemblables ! Ici, cette seconde moitié du XIVeme siècle, écartelée entre des épidémies, des famines, des guerres intestines, est très bien restituée, malgré deux trois petits mots dans les parties narratives que j'ai trouvé un peu anachroniques -l'utilisation du mot thé par exemple.
    Le seul bémol que je soulèverais concerne plutôt la forme : les glossaires et notes complémentaires se trouvent en fin de volume, ce qui n'est vraiment pas pratique ! J'ai trouvé dommage qu'au moins les notes ne se situent pas en bas de page parce qu'elles sont nombreuses -presque deux cents occurrences sur 700 pages c'est pas mal-, intéressantes mais il faut sans cesse revenir en fin de volume et cela entrecoupe désagréablement la lecture.
    À part ça, cette première lecture de l'année aura su me convaincre au-delà même de ce que j'avais pressenti ! Cette saga ne me laissera certainement pas indemne et risque de me marquer durablement, je sens.

    En Bref :

    Les + : une intrigue historique prenante et une trame vraiment bien menée, des personnages étonnants. 
    Les - :
     les notes complémentaires en fin de volume ! !


    10 commentaires
  • « Qu'il est périlleux de chercher à modifier la destinée d'un homme, car c'est présomption de vouloir assumer un rôle qui appartient au Tout-Puissant. »

    Le Maître des Peines, tome 2, Le Mariage de la Licorne ; Marie Bourassa

     

    Publié en 2008 au Canada ; en 2013 en France (pour la présente édition)

    Editions Pocket

    728 pages

    Deuxième tome de la saga Le Maître des Peines

    Résumé :

    Louis Ruest rêvait de suivre la voie de ses ancêtres en devenant maître boulanger. Le destin en a décidé autrement. Voulant prendre sa revanche sur son père, violent et alcoolique, il est devenu l'un des bourreaux les plus réputés du pays. Mais la vengeance accomplie ne lui apporte pas la paix tant espérée, au contraire...
    Invité à la Cour, récompensé pour ses talents d'exécuteur par un domaine et une toute jeune fiancée, Louis va devoir combattre ses démons afin de rejoindre le monde des vivants...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Après les années d'enfance et d'adolescence, ce sont celle de l'âge adulte que nous allons suivre maintenant, toujours dans le sillage de Louis, l'ancien petit mitron parisien devenu, par la force des choses, le bourreau de la ville de Caen. Âgé de vingt-six ans au début de ce tome, Louis a enfin pu assouvir la vengeance qui le maintenait en vie depuis si longtemps mais ne s'en trouve malheureusement pas pour autant apaisé. Au contraire, cette vengeance aurait presque laissé une certaine vacuité dans son existence et la reconstruction sera difficile, si tant est qu'elle advienne un jour.
    Louis est alors devenu un jeune adulte taciturne, au regard gênant et profond, que sa haute stature et ses vêtements et cheveux bruns finissent de rendre inquiétant.
    Mais voilà que le jeune bourreau de Caen est remarqué par Charles le Mauvais, le jeune roi de Navarre qui séjourne en ses terres normandes : par la grâce du roi, le bourreau de Caen, qui se fait appeler Baillehache, se retrouve métayer d'un domaine dont le propriétaire vient de mourir. Sa mission sera de garder le domaine afin d'empêcher qu'il ne tombe en déshérence mais, à une condition : que le bourreau, le moment venu, prenne en mariage la petite héritière du domaine, petit héritière qu'il va rapidement rencontrer en venant prendre possession des terres qu'on lui a confiées et qui est bien plus jeune que lui... cette nouvelle activité pour Louis pourra peut-être s'avérer salutaire pour lui même si les vieux démons ont la vie dure.
    Dans Le Mariage de la Licorne, la vie de Louis est enfin plus stable et moins violente, maintenant que sa vengeance est enfin assouvie. Et pourtant, rien encore n'est simple : toujours aussi secret et solitaire, Louis doit apprendre à vivre en communauté et à connaître une petite fille qui, un jour, va devenir sa femme. Il va devoir affronter l'hostilité latente de certains serviteurs de son domaine et l'effroi respectueux qu'ils nourriront ensuite pour lui lorsqu'il apprendront la nature de ses activités parallèles. De plus, la guerre commence à se manifester de plus en plus fréquemment et surtout, de façon de plus en plus tangible, dans le quotidien. Après l'accalmie due à la terrible épidémie de peste en 1348, qui décime une bonne partie de l'Europe, les combats, dans les années 1350 et 1360 reprennent, toujours à l'avantage des Anglais. Mais surtout, apparaissent les compagnies de routiers, ces soldats démobilisés, de toute nationalité et qui errent sans but en ravageant, pillant et volant les campagnes déjà à bout de souffle... Le royaume est écartelé entre les ambitions anglaise, française et navarraise et les liens féodaux de suzerain à vassal font souvent louvoyer d'un camp à un autre selon les opportunités... ainsi du roi de Navarre, par exemple, maître de Louis, qui ne cessera, tout au long de son règne, de se rapprocher ou du roi d'Angleterre ou de celui de France...autre changement en ces années et qui n'est pas des moindres, est la captivité du roi Jean II le Bon, emprisonné en Angleterre à la suite du désastre de Poitiers, en 1356, annonciateur déjà, pour la chevalerie française, du désastre ultime que sera pour elle Azincourt en 1415. Cette captivité, inédite dans toute l'Histoire de France, verra la création d'une nouvelle monnaie, le Franc, afin d'honorer la rançon demandée par le roi d'Angleterre. Et surtout Jean II va mourir en 1364 toujours en Angleterre et transmet donc la couronne à un Charles V qui, de fait, règne déjà depuis presque dix ans sur le royaume de ses ancêtres.
    C'est donc dans ce contexte très agité que se construit doucement la vie d'adulte de Louis et que se met en place l'intrigue de ce deuxième volume, encore une fois très conséquent : ce n'est pas un énorme pavé, mais l'histoire a beaucoup de teneur et elle est très dense, ces sept-cents pages demandent donc pas de mal de concentration et disponibilité. Mais j'ai eu moins de mal à y entrer que dans le premier tome, déjà parce que l'intrigue m’était familière et, surtout, parce qu'il y'avait moins de descriptions. Peut-être y'a-t-il dans cet opus là un peu moins de rebondissements mais il se concentre sur un sujet intéressant, celui d'un homme qui lutte contre lui-même pour essayer de combler un peu la vacuité de son existence et tenter de revivre enfin même si cela ne se fait pas sans mal. Le personnage de Louis est toujours fascinant et charismatique, peut-être justement à cause de ce désespoir qui l'anime et qui, malgré sa carapace un peu antipathique, le rend très humain. Je m'y suis énormément attachée dans le tome un, parce qu'un enfant violenté ne peut pas ne pas susciter de sentiments de compassion mais il est ensuite resté très fascinant, parce que son statut de bourreau a quelque chose de particulièrement... attirant ! C'est étrange dit comme ça, mais je vous assure, le personnage de Louis est très intéressant, justement parce qu'il a un statut un peu à part et que l'auteure lui confère un charisme assez époustouflant. On sent d'ailleurs tout son attachement pour son personnage et son envie de le faire aimer à son lectorat. Louis n'est pas exempt de défauts, comme tout le monde et d'un certain goût de la violence physique qui lui vient de son enfance, mais en contrebalançant toujours ce côté implacable par des faiblesses plus humaines : c'est le défaut dans la cuirasse, en quelque sorte, qui fait que le personnage, loin d'être vu comme un monstre, devient très vite un alter ego et un personnage qui pourrait presque nous permettre de comprendre les rouages complexes de l'esprit humain et de sa conscience
    Dans Le Mariage de la Licorne, cette profession atypique disparaît légèrement, bien qu'on ne l'oublie jamais vraiment et qu'elle se rappelle toujours à notre bon souvenir. L'intrigue n'est plus recentrée uniquement que sur Louis et son désir de vengeance exacerbé, puisque cette dernière a eu lieu. Dans ce tome là, on fait aussi la connaissance de la petite Jehanne, déjà rencontrée, mais dont je n'avais pas saisi toute l'importance dans le premier volume. Jehanne, héritière du domaine de son père, seigneur navarrais quant des possessions en Normandie, s'est vue donner en mariage à Louis et va devoir apprendre à connaître cet homme, comme lui-même va devoir apprendre à lui faire une place dans son existence. Et bien sûr, cela ne se fera pas sans mal : différence d'âge et incompréhensions mutuelles se posent rapidement en obstacles insurmontables et si, en plus, l'ami d'enfance de Jehanne vient y mettre son grain de sel ! On se rend compte que l'existence de Louis, comme sous l'effet d'une malédiction, ne peut être heureuse. Il est vrai que son statut de bourreau y contribue grandement mais lui se voit accorder l'espérance de connaître un avenir bien plus positif -et atypique- que ses collègues : et pourtant, cet avenir est toujours obscurci par de menaçants nuages noirs qui ne semblent jamais le laisser en paix...
    Jehanne est bien moins complexe que Louis mais touchante et spontanée et je m'y suis attachée aussitôt. Le tandem fonctionne bien et je me réjouis d'avance de retrouver Jehanne et Louis dans l'ultime tome.
    Ce deuxième tome du Maître des Peines est plus linéaire que le premier mais je l'ai beaucoup aimé et dévoré ! Moins intense, moins insoutenable que le premier volume qui m'a laissée avec une drôle d'impression, il n'en pas pour autant sans consistance, bien au contraire. Jusqu'ici, cette saga tient ses promesses, elle a un aspect dramatique bien dosé et le travail de l'auteur sur le contexte est remarquable. A  conseiller aux amateurs d'historique mais aussi à ceux que des histoires plus humaines et universelles touchent particulièrement. 

    En Bref :

    Les + : une histoire toujours aussi captivante et bien menée.
    Les - :
    deux, trois petits anachronismes, qui n'apparaissent heureusement que dans les parties narratives c'est donc un moindre mal.

     

     


    4 commentaires
  • « C'est par la faiblesse des hommes que le bourrel est devenu nécessaire. »

    Le Maître des Peines, tome 3, Le Salut du Corbeau ; Marie Bourassa

     

    Publié en 2009 au Canada ; en 2013 en France (pour la présente édition)

    Editions Pocket 

    664 pages

    Troisième tome de la saga Le Maître des Peines

    Résumé :

    Connu pour avoir été le bourreau le plus sanguinaire de France en cette fin du XIVe siècle, Louis Ruest aspire désormais à retrouver une vie normale. Récemment marié, il se consacre à la gestion de son domaine et se prépare à l'arrivée imminente d'un enfant. Mais il n'est pas toujours aisé d'abandonner son passé. Tandis que ses proches tentent par tous les moyens de délivrer Louis du mal, d'autres, dans l'ombre, font tout pour l'y ramener. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Le Salut du Corbeau est le troisième et ultime tome de la saga médiévale de Marie Bourassa, Le Maître des Peines. Pour la troisième et ultime fois, nous retrouvons Louis Ruest, bourreau de Caen et sa famille. Volume qui court sur plus de deux décennies mais, paradoxalement, plus court que ses prédécesseurs, Le Salut du Corbeau remonte en puissance et en tension après l'accalmie du deuxième tome. Cette saga, c'est un peu comme les montagnes russes en fait : on est arrivé en haut de la pente à la fin du premier tome, on a amorcé une descente en douceur dans le tome deux mais en fait pour mieux remonter dans ce dernier volume ! De nouveau des tensions s'amoncellent au dessus de la famille que Louis a tant bien que mal réussi à se constituer en Normandie et des menaces la prennent pour cible. Tensions et rivalités amoureuses mettent à mal le semblant de paix que l’exécuteur des hautes œuvres de Caen est parvenu à trouver en son petit domaine d'Hiscoutine, alors même qu'une révélation spectaculaire -pour lui parce que personnellement je l'ai sentie arriver à des kilomètres- lui permet soudain de desserrer un peu le carcan du passé et de s'en émanciper doucement. Enfin, dans ce tome là, on retrouve un Louis plus humain. Je ne parle pas de l'enfant, rencontré dans Le Jardin d'Adélie et qui l'était de manière assez désarmante. Depuis longtemps maintenant c'est un Louis adulte que nous côtoyons, conditionné par son passé mais aussi par son fonction de bourreau qui en fait aussitôt et inévitablement un être nécessaire à la justice de son temps mais malgré tout en marge de la société des hommes. Pas facile donc de s'y intégrer quand on est d'emblée rejeté par la répulsion des autres et quand sa nature profonde de toute manière, le pousse à s'écarter des autres individus. 
    Dans Le Salut du Corbeau, la jeunesse laisse doucement place à la maturité et à la sagesse de l'âge qui arrive, même si, pour Louis, se débarrasser de ses vieux démons est difficile. Les années ne lui ont pas apporté l'apaisement qu'il pouvait espérer pourtant et il continue d'exercer son office de bourreau, consciencieusement mais sans enthousiasme. On s'en doute. A Hiscoutine, le domaine normand qui lui avait jadis été confié par le roi de Navarre, l'attendent désormais des serviteurs dévoués bien qu'un peu méfiants et surtout, une femme et un enfant. Mais c'est bien une révélation sur son passé et non pas son enfant, promesse d'avenir, qui va ramener Louis parmi les vivants.
    Il va m'être difficile de ne pas trop vous en dévoiler parce qu'il faut que je vous parle de la fin, qui m'a plu tout en me laissant un peu frustrée parce que j'ai aimé le personnage de Louis et, comme il ouvrait la saga, j'aurais aimé aussi qu'il la termine. Ce ne sera pas le cas, je ne vous dis pas pourquoi mais le roman se clôt avec un épilogue dont le personnage central est le fils de Louis, comme une promesse d'avenir finalement. Mais, comme je m'étais beaucoup attachée à Louis dès le départ j'avoue que j'aurais aimé le voir jusqu'au bout. Après c'est ambivalent c'est vrai... c'était prendre un risque pour l'auteure de nous livrer une fin peut-être un peu trop facile, un peu trop convenue. Ceci étant dit j'ai trouvé que l'issue choisie par l'auteure était bien trouvée... qu'elle m'ait un peu frustrée n'est qu'un sentiment personnel et puis cette frustration est largement contrebalancée par l'émotion que les derniers chapitres font naître en nous. Marie Bourassa nous livre une fin à la hauteur de nos espérances et surtout, à la hauteur de sa saga ! Rien à dire toujours, concernant le style... il est de qualité.
    Rien à dire non plus concernant les personnages... j'ai aimé le triangle de rivalités et de sentiments qui se met en place entre Jehanne, Louis et Samuel. J'ai aimé aussi retrouver de façon plus récurrente le père Lionel rencontré dès le premier tome. J'avais pressenti que son rôle ne s’arrêterait pas à ce que l'on avait entrevu jusqu'ici et, même si sa grande révélation, dans Le Salut du Corbeau, est assez prévisible, on l'attend quand même et c'est avec plaisir que j'ai lu le chapitre où, enfin, Lionel se dévoile.
    Une toute petite approximation historique est venue se glisser au détour d'un chapitre mais rien de grave : il est en effet mentionné qu'Edouard de Woodstock, fils d'Edouard III, surnommé Le Prince Noir, meurt un an après son père, soit en 1378, alors qu'il est mort en 1376. Je suis vraiment encline à fermer les yeux sur cette toute petite erreur qui pourrait presque être considérée comme une étourderie et non pas comme un véritable contresens. Au vu du contexte impeccablement restitué par ailleurs, je pense effectivement que c'est une toute petite faute, comme cela peut arriver quand on écrit machinalement, petite faute suffisamment ténue pour passer entre les mailles du filet.
    Encore une fois, la France féodale du XIVème siècle, déchirée par la guerre et écartelée par les liens vassaliques revit sous nos yeux. Le Maître des Peines est une saga très visuelle, avec beaucoup d'aventures et de péripéties mais celles-ci sont toujours vraisemblables et c'est important, la vraisemblance, dans un roman historique. Bref cette trilogie a su me séduire et je la conseille malgré quelques scènes parfois un peu dures.

    En Bref :

    Les + : une intrigue un peu plus mystique, des personnages toujours ciselés et des dialogues qui font mouche ! Une bonne saga. 
    Les - : Aucun. Encore une fois j'ai été emportée. 


    4 commentaires
  • «Mais chaque commencement entraîne une fin. »

    Un Amour de Soie ; Lindsay Chase

    Publié en 1992 aux Etats-Unis ; en 2016 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Vow

    Editions Archipoche

    379 pages

    Résumé : 

    Rien ne prédisposait Hannah, 18 ans, à devenir la femme de Reiver Shaw, l'ambitieux propriétaire d'une filature de soie. Rien, sinon les terres constituant sa dot. Dans le Connecticut des années 1840, une femme a-t-elle seulement le droit de protester ? 

    Hannah pourrait se borner à être l'épouse silencieuse dont rêve Reiver. Mais celui-ci n'a pas su cacher la liaison qu'il entretient, depuis des années, avec une jeune veuve. 

    Lentement, la vengeance fait son chemin dans l'esprit d'Hannah. Reiver l'a-t-il vulgairement trompée ? Hannah ne prendra pas plus de précautions pour afficher son attirance pour le frère de son mari. 

    Lorsque Reiver souhaitera reprendre les rênes, il sera trop tard : de la petite affaire de son mari, Hannah aura fait, en quelques années, la première soierie de la Nouvelle-Angleterre... 

    En même temps que l'épopée industrielle de la jeune Amérique, ses rêves et ses combats, ce roman retrace le destin d'une femme déterminée à se faire une place dans un monde d'hommes. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Dans le Connecticut des années 1840, à Coldwater, les fermes des Shaw est des Bickford sont voisines. Reiver Shaw, aîné et chef de famille, dirige les filatures Shaw et espère en l'industrialisation naissante pour voir son affaire se développer et concurrencer les soieries européennes. Chez les Bickford, Hannah Whitby, jeune nièce orpheline, vient d'être recueillie par son oncle et par l'épouse de ce dernier. Mais ce n'est par bonté d'âme que les Bickford ont pris leur nièce infortunée à leur charge mais plutôt pour en faire une servante tandis que les trois fils de sa tante prennent un malin plaisir à la maltraiter : ça ne vous rappelle rien ? Hannah m'a aussitôt évoqué le personnage de Cosette ou celui de Cendrillon, orpheline elle aussi et mise à mal par une maratre malveillante.
    Rien ne prédestinait Hannah, pauvre jeune fille sans avenir et Reiver Shaw, exploitant visionnaire et ambitieux, à se marier. Et pourtant la voilà bientôt maîtresse de maison à la ferme des Shaw, où elle évolue entre son mari et les deux frères de ce dernier... mais parce que son époux est trop pris par ses soieries mais peut-être aussi par autre chose et qu'il la délaisse, Hannah se rapproche dangereusement de l'un de ses beaux-frères...
    Lindsay Chase situe sa romance en plein cœur d'un petit état de la côte est encore sauvage, dans lequel des paysages superbes s'épanouissent. Et dans ces paysages qui semblent encore vierges de toute présence humaine, des hommes justement naissent, vivent, s'aiment, se meurent et se brisent...
    Un Amour de Soie est un roman au postulat de départ intéressant mais, dès les premiers chapitres j'ai eu un sentiment de rapidité. Trop de rapidité. Tout se met en place trop vite, c'est comme si, finalement, j'avais démarré un roman en sautant deux ou trois chapitres : c'est un peu le ressenti que j'ai eu, comme si j'avais loupé un épisode. Si certains auteurs se perdent en considérations inutiles, il est vrai que ce n'est pas le cas de Lindsay Chase mais, en l'occurrence, certains développements auraient pu être bienvenus. Les personnages ne sont pas exceptionnels non plus c'est dommage... un peu comme pour l'intrigue, ils sont tout juste ébauchés et on est, dès les premières pages, presque jeté dans leur vie comme on serait jeté dans des bras inconnus. Peut-être que, pour m'y attacher davantage, j'aurais eu besoin de plus que quelques lignes pour en apprendre un peu plus sur eux, sur leur passé : c'est toujours agréable d'avoir un peu de temps pour s'imprégner d'une ambiance, faire connaissance avec des personnages...Trop, ça lasse, mais pas assez, ça peut frustrer.
    Malgré sa vie peu évidente, je ne me suis pas vraiment attachée Hannah, l' héroïne. Je ne l'ai pas détestée mais je suis restée à distance, du moins dans la première partie...Je vous l'ai dit, j'ai besoin d'un peu de temps pour m'habituer aux personnages, faire connaissance avec eux...un peu comme dans la vie, en fait ! ! Et si cette rencontre n'est pas complète, ça ne va pas...il m'a donc fallu plusieurs chapitres avant de me dire qu'Hannah avait finalement quelque chose d'infiniment admirable et qui a donc minoré ma réserve du départ, sans l'effacer complètement cependant. Les personnages d'Un Amour de Soie ne font pas partie de ceux auxquels on s'attache envers et contre tout. 
    Un Amour de Soie n'est pas un mauvais roman et il ne s'est pas avéré être une corvée à lire, soyons clairs ! Mais j'avoue que j'aurais aimé un peu plus d'approfondissements, un peu plus de descriptions des personnages par exemple ou des paysages, pour être vraiment immergés dans l'ambiance du roman. Mais franchement ça aurait pu être pire. J'ai aimé le triangle amoureux qui s'instaure insidieusement entre Hannah, son époux et le frère de ce dernier. L'auteure parvient à l'amener avec beaucoup de justesse et d'à-propos, sans tomber dans les clichés ou le mièvre. La relation entre Hannah et Reiver m'a aussi intéressée : dernièrement j'ai eu le chic pour tomber sur des intrigues où la violence conjugale, physique ou mentale, tenait une place importante et, un moment, j'ai craint de retomber dans ce genre de scénario mais en fait non parce qu'à ma grande surprise, Hannah est forte et riposte. Et son mari n'est pas violent, juste indifférent... je n'ai d'abord pas ressenti d'inimitié pour Reiver qui, à mon sens, est surtout maladroit et il arrive même parfois à se montrer touchant... il a une capacité de résilience assez importante d'ailleurs qui est assez insoupçonnable au départ et qui surprend agréablement, du moins dans la première partie du roman... parce que ça se gâte un peu lorsque la tension dramatique du roman se met en place et là, du jeune homme ambitieux un peu gauche avec son épouse, il devient sacrément égoïste voire injuste. Mais, en même temps, on sent chez lui une faille, une faiblesse qu'il reconnaît, ce qui tempère un peu ses défauts. En revanche, j'ai aimé les rapports de force qui s'établissent entre les deux personnages parce qu'Hannah se révèle astucieuse et à la hauteur du combat qu'elle mène et de son adversaire. Hannah est une femme bafouée à qui on a demandé des concessions mais qui, petit à petit, ne veut plus transiger, le dit, le montre et le fait. Je m'y suis attachée à mesure qu'approchait le dénouement, pour son courage et sa détermination.
    Au final, Un Amour de Soie est un roman un peu trop inégal pour que j'aie pu l'apprécier complètement. J'aurais aimé une intrigue démarrant autrement , de manière moins brutale. Mais j'ai cependant aimé la romance qui se trouve au cœur du récit parce que, sans être révolutionnaire non plus, elle est intéressante. J'ai aussi fini, comme je le dis plus haut, par mieux aimer Hannah sans pour autant m'y attacher : disons que je l'ai mieux comprise et son caractère direct voire fort qui m'a surprise au départ m'a finalement plu parce qu'il donne du relief à son personnage. J'ai aimé aussi l'aspect plus industriel du roman, qui dévoile les bons comme les mauvais aspects de cette industrialisation en développement. J'ai aimé la place qu'Hannah prend dans l'expansion des soieries Shaw à une époque où les femmes étaient tenues à l'écart des affaires. Mais certaines, comme Hannah, ont réussi à tirer leur épingle du jeu : je n'ai pas pu m'empêcher de ressentir beaucoup d'admiration pour elle, d'ailleurs et elle m'a rappelé Fiona Finnegan, la jeune héroïne de Jennifer Donnelly dans L'Insoumise.
    L'idée de départ est bonne et je crois que Lindsay Chase aurait pu l'exploiter autrement, de façon moins brutale, pour donner le temps à ses lecteurs d'entrer dans l'histoire et de s'imprégner de son atmosphère. C'est vraiment ça qui m'a manqué : du temps. Mais je ne regrette pas cette lecture et l'ai tout de même appréciée, surtout dans les derniers chapitres quand l'intrigue gagne en teneur dramatique et s'étoffe donc d'elle-même. Le sentiment de rapidité du départ ne s'estompe pas mais on sent alors que l’auteure prend plus de temps et c'est vraiment un point positif.

    En Bref :

    Les + : une idée de départ intéressante, une romance bien traitée, sur fond d'industrialisation naissante. 
    Les - : un sentiment de rapidité au départ, un roman qui démarre un peu brutalement. 

     

    Un Amour de Soie ; Lindsay Chase

    Thème de janvier « Un plaid, une cheminée, un chocolat chaud », 1/12

     


    10 commentaires
  • «Qu'elle ait été dangereuse, c'est certain ; qu'elle ait été coupable, c'est sans doute vrai ; qu'elle ait été victime, c'est incontestable. »

    La Marquise de Brinvilliers ; Agnès Walch

     

    Publié en 2011

    Editions France Loisirs

    256 pages

    Résumé : 

    Le 17 juillet 1676, à huit heures du soir, cinq jours avant son quarante-sixième anniversaire, Marie-Madeleine d'Aubray, marquise de Brinvilliers, fut décapitée en place de Grève à Paris devant une foule agitée, puis impressionnée par le courage de cette petite femme au corps si frêle. Elle est morte comme elle a vécu, avec résolution , écrira Mme de Sévigné. Présente ce soir-là, la célèbre épistolière n'aurait pas manqué un instant d'un feuilleton qui tenait en haleine les Français depuis déjà quatre ans. 
    Accusée d'avoir empoisonné son père, ses deux frères, son mari, sa sœur et sa fille, la marquise de Brinvilliers fut en effet l'une des premières tueuses en série de l'Histoire. Mais la marquise a-t-elle vraiment commis les crimes qu'on lui reproche ? 

    Agnès Walch, historienne, spécialiste de drames de mœurs, a mené ce travail d'enquête jusqu'alors inédit. Rassemblant les pièces du procès, l'historienne éclaire d'un jour nouveau le verdict des magistrats. Ni ange, ni démon, la marquise apparaît là dans toute sa vérité.

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Brinvilliers... depuis presque trois-cent-cinquante ans, le nom fleure le poison et reste associé à la poudre de succession comme celui des Borgia est lié irrémédiablement à la cantarelle.
    Rien pourtant ne destinait Marie-Madeleine d'Aubray, marquise de Brinvilliers, à devenir la tueuse en série, qui termina sa vie sur l'échafaud le 17 juillet 1676 et dont le procès déclencha, finalement, l'Affaire des Poisons, l'une des plus sordides et retentissantes affaires criminelles du Grand Siècle. Quoique... née en 1630 dans une famille de noblesse de robe, qui connaît une rapide expansion à cette époque, elle perd sa mère sept ans plus tard et est violée cette même année par un valet. D'où les déviances et obsessions sexuelles qu'elle développe par la suite et la feront s'attacher à plusieurs hommes, dont l'aventurier Sainte-Croix qui reste son amant près de quinze ans, lui fait deux ou trois bâtards et surtout, l'entraîne sur la pente fatale du crime en la familiarisant avec les poisons.
    Il meurt en 1672 et les inventaires après décès vont alors révéler un pan particulièrement sombre et intéressant de la vie de l'aventurier languedocien, et notamment son obsession pour l'alchimie et sa quête de la pierre philosophale. Mais chez lui, cette quête de la transmutation des métaux en or s'accompagne aussi d'une bonne maîtrise de la chimie qui va l'emmener à préparer des poisons plus ou moins violents. Il est très probable voire quasiment certain que c'est lui qui a fourni à la marquise de Brinvilliers les différentes drogues qu'elle administra à ses deux frères, sa sœur et même à sa fille aînée : ces deux dernières en réchapperont même si la mort de sa sœur Marie-Thérèse en 1674 ne manque pas de soulever le doute...ses frères Antoine et François auront moins de chance et succombent à cinq mois d'intervalle. En 1666, c'est leur père qui est mort après s'être étiolé pendant des mois et surtout, après avoir reçu les soins attentifs de sa fille...! Selon Agnès Walch, il se pourrait que seul Sainte-Croix ait été coupable de l'assassinat du père de Marie-Madeleine qui, en tant que lieutenant civil, l'avait fait arrêter quelques temps plus tôt et croupir en prison. Il est cependant communément admis que madame de Brinvilliers fut aussi responsable de la mort de son père et elle s'en accuse même dans une confession écrite retrouvée à Liège où elle avait trouvé refuge et où elle est finalement arrêtée au début de l'année 1676. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Toujours est-il qu'elle a plusieurs crimes sur la conscience et que cette affaire de vengeance privée pourrait bien, avec des ramifications qui apparaissent aux yeux des magistrats éberlues, remonter jusqu'au trône ... et l'imagination des courtisans est fertile et il n'en faudrait certainement pas beaucoup pour qu'une psychose s'installe, ce qui était presque arrivé en 1670 à la mort de la jeune Madame, Henriette d'Angleterre, qui s'éteint en quelques heures après avoir affirmé qu'elle avait été empoisonnée ... dans les années qui suivront, c'est une affaire d'une ampleur inédite dont vont devoir traiter les magistrats du Roi-Soleil. Une affaire qui est restée dans l'Histoire sous le nom d'Affaire des Poisons : une quantité d'empoisonneurs seront interrogés, exécutés ou emprisonnés à vie et des dames respectables telles que la comtesse de Soissons ou encore madame de Montespan, favorite du roi , se retrouvent éclaboussées par le scandale.
    Mais qui est exactement Madame de Brinvilliers ? Une tueuse sans scrupules ? Une femme fragile au caractère instable ? Enfin, fut-elle, malgré les crimes qu'on lui impute et qui ne peuvent être refutés, en quelque sorte une victime, une coupable parmi d'autres et qui paya pour tous ?
    Sans nier le verdict de l'époque et sans affirmer non plus que la marquise de Brinvilliers est innocente, Agnès Walch essaie de replacer le personnage dans son contexte et d'expliquer le caractère complexe de cette femme, qui s'avère effectivement être bien plus intéressante que ce que les contemporains et, par la suite, les écrivains et les historiens ont bien voulu nous faire croire. Très vite, la légende s'est emparée de celle qu'on ne surnommait plus que la Brinvilliers, une légende noire s'est tissée autour d'elle qui, si elle comporte du vrai, comporte aussi du faux. Les actes de la Brinvilliers, affreux, on ne peut le nier, ont suscité l'effroi et l'incompréhension de ses contemporains. Le poison était l'arme des lâches mais il faisait peur parce qu'un empoisonneur reste invisible et frappe insidieusement. Le peuple s'est ému, au point de déformer parfois les propos et les aveux qui se sont échangés durant la longue instruction du printemps 1676 qui conduisit à la condamnation à mort de madame de Brinvilliers, au point d'en faire un véritable monstre, une femme soudain prise de folie meurtrière , tant sur les autres que sur elle-même et qui administra et s'administra des drogues violentes. Mais peut-être que la vérité est plus compliquée que ça et Agnès Walch se livre à une rapide analyse psychologique de la marquise, analyse qui bien sûr n'existait pas à l'époque mais qui, aujourd'hui, peut nous permettre de comprendre bien des choses. Il semble que la clé de l'instabilité de madame de Brinvilliers soit ce viol qui la détruit à l'âge de sept ans. Tous les hommes qui jalonnent son existence la déçoivent et la manipulent. Sainte-Croix n'échappe pas à la règle et il se pourrait d'ailleurs que ce soit surtout à cause de son influence que la marquise en vient à commettre les gestes fatals qui la mèneront à l'échafaud. Sainte-Croix meurt en 1672 et on peut dire que c'est une chance pour lui parce qu'il est soustrait alors à toutes les investigations qui vont se poursuivre jusque dans les années 1680 et montrer qu'un vaste réseau criminel s'était mis en place, tellement vaste qu'il aurait même pu atteindre la Couronne. Madame de Brinvilliers n'aura pas la chance de mourir de sa belle mort et les papiers de Sainte-Croix dans lesquels elle apparaît nommément la perdront. De là à penser que, comme Fouquet une quinzaine d'années auparavant, elle ait payé pour d'autres... c'est en tous cas ce qu'insinue l'historienne et ça n'est pas illogique quand on y pense. On ne peut nier que la marquise usa de poisons, poisons qui, à plus ou moins longs termes, firent mourir des membres de sa famille... mais ce qu'on ne peut affirmer avec certitude, ce sont ses motivations. Elle aurait pu être poussée, son esprit fragile manœuvré par son amant retors et qui savait ce qu'il faisait.
    Ce qui apparaît dans cette biographie, c'est que Marie-Madeleine de Brinvilliers est une femme très seule et très démunie. Elle a le profil type de ces personnes qui, un jour, dans leur vie, vont déraper et commettre des gestes terribles. Parce qu'aujourd'hui nous avons des experts en criminologie, qui travaillent sur les méthodes opératoires comme sur la personnalité des tueurs en série, nous comprenons peut-être un peu mieux la manière dont le mécanisme se déclenche, car tout le monde n'est pas un tueur en série en puissance. On sait que ce sont des êtres éminemment dangereux mais aussi en souffrance et dont la déviance a pu être déclenchée dans l'enfance par un traumatisme : la perte d'un parent, un viol, une agression... chez la marquise de Brinvilliers, la mort de sa mère s'ajoute à l'abus qu'un valet commet sur elle. Elle restera par la suite toujours plus ou moins isolée, sans amies et le jouet d'hommes qui se moquent d'elle. Marie-Madeleine de Brinvilliers fut certainement une femme qui souffrit mais en silence et qui développa alors ses comportements qui la menèrent à sa perte.
    On ne peut bien sûr lui accorder de pardon parce qu'elle a ôté la vie, de sang froid et surtout parce qu'elle n'a jamais exprimé le moindre remords. Mais on ne peut pas pour autant ne pas chercher à la comprendre, même si c'est difficile bien sûr de se mettre à la place d'un tel personnage. Le livre d'Agnès Walch est justement intéressant pour ça. J'ai aimé la façon dont elle abordait son sujet sans tomber dans aucune extrême, dédouanant ou, au contraire, condamnant en bloc l'objet de son étude... Agnès Walch reste prudente et essaie d'apporter un éclairage contemporain à une affaire judiciaire et criminelle vieille de trois-cent-cinquante ans et qui ne serait assurément pas menée de nos jours comme elle le fut à l'époque. Pour autant, elle prend toujours soin de bien replacer le personnage dans son contexte. On comprend ainsi que madame de Brinvilliers fut ainsi autant condamnée par ses contemporains que par son siècle, parce qu'elle eut le malheur d'être une femme à une époque où on était pas tendre avec elles.
    Je déplore deux ou trois petites erreurs qui sont, je pense, des coquilles, notamment au niveau de dates. Agnès Walch est un maître de conférences réputé et je ne crois pas qu'on puisse lui imputer une erreur comme celle de dater la mort de la reine-mère Anne d'Autriche à 1671 ! Franchement ce n'est rien de grave, des petits ratés d'impression ou de mise en page, ça arrive. 
    J' ai aimé ce livre qui m'a permis d'en apprendre pas mal sur un personnage que je connaissais, mais pas si bien que ça au final. Si vous êtes intéressés, je vous le conseil. Il est en plus assez court pour être une bonne introduction. Personnellement, je connaissais surtout la marquise par le biais du roman de Catherine Hermary-Vieille, La Marquise des Ombres, qui reste une bonne production historique mais quand même une oeuvre romancée...et je ne pouvais m'empêcher de me la figurer avec les traits d'Anne Parillaud, qui l'interprète plutôt très bien dans le téléfilm tiré du livre d'Hermary-Vieille. Ici, on est dans un livre qui nous met en présence de la Marie-Madeleine historique. C'est une autre approche mais c'est tout aussi intéressant. 

    En Bref :

    Les + : une approche intéressante d'un personnage controversé.
    Les - : deux, trois petites coquilles. 

     

     


    6 commentaires