• INTERMÈDE XX

    Zita lors de son couronnement comme reine de Hongrie, à Budapest, en 1916

     

    I. Jeunesse

    Dix-septième enfant du duc Robert Ier de Parme et de l'infante Maria Antonia de Portugal, sa seconde épouse, Zita, la future impératrice d'Autriche, voit le jour le 9 mai 1892 dans la Villa Pianore, belle propriété se situant entre Pietrasanta et Viareggio, dans la région de Lucques, en Italie. Ses parents ont choisi de lui donner le prénom d'une sainte ayant vécu dans la région au XIIIème siècle, Zita de Lucques.
    Son père, bien qu'héritier du duché de Parme et de Plaisance, n'a jamais régné étant donné qu'il a été dépossédé de ses terres lors de l'unification italienne en 1859, au profit du Royaume de Piémont-Sardaigne. Marié une première fois à Maria Pia de Bourbon-Siciles, il a eu douze premiers enfants dont six étaient handicapés et trois morts en bas âge. Sa seconde femme lui donnera douze nouveaux enfants.
    La vie de la famille se partage entre la Villa Pianore, où Zita a vu le jour et le château de Schwarzau, en Basse-Autriche. Il semblerait que ce soit dans ces deux résidences que la petite Zita ait passé la majorité de son enfance. Ils vivaient quasiment toute l'année en Autriche avant de redescendre vers Pianore pour y passer l'hiver.
    L'éducation de Zita et de ses frères et sœurs est prise très au sérieux et les enfants apprennent plusieurs langues. Ainsi, les enfants sont tout autant capables de parler italien et allemand, bien entendu, mais aussi, l'anglais, le français, l'espagnol et le portugais. Par la suite, l'impératrice se souviendra : « Nous avons grandi dans un environnement international. Mon père se considérait d'abord comme un Français et passait quelques semaines chaque année avec les aînés de ses enfants au château de Chambord, sa principale propriété sur la Loire. Je lui demandai un jour comment nous devions nous décrire. Il répondit : “Nous sommes des princes français qui ont régné en Italie”. En fait, des vingt-quatre enfants seuls trois, dont moi, sont nés en Italie. »
    Jolie petite fille brune aux yeux foncés, la future impératrice a dix ans lorsqu'elle est envoyée en pension en Haute-Bavière, chez les Soeurs de la Visitation à Zangberg. Elle va y expérimenter un rythme de vie particulièrement strict et rigoureux mais, cinq ans plus tard, en 1907, la petite fille est rappelée dans sa famille, à la mort de son père, qui s'éteint à l'automne de 1907. C'est sa grand-mère maternelle qui prend la décision d'envoyer alors Zita, qui a quinze ans et sa sœur Françoise dans un couvent bénédictin se situant sur l'île de Wight, afin de parfaire leur éducation. Élevés dans une foi catholique fervente, les enfants de Robert Ier de Parme se distingueront toute leur vie par leur investissement dans les bonnes œuvres en faveur des démunis. Ainsi, Zita et sa soeur se consacrent aux pauvres de Schwarzau et de Pianore, transformant des surplus de tissus en vêtements et les deux petites princesses distribuent elles-mêmes vêtements, nourriture et médicaments aux pauvres. Trois des sœurs de Zita choisissent la voie religieuse et il semblerait qu'elle ait, pendant un moment, envisagé de faire de même. Peut-être est-ce le déclin de sa santé qui la verra d'ailleurs suivre une cure de deux ans dans un spa européen qui met un terme à ses aspirations religieuses...

    II. Le mariage autrichien

    L'une des tantes maternelles de Zita, la princesse Marie-Thérèse de Bragance, s'était mariée en 1873 en Autriche. Elle avait épousé Charles-Louis d'Autriche, frère cadet de l'empereur François-Joseph Ier. D'un premier lit, son époux avait eu un fils, Otto, qui lui-même était le père de l'archiduc Charles, futur époux de Zita. Par conséquent, sa tante Marie-Thérèse était en quelque sorte « belle grand-mère » de Charles. Marie-Thérèse de Bragance avait eu deux filles de son mariage avec Charles-Louis, Marie-Annonciade et Elisabeth, que Zita fréquenta dans son enfance, tout comme le jeune archiduc Charles, alors deuxième dans l'ordre de succession au trône d'Autriche. Mais les études des uns et des autres avaient fini par séparer les jeunes gens et cela, pendant près de dix années.
    Mais, en 1909, le régiment de dragons de l'archiduc Charles stationne près de Brandeis an der Elbe et il rend visite à Marie-Thérèse à Franzensbad. C'est là qu'il va retrouver la jeune Zita, âgée de dix-sept ans. Le jeune homme, lui, à vingt-deux ans. Le jeune prince est alors pressé de toute part pour se marier. En effet, son oncle, François-Ferdinand, celui-là même qui sera assassiné à Sarajevo au mois de juin 1914, a contracté un mariage morganatique et donc, ses enfants sont exclus de la succession au trône. Le jeune Charles, son neveu, est donc son héritier et il serait donc tout à fait important qu'il pense à se marier. Zita, même si elle est la fille d'un duc qui a été déchu de ses titres, a une ascendance suffisamment royale pour constituer un bon parti. Elle dira quelques années plus tard : « Nous étions bien sûr heureux de nous revoir et devînmes proches. De mon côté, les sentiments se développèrent graduellement au cours des deux années suivantes. Il semble s'être décidé beaucoup plus rapidement, cependant, et le fut encore plus quand, à l'automne 1910, la rumeur courut que je m'étais fiancée à un lointain cousin espagnol, Don Jaime, le duc de Madrid. En entendant cela, l'archiduc descendit avec hâte de sa garnison à Brandeis et se rendit auprès de sa grand-mère, l'archiduchesse Marie-Thérèse, qui était aussi ma tante et la confidente naturelle pour de tels sujets. Il lui demanda si la rumeur était vraie et quand elle lui dit que non, il répondit : “Bien, je ferais mieux de me dépêcher quand même, ou elle se fiancera à quelqu'un d'autre. »
    Très vite, le jeune archiduc se rend à la Villa Pianore, où il demande solennellement la main de Zita et les fiançailles religieuses ont lieu le 13 juin 1911. L'impératrice se souviendra par la suite qu'elle avait exprimé, un peu après ses fiançailles, ses craintes et ses doutes à propos du destin de l'empire d'Autriche et des défis que la monarchie serait amenée à relever.
    Après ses fiançailles, la jeune femme, en raison d'une situation politique un peu compliquée, se rend seule à Rome afin de solliciter la bénédiction du pape Pie X, qui la leur accorde. Finalement, le 21 octobre, Zita et Charles unissent leurs destins au château de Schwarzau. C'est le majordome du pape, le cardinal Bisleti, qui les marie. Le grand-oncle de Charles, François-Joseph, bien que très âgé -il a quatre-vingt-un ans- assiste avec bonne humeur au mariage de son petit-neveu et de la jeune Italienne. Il est en effet très soulagé de voir l'un de ses héritiers faire un mariage convenable, après le mariage morganatique de François-Ferdinand.
    Très rapidement enceinte, Zita a vingt ans lorsqu'elle accouche de son premier fils, Otto, le 20 novembre 1912. Sept autres enfants suivront. A cette époque-là, son époux, qui a vingt-cinq ans, ne prévoit pas de monter sur le trône avant un moment. François-Joseph, malgré son âge, est encore en bonne santé et François-Ferdinand doit d'abord régner avant de lui céder la couronne. Mais c'est un coup de tonnerre qui éclate, le 28 juin 1914, quand François-Ferdinand et son épouse Sophie sont assassinés par Gavrilo Princip lors d'un voyage dans les Balkans. Le jour même, Charles et Zita reçoivent le nouvelle par télégramme. La jeune femme dira de son mari : « Même si c'était une belle journée, je vis son visage pâlir au soleil. »
    Dans la guerre qui s'ensuit, Charles est nommé général de l'armée autrichienne et prend le commandement du 20ème Corps, qui doit mener une offensive dans le Tyrol. La période de la guerre sera très difficile à vivre pour Zita. Déjà, son mari est appelé au front mais elle voit aussi ses frères se battre des deux côtés durant le conflit. En effet, les princes Félix et René ont rallié l'armée autrichienne tandis que deux autres de ses frères, Sixte et Xavier se sont, eux, engagés dans l'armée belge. Et, comble de malheur pour elle, l'Italie, son pays natal, rejoint la guerre contre l'Autriche en 1915 ce qui fait que les Autrichiens commencent à voir d'un mauvais œil « Zita l’italienne ». C'est à la demande du vieil empereur François-Joseph que Zita et ses petits quittent leur résidence d'Hetzendorf, pour aller vivre dans une suite du palais de Schönbrunn, plus près de Vienne. Zita y vit auprès du vieil empereur et celu-ci, à plusieurs reprises, confie à sa petite-nièce ses craintes pour l'avenir. Zita, comme d'autres souveraines, visitera les hôpitaux de guerre, sur le front roumain.
    François-Joseph meurt d'une bronchite et d'une pneumonie, le 21 novembre 1916. Le légendaire époux de l'impératrice Sissi avait quatre-vingt six ans et il laisse sa couronne à Charles, l'époux de Zita. En effet, selon la Pragmatica Sanctio, la Pragmatique Sanction, effective depuis le XVIIIème siècle, Charles devient, automatiquement titulaire des titres du défunt. « Je me souviens de la chère silhouette dodue du prince Lobkowitz allant vers mon mari », racontera-t-elle plus tard, « et faisant le signe de la croix sur le front de Charles avec les larmes aux yeux. Ce faisant, il dit : “Que Dieu bénisse Votre Majesté.” C'était la première fois que nous entendions le titre impérial s'adressant à nous. »

    III. Zita, impératrice d'Autriche

    Le 30 décembre 1916, Zita et Charles sont couronnés roi et reine de Hongrie, à Budapest. Charles devient donc le roi Charles IV de Hongrie et il est investi par le prince-primat cardinal János Czernoch. Ce couronnement est suivi d'un banquet mais les festivités s'arrêtent là car le nouvel empereur et son épouse jugent qu'il serait malséant de continuer les célébrations en temps de guerre.
    Au début de son règne, à cause de la guerre, Charles est souvent loin de Vienne et il fait donc installer une ligne de téléphone entre Baden, où se situe son quartier général et la Hofburg. Il appelle son épouse plusieurs fois au téléphone lorsqu'ils sont séparés. L'impératrice a un peu d'influence sur son mari et elle assiste discrètement aux audiences avec le Premier ministre mais aussi aux entretiens militaires. Zita, peut-être de part son éducation basée sur la charité, a un intérêt tout particulier pour les politiques sociales. Énergique et désireuse de montrer sa bonne volonté, l'impératrice fait face à la guerre aux côtés de son mari ; elle l'accompagne en province et n'hésite pas à se rendre sur le front et continue de s'occuper d’œuvres charitables et de se rendre au chevet des blessés de guerre dans les hôpitaux de guerre.
    Alors que la guerre entame sa quatrième année, l'affaire Sixte, du nom de l'un des frères de Zita, va éclater en Autriche. Rappelons-nous, Sixte, avec son frère Xavier, servaient dans l'armée belge et le jeune prince avait tenu une place importante dans un projet de plan pour que l'empire autrichien signe une paix séparée avec la France. L'empereur Charles a pris contact avec son beau-frère et l'a rencontré à plusieurs reprises en Suisse, en compagnie du prince Erdödy. Zita a même écrit à son frère, l'invitant à Vienne et leur mère, Antonia, a remis la lettre en personne à Sixte.
    Sixte arrive aux pourparlers porteur des revendications de la France qui souhaite le retour de l'Alsace-Lorraine dans son giron -on se rappelle que la région a été annexée par l'Allemagne en 1870-, le rétablissement de la Belgique mais aussi du royaume de Serbie et du transfert de la ville de Constantinople à la Russie. Sur le principe, l'empereur Charles ne voit aucun inconvénient à satisfaire les exigences françaises et il écrit une lettre au prince Sixte, le 25 mars 1917, dans laquelle il donne « le message secret et non-officiel que j'utiliserai tous les moyens et toute mon influence personnelle » au président français. Cela dit, cette tentative de paix échoue car l'Allemagne se montre particulièrement peu disposée à rendre l'Alsace-Lorraine et, prévoyant un effondrement de la Russie, qui connaît alors des bouleversements révolutionnaires, le pays du Kaiser renâcle vivement à abandonner la guerre. Cela dit, le prince Sixte multiplie ses efforts et rencontre même, à Londres, le ministre de George V, Lloyd George, afin de discuter avec lui des demandes territoriales italiennes à l'Autriche, incluses dans ce que l'on appelle le Pacte de Londres, traité secret signé le 26 avril 1915 entre le gouvernement italien et les représentants de la Triple-Entente. Par ce traité, l'Italie consentait à entrer en guerre contre les Empires centraux en échange de compensations territoriales. Mais le ministre britannique échoue à convaincre ses généraux de faire la paix avec l'Autriche, notamment car celle-ci refuse toute cession territoriale à l'Italie.. Pendant cette même période, Zita parvient à empêcher le plan allemand qui prévoyait un bombardement de la maison du roi et de la reine de Belgique, le jour de la fête de leur saint-patron. Le prince Sixte est de nouveau à Vienne le 6 mai 1917, il rencontre l'empereur son beau-frère mais la situation reste bloquée.
    En avril 1918, après la ratification du traité de Brest-Litovsk, le comte Ottokar Czernin, ministre des Affaires étrangères autrichien, prononce un discours particulièrement offensif contre Georges Clémenceau, le dépeignant comme principal obstacle à une paix favorable aux Empires centraux. Furieux, Clemenceau fait alors publier la lettre du 25 mars 1917, lettre que l'empereur Charles avait remise à son beau-frère. Pendant un moment, la vie du prince Sixte semble menacée et l'on craint de plus en plus une invasion allemande sur l'Autriche. Les attaques contre la famille impériale ne cessent plus, tant dans la haute aristocratie que dans la presse pangermaniste. L'ambassadeur allemand à Vienne écrira à Berlin : « L'impératrice descend d'une famille princière italienne… Le peuple ne fait pas entièrement confiance à l'Italienne et aux membres de sa famille. »
    Czernin persuade alors l'empereur d'envoyer solennellement sa parole d'honneur aux alliés de l'empire austro-hongrois et de jurer que Sixte n'a aucunement été autorisé à montrer cette lettre au gouvernement français, que la Belgique n'y est pas mentionnée et enfin, que Clemenceau a menti à propos de la mention de l'Alsace. Pendant toute l'affaire, le ministre des Affaires étrangères reste en contact étroit avec l'Allemagne et tente comme il peut de persuader l'empereur de se retirer. Après son échec, Czernin démissionnera.

     

    Charles et Zita, en exil en Suisse avec leurs enfants, en 1921

    IV. La chute et l'exil

    La situation de l'empereur est très critique et la fin semble proche. La cour part s'installer près de Baden, où se trouve le Grand quartier général, où elle sera plus en sûreté. Le 13 avril 1918, une union de députés tchèques prête serment à un nouvel état, indépendant de l'empire des Habsbourg, la Tchécoslovaquie. En août, le prestige de l'armée allemande flanche au cours de la bataille d'Amiens. Le 25 septembre, Ferdinand Ier, souverain de Bulgarie et ses alliés sollicitent une paix séparée. Zita est auprès de son époux lorsque le télégramme annonçant la chute de la Bulgarie lui parvient. Cette chute d'un royaume allié rend encore plus urgent le commencement des négociations avec les puissances de l'ouest, tant qu'il en est encore tant. Le 16 octobre, l'empereur Charles publie un Manifeste du peuple, dans lequel il propose une restructuration fédérale de la Cisleithanie, dans laquelle chaque nationalité bénéficierait de son propre État. Mais la proposition vient trop tard. Partout dans l'empire, les populations slaves déclarent leur indépendance et, de fait, l'empereur se désagrège de lui-même.
    Laissant leurs enfants en sûreté à Gödöllo, en Hongrie, Charles et Zita reviennent à Schönbrunn. Déjà, des ministres ont été nommé pour administrer la nouvelle République d'Autriche allemande. Le 11 novembre ils préparent, avec le porte-parole de l'empereur, un manifeste que Charles doit signer. Zita, pensant alors que son époux doit abdiquer, aurait eu cette phrase : « Jamais, un souverain ne peut abdiquer, il peut être déposé, déchu de ses droits. C'est la force. [...] Mais abdiquer, jamais, jamais. J'aime mieux mourir avec toi. Alors Otto nous succédera. Et même si nous devions tous tomber, il reste encore d'autres Habsbourg. ». Mais son époux signe le manifeste et donne sa permission à sa publication. Il part alors, avec son épouse, ses enfants et ce qui reste de la Cour, vers le relais de chasse de Eckartsau, non loin de la frontière avec la Hongrie et la toute nouvelle Tchécoslovaquie. La République d'Autriche allemande est déclarée dès le lendemain.
    Après avoir passé quelque mois relativement difficiles à Eckartsau, la famille reçoit alors une proposition inattendue, arrivant tout droit d'Angleterre. Le roi George V se montre tout à fait disposé à les aider, visiblement ému par le prince Sixte, qui lui a demandé d'aider la famille impériale déchue. Peut-être le souverain britannique vivait-il encore avec la culpabilité d'avoir laissé sans aide son cousin, le tsar Nicolas II, exécuté par les révolutionnaires au mois de juillet 1918 ? Quoi qu'il en soit, il promet de faire tout ce qui est nécessaire pour Charles, Zita et leur famille.
    Plusieurs officiers de l'armée britannique sont envoyés auprès de Charles et, le 19 mars 1919, le War Office leur donne l'ordre formel de « faire quitter l'Autriche à l'empereur sans attendre ». Un train est affrété pour la Suisse, ce qui permet à l'empereur de quitter le pays dans la dignité, sans avoir à abdiquer. Au soir du 23 mars, Charles, Zita et les enfants quittent l'Autriche.
    La famille exilée s'installe d'abord au château de Wartegg à Rorschach, propriété des Bourbon-Parme. Cela dit, la présence si proche des Habsbourg non loin de la frontière autrichienne ne manque pas d'inquiéter les autorités suisses qui poussent Charles et les siens à venir s'installer plus à l'ouest dans le pays. Un mois après leur arrivée à Wartegg, ils repartent donc pour la Villa Prangins non loin du lac de Genève, où l'ex-empereur reprennent une vie de famille calme et paisible. Mais cette période de tranquillité cesse brutalement en mars 1920 lorsque Miklós Horthy est élu régent du royaume de Hongrie après une période de grande instabilité. En théorie, Charles est toujours le roi de Hongrie mais le régent lui envoie un émissaire en Suisse qui lui conseille de ne pas se rendre en Hongrie tant que la situation est encore si embrasée. En mars et octobre 1921, alors que les exigences du régent de Hongrie n'ont cessé d'être revues à la hausse, Charles tente, par deux fois, de reprendre le pouvoir en Hongrie. Il est soutenu en cela par son épouse, Zita mais les deux tentatives échouent. L'ex-impératrice n'hésitera pas à accompagner son époux lors du dernier voyage en train vers Budapest.
    Le couple réside temporairement au chateau du comte Móric Esterházy à Tata, puis est finalement emprisonné dans l'abbaye de Tihany. La Suisse refuse d'accueillir une seconde fois la famille impériale et il leur faut donc trouver un nouveau lieu d'exil. Malte est un temps envisagée mais l'idée est finalement rejetée, comme celle de s'installer en France, sur le conseil de lord Curzon, qui leur expose les possibilités d'intrigues des frères de Zita en faveur de Charles. Finalement, c'est la petite île portugaise de Madère qui est choisie et, le 31 octobre 1921, l'ex-couple impérial prend le train depuis Tihany pour se rendre à Baja, où le monitor britannique HMS Glowworm les attend. Ils arrivent finalement dans la capitale de Madère, Funchal, le 19 novembre. Le couple logera d'abord en la Villa Victoria puis en la Villa Quinta, plus loin du centre mais surtout moins onéreuse et plus sûre. En effet, la pension annuelle de 20 000 livres qui avait été envisagée ne sera jamais versée à Charles et Zita qui doivent donc faire attention à leurs finances. Leurs enfants ne les ont pas suivis dans leur exil à Madère, résidant toujours à Wartegg, en Suisse, sous la garde de Marie-Thérèse, la tante de Zita. Zita parvient cependant à les entrevoir brièvement à Zurich lors de l'opération de l'appendicite de son fils Robert. Les enfants du couple les rejoindront à Madère en février 1922.
    Mais depuis longtemps, la santé de l'ex-empereur est mauvaise et, le 9 mars 1922, il contracte une bronchite sévère en rentrant à la ville, après être allé acheter des jouets pour Charles-Louis, dont c'est l'anniversaire. Faute de soins appropriés, la bronchite se transforme rapidement en pneumonie. Plusieurs enfants et membres du personnel sont également atteints. Zita est alors enceinte de huit mois mais aide à tous les soigner. Quoi qu'il en soit, son époux, très affaibli, s'éteint finalement le 1er avril 1922. Ses derniers mots s'adressaient à sa femme et lui proclamaient tout son amour : « Je t'aime tant. » Zita affronta les funérailles de son époux avec tant de dignité qu'un témoin n'hésite pas à parler d'elle en ces termes : « Cette femme devrait vraiment être admirée. Elle n'a pas, pendant une seconde, perdue sa contenance… elle salua les gens de tous les côtés et parla ensuite à ceux qui avaient aidé au déroulement des funérailles. Ils étaient tous sous son charme. » Sincèrement éprise de son époux, Zita décida de ne jamais se remarier et de porter le deuil de Charles toute sa vie.
    Après la mort de Charles, le roi d'Espagne Alphonse XIII prend contact, via son ambassadeur au Royaume-Uni, avec le Foreign Office et se mettent d'accord pour un rapatriement de Zita et de ses enfants en Espagne. Alphonse envoie donc le navire Infanta Isabel vers Funchal et celui-ci amène Zita et ses enfants vers le port de Cadix. Ils sont ensuite escortés vers le palais du Pardo, non loin de Madrid. C'est là que Zita accouche de son dernier enfant, l'archiduchesse Elisabeth, peu après son arrivée en Espagne. Le roi Alphonse propose alors à la famille l'usage du Palacio Uribarria à Lekeitio, dans le nord de l'Espagne, sur le golfe de Gascogne. Cette alternative convient très bien à Zita, soucieuse de ne pas encombrer ceux qui ont la bonté de l'accueillir. Pendant les six annés suivantes, Zita et les siens habitent donc Lekeitio et l'ex-impératrice consacre une bonne partie de sa vie à l'éducation de ses enfants. Elle doit organiser sa vie comme elle peut, n'ayant que peu de moyens financiers.
    En 1929, les aînés des enfants approchent de l'âge d'entrer à l'université et l'on se met alors en quête d'un environnement plus adéquat que l'Espagne. Au mois de septembre 1929, la famille emménage à Steenokkerzeel, près de Bruxelles, où Zita a la joie de retrouver des membres de la famille. Toujours très active, l'ex-impératrice ne cesse de se battre en faveur des Habsbourg, n'hésitant pas à aller jusqu'à entamer des négociations avec l'Italie mussolienne. Une restauration est même envisagé et le fils aîné de Zita et Charles, Otto, se rend même plusieurs fois en Autriche. Mais ces opportunités prennent brutalement fin avec l'annexion de l'Allemagne nazie sur l'Autriche. Les Habsbourg tentent alors de prendre les rênes de l'opposition au nazisme en Autriche mais échouent.
    La Seconde Guerre Mondiale éclate en 1939. La Belgique est envahie par les armées allemandes le 10 mai 1940 et Zita et sa famille deviennent alors des réfugiés de guerre. Ils manquent d'être tués lors d'un bombardement allemand sur le château de Ham, à Steenokkerzeel. C'était là qu'ils résidaient mais, par chance, ils l'avaient quitté deux heures plus tôt pour aller se réfugier en France, au château du Vieux-Bost, qui appartenait au frère de Zita, le prince Xavier. Quelques jours plus tard, les Habsbourg fuient de nouveau vers la frontière espagnole, qu'ils atteignent le 18 mai. Ils continuent leur course jusqu'au Portugal où le gouvernement américain leur donne des visas, le 9 juillett, visas qui vont leur permettre de gagner les Etats-Unis. Le 27 juillet, après la traversée de l'Atlantique, Zita et les siens sont à New York. Ils ont de la famille qui loge à Long Island mais aussi à Newark, dans le New Jersey. Zita et plusieurs de ses enfants vont loger pendant un moment à Tuxedo Park, petite bourgade au nord de New York.
    Les réfugiés vivront aussi un moment au Québec, province qui a l'avantage d'être francophone ; en effet, les plus jeunes enfants de Zita ne parlent pas encore bien l'anglais. Ils sont hébergés par les Soeurs de Sainte-Jeanne-d'Arc qui leur prêtent la Villa Saint-Joseph à Sillery. Zita et les siens sont alors dans une très grande gêne financière, étant coupés de tous leurs fonds européens. Zita en est même réduite à préparer des pissenlits en salade. Quant à ses fils aînés, même exilés en Amérique, ils continuent de participer à l'effort de guerre. Ainsi, Otto fera la promotion de sa famille en Europe après la guerre, Robert est, lui, le représentant de la famille à Londres et Charles-Louis et Félix n'hésitent pas à s'engager dans l'armée de terre américaine...
    En 1945, Zita fête ses cinquante-trois ans le premier jour de la paix, le 9 mai. Elle passe les deux années suivantes à sillonner les Etats-Unis et le Québec afin de lever des fonds pour venir en aide à l'Autriche et à la Hongrie, ravagées par la guerre. Après une période de repos, l'ex-impératrice se rend régulièrement en Europe pour assister aux différentes unions de ses enfants. Elle rentre finalement définitivement en Europe en 1952 afin de venir s'occuper de sa mère vieillissante, qui réside au Luxembourg. Zita perd sa mère en 1959 ; Antonia avait quatre-vingt-seize ans. L'évêque de Coire propose alors à Zita de s'installer à Zizers, dans le canton des Grisons, en Suisse. Comme le château est relativement vaste pour accueillir toute sa grande famille et qu'une chapelle se trouve à proximité -c'est une condition importante pour Zita qui est profondément croyante-, elle accepte la proposition avec joie.

    V. La fin

    Zita passera ses dernières années entourée de sa famille. En 1971, elle a la douleur de perdre sa fille Adélaïde et de ne pouvoir assister à ses funérailles en Autriche, l'autorisation pour les Habsbourg de revenir sur le sol autrichien n'ayant été accordée qu'aux membres de la famille nés après le 10 avril 1919 -Zita n'est donc pas du tout concernée. Elle s'implique aussi beaucoup dans le processus de béatification de son défunt époux, qui est entamé à ce moment-là. En 1982, les restrictions sont finalement levées et la vieille femme peut enfin revenir en Autriche, pour la première fois depuis soixante ans. Au cours des années suivantes, Zita fera de nombreux voyages en Autriche et apparaîtra même à la télévision nationale. Dans une série d'entretiens avec le journal Kronen Zeitung, Zita livrera aussi son opinion sur la mort du prince Rodolphe, le fils de François-Joseph et de Sissi et de sa maîtresse Marie Vetsera, à Mayerling, en 1889. Selon elle, le couple ne s'était pas suicidé mais avait été assassiné par des agents français et autrichiens.
    Entourée de tous les siens, elle fête ses 90 ans, le 9 mai 1882 et c'est à partir de là que sa bonne santé va commencer à flancher. Elle développe alors une cataracte aux deux yeux, inopérables. A 93 ans, Zita effectue son dernier séjour au monastère Sainte-Cécile, dans la Sarthe, qui faisait partie de l'ordre bénédictin de Solesmes. Zita était oblate -l'oblat est, par définition, un laïc qui se donne à un ordre religieux- de Solesmes comme sa mère avant elle mais aussi certains de ses frères et sœurs et avait donc un lien privilégié avec cet ordre religieux. En 1987, elle réunit une dernière fois ses enfants et petits-enfants autour d'elle, qui commémorent ses 95 ans. En 1988, lors d'une visite à l'une de ses filles, elle contracte une pneumonie et passe la majorité de l'automne et de l'hiver alitée. Finalement, début mars 1989, elle appelle auprès d'elle son fils Otto, alors qu'elle est mourante. Toute sa famille se relaie auprès d'elle pour lui tenir compagnie, jusqu'à sa mort, le 14 mars 1989, l'année de ses 97 ans.
    Ses funérailles sont organisées à Vienne, le 1er avril 1989, soit 67 ans jour pour jour après la mort de son époux, Charles. Le gouvernement autrichien avait autorisé le déroulement des funérailles sur son territoire à condition que la famille de Habsourg en prenne tous les coûts à sa charge. Le cercueil de Zita est alors porté jusqu'à la crypte des Capucins, nécropole des Habsbourg depuis des siècles, dans le carrosse qui avait porté également le cercueil de François-Joseph en 1916. Zita est inhumée près du buste de son époux. Elle avait en revanche demandé à ce que son cœur soit conservé dans une urne au monastère suisse de Muri, près de celui de Charles, qui s'y trouvait depuis de nombreuses années. Près de 200 membres des familles de Habsbourg et de Bourbon-Parme assistèrent aux obsèques de Zita et près de 6000 personnes vinrent assister à la cérémonie religieuse et il se trouvaient dans la foule de nombreux représentants politiques et parmi eux, le représentant du pape Jean-Paul II. Le 3 avril, c'est encore une fois une foule considérable qui se recueille durant la messe de Requiem dite pour le repos de l'âme de l'impératrice, en présence d'Otto, fils aîné de Zita et Charles.

    Zita âgée, dans les années 1980

    VI. Processus de béatification

    Généralement, la partie diocésaine d'un processus de béatification est mené dans le diocèse où la personne est morte mais le diocèse de Coire, où Zita est décidée, ne s'estimait pas en mesure de mener à bien toutes ces démarches. Le 13 mars 2006 puis le 4 mars 2008, Mgr Jacques Faivre, évêque du Mans, pétitionne la Congrégation pour les causes des saints (Congregatio de Causis Sanctorum), une des neufs congrégations de la Curie romaine, pour un indult -c'est-à-dire, une faveur accordée par le Saint-Siège- qui permettrait au processus diocésain de se dérouler dans le diocèse français du Mans. Le 11 avril, après avoir reçu l'accord du diocèse de Coire, la Congrégation donne à son tour son aval au diocèse du Mans. Le 21 novembre 2008, l'évêque Yves Le Saux remplace Mgr Faivre parti en retraite. C'est lui qui ouvre alors le procès de béatification de l'ex-impératrice d'Autriche, après avoir reçu l'avis positif des huits autres évêques de la province de Rennes. Le postulateur de la cause est Cyrille Debris, abbé, le juge délégué est l'abbé Bruno Bonnet, le promoteur de justice est l'abbé François Scrive (à la suite de la démission du Père Philippe Toxé, envoyé à Rome) et les notaires sont Didier Le Gac et Nathalie Fumery. En ce qui concerne Charles, l'époux de Zita, on a vu que la vieille dame s'était battue pour qu'il soit béatifié et il le sera finalement en 2004.

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour en savoir plus : 

    -Zita, portrait intime d'une impératrice, Cyrille Debris. Biographie (plutôt orientée sur la religion).
    -Zita, impératrice courage, Jean Sévillia. Biographie. 
    -La Saga des Habsbourg, Jean des Cars. Biographie, essai historique. 

     

     

     

     


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  • « La grandeur de l'âme ou celle de la fortune ne m'imposent point ; j'admire la première sans en être écrasé ; la seconde m'inspire plus de pitié que de respect : visage d'homme ne me troublera jamais. »

    Mémoires d'Outre-Tombe, livres I à XII ; François-René de Chateaubriand

     

    Publié en 2001

    Date de parution originale : 1849

    Editions Le Livre de Poche (collection Les Classiques de Poche)

    800 pages

    Premier tome des Mémoires d'Outre-Tombe 

    Résumé :

    Quand vers 1830 Chateaubriand revient aux Mémoires de ma vie entrepris plus de vingt ans, il les juge trop intimes et réoriente son projet. A travers le récit de sa propre existence, les Mémoires d'outre-tombe seront également l'épopée de ce temps qu'il a vécu et comme témoin et comme acteur. Au-delà de ce qu'il fut lui-même, son destin deviendra exemplaire de celui d'une génération qui connut à la fois l'effondrement de l'ancien monde et le commencement du nouveau, issu de la Révolution. 
    La première partie de ces Mémoires traversés par l'Histoire, où la mélancolie dit la difficulté à croire en la réalité du monde, où la vanité des choses toujours transparaît, est la plus personnelle. Car l'écrivain n'y retrace pas seulement ce qu'il appelait sa première carrière de soldat et de voyageur, mais le commencement d'une vie qui se découvre à nous comme un récit de formation : celui du jeune chevalier breton bientôt parti pour l'Amérique et de l'aristocrate qui combat dans l'armée des Princes, émigre en Angleterre, avant de revenir en France pour y devenir Chateaubriand. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Les mémoires de Chateaubriand font partie de ces classiques considérés comme incontournables mais qui, en même temps, font peur. Se lancer dans des mémoires, ça n'est pas toujours facile...le style peut faire hésiter, comme le genre en lui-même. Se plonger dans les mémoires de quelqu'un peut avoir quelque chose de dérangeant parfois, comme si on quittait soudain notre statut de lecteur pour pénétrer dans une sphère privée et qui devrait le rester.
    Mais en ce qui concerne Mémoires d'Outre- Tombe, c'est vraiment autre chose. Bien sûr que Chateaubriand nous raconte son enfance bretonne puis sa vie d'adulte, assez mouvementée, d'ailleurs. Dans des mémoires, on raconte sa vie, c'est inévitable. Mais en plus d'être un homme de lettre renommé, Chateaubriand est aussi un homme politique important, qui va traverser une époque riche, qui sert de toile de fond à son récit -cette future carrière n'est cependant que mentionnée rarement dans ces premiers livres consacrés à l'enfance et à la jeunesse. Né à la fin de l'Ancien Régime, il prend la plume au siècle suivant, sous l'Empire puis la Restauration.
    Il naît le 4 septembre 1768 à Saint-Malo, ville portuaire renommée pour ses corsaires : Surcouf, Duguay-Trouin. Issue de la vieille noblesse d'épée, la famille de Chateaubriand remonte au Moyen Âge et elle est bien ancrée dans son territoire, la Bretagne, dont elle est une des familles les plus importantes. Mais lorsque naît François- René, dernier rejeton d'une famille de dix enfants -dont six seulement survivront-, les branches aînées se sont éteintes et les Chateaubriand sont de pauvres gentilshommes à la renommée toujours intacte mais sans argent. L'enfance du futur auteur du Génie du Christianisme se passe simplement, entre Saint-Malo et le château de Combourg, près de Rennes, vieille demeure vaste et vide qui serait, dit-on, hantée par un ancien propriétaire, blessé à la bataille de Malplaquet et qui se promènerait dans les couloirs du château flanqué d'un chat noir.
    C'est donc dans une ambiance assez particulière que grandit François-René, de manière assez provinciale qu'il est élevé, loin de la Cour et de ses fastes : il voit le jour sous Louis XV, commence sa carrière militaire sous Louis XVI et lui sera présenté officiellement en 1787, mais il ne fréquente pas le monde.
    Peu aimé de ses parents, relativement indifférents, il s'attache à l'une de ses sœurs, Lucile, de quatre ans son aînée. Enfant turbulent mais intelligent, il se distingue dans les études, notamment dans sa facilité pour le grec et le latin mais aussi pour les mathématiques. Il recevra son éducation au collège de Dol puis à Rennes. Un temps destiné à une carrière ecclésiastique, il se dirige finalement vers le métier des armes puis embrassera la carrière politique et littéraire qu'on lui connaît.
    Pessimiste, fataliste, Chateaubriand incarne bien ce héros romantique à la Werther, si à la mode à l'époque (« Tout me lasse : je remorque avec peine mon ennui avec mes jours, et je vais partout bâillant ma vie. ») C'est vraiment cela qui m'a frappée à la lecture de ce premier tome : cette instabilité et cette tristesse que l'on perçoit chez lui dès ses plus jeunes années. Une tristesse qui va jusqu'à lui faire écrire qu'il aurait encore mieux aimer mourir à sa naissance que vivre, ce qui est tout de même assez violent (« Mieux vaut déguerpir de la vie quand on est jeune, que d'en être chassé par le temps. »).
    Et, en même temps, il aura une vie hors du commun et s'il éprouve le besoin de la raconter c'est bien qu'il estime, en un sens, qu'elle a valu la peine d'être vécue et d'être partagée. Coucher sa vie sur papier, ça n'est pas vouloir la faire disparaître, au contraire : c'est lui conférer l'éternité, quelque part.
    Il a vingt ans lorsque démarre la Révolution. Le jeune Chateaubriand est moins radical que celui qui, plusieurs décennies plus tard, rédige Mémoires d'Outre-Tombe. Il se pose en observateur un peu étranger, ni totalement royaliste ni totalement réformateur : en cela il est beaucoup moins critique qu'il ne sera lorsqu'il aura le recul nécessaire pour juger cette période de sa vie.

    Le portrait le plus connu de Chateaubriand (Chateaubriand méditant sur les ruines de Rome), par Anne-Louis Girodet 


    En 1791, il quitte la France pour l'Amérique, où il effectue un grand voyage avant de s'engager dans l'Armée des Princes, en Allemagne, l'année suivante. En 1793, on le retrouve en Angleterre, où il passera un long exil.
    Opposant de Napoléon Bonaparte, qu'il considère ni plus ni moins que comme un tyran, sa carrière politique ne va réellement commencer qu'après la chute de celui-ci et il sera notamment ministre des Affaires Étrangères sous Louis XVIII. En 1822, Chateaubriand est de retour à Londres, une ville qu'il connaît bien mais il est alors ambassadeur officiel du pouvoir royal. Il va y écrire une partie de ses mémoires qu'il reverra ensuite à la fin des années 1840, quelques temps seulement avant sa mort.
    Mémoires d'Outre-Tombe est une oeuvre vivante, avec ses évolutions et changements. Il semble que l'auteur n'ait jamais cessé de de les reprendre, de les revoir, de les remanier... les textes n'ont cependant rien d'artificiel et j'ai beaucoup aimé me plonger dans la vie de Chateaubriand, que je connaissais déjà, certes, mais assez peu et assez mal. Je savais que, à l'instar d'un autre homme de lettres, Lamartine, il avait eu, en plus de sa carrière littéraire, une importante activité politique... à part ça, mes connaissances étaient relativement limitées. Et quoi de mieux, pour appréhender une personnalité dans toute sa complexité, que de se plonger dans ces mémoires, si tant est qu'il y'en ait, bien évidemment.
    Je me suis surprise à lire ce premier volume des Mémoires d'Outre-Tombe comme un roman : certes, le propos est un peu redondant parce que les mémoires à part entière sont précédés des Mémoires de ma Vie, un texte plus court, concentré essentiellement sur l'enfance et l'adolescence et qui a, je suppose, servi de support à la rédaction des véritables mémoires. Certains passages de ce dernier texte sont repris tels quels dans les livres I à XII présentés par la suite, j'ai donc parfois eu un sentiment un peu désagréable de répétition.
    Dans l'ensemble, j'ai quand même été séduite et ai aimé la langue de Chateaubriand, unique et très personnalisée, l'auteur n'hésitant pas à émailler son texte d'archaïsmes -notamment de mots et d'expressions empruntés au vocabulaire de la Renaissance-, de provincialismes, latinismes ou anglicismes. J'avoue que certains passages, parfois, m'ont paru confus, difficiles à comprendre. On a un sentiment de spontanéité, comme si l'auteur avait jeté les mots sur le papier sans se relire, ce qui donne parfois des phrases un peu bancales. Ça nous est tous arrivé : parfois on se relit et notre phrase ne veut absolument rien dire et on ne sait même plus ce qu'on voulait dire !
    Je ressors quoi qu'il en soit de cette lecture avec un ressenti très positif et moins d'appréhension concernant les deux derniers volumes, parce que je suis maintenant habituée à l'univers et au style de Chateaubriand, qui m'ont plu tous les deux.
    J'ai beaucoup aimé la longue relation du voyage en Amérique, qui précède, pour Chateaubriand, son enrôlement dans l'Armée des Princes puis sa longue émigration en Angleterre, où il reste près de sept ans. Tout, finalement, lui donne lieu à des réflexions et digressions quelque peu philosophiques, sur la vie, la gloire, le genre humain. J'ai eu l'impression de lire ces carnets de voyage du XVIIIème siècle, comme Supplément au Voyage de Bougainville, qui nous dépaysent. 
    J'ai été frappée, comme je le soulève déjà plus haut, par l'omniprésence de la mort dans ces mémoires : du coup, j'en ai mieux compris le titre ! Certes, Chateaubriand les reprend quelques années avant sa mort mais le gros du texte de ces livres I à XII a été écrit près de trente ans auparavant ! Et pourtant, le temps et la vieillesse qui consument tout, le pessimisme, sont au centre du récit. S'il y'a bien une chose qu'on comprend rapidement, c'est que Chateaubriand ne devait pas être d'une compagnie très gaie et qu'il a, très tôt, développé ce spleen qui sera au centre des préoccupations et de l'oeuvre des auteurs dits romantiques.
    Ces mémoires nous permettent de prendre la mesure de l'homme qui les à écrits mais aussi d'une époque.
    Je comprends maintenant pourquoi les Mémoires d'Outre-Tombe sont des classiques considérés comme incontournables.

    En Bref :

    Les + : une oeuvre vivante et intéressante, tant par son aspect privé que plus historique et général. 
    Les - : des passages un peu difficiles à appréhender ; des redondances. 

     


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  • « Nombre de gens gardent les informations pour eux. Un meurtre, ils trouvent ça scabreux et pensent que le simple fait de savoir quelque chose fait rejaillir le scandale sur eux. Ils se sentent coupables par association. »

    Charlotte et Thomas Pitt, tome 1, L'Etrangleur de Cater Street ; Anne Perry

    Publié en 1979 en Angleterre ; en 2012 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Cater Street Hangman

    Editions 10/18 (Collection Grands Détectives)

    382 pages

    Premier tome de la série Charlotte et Thomas Pitt

    Résumé :

    Suffragette avant l'heure, la téméraire Charlotte Ellison n'aime ni l'étiquette ni le badinage des jeunes filles bien nées. Dévorant en cachette les faits divers des journaux, sa curiosité la mêlera à une affaire des plus périlleuses, aux côtés du séduisant inspecteur Pitt de Scotland Yard. Dans le Londres des années 1880, le danger guette et les femmes en sont souvent la proie... 

    Sherlock Holmes en jupons, la divine Charlotte dénoue son premier crime et inaugure une longue série d'enquêtes haletantes, dévoilant une Angleterre victorienne pleine de secrets. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Enfin ! Après des années à avoir vu des chroniques sur les blogs et laissé dormir le premier volume de cette longue série sur les rayonnages de ma bibliothèque, je me suis enfin lancée dans la découverte des fameuses enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt. D'Anne Perry, je ne connaissais que Du Sang sur la Soie, un roman policier médiéval situé dans la Byzance du XIIIème siècle et porté par une héroïne charismatique qui m'avait plu. Ce roman avait été une découverte enthousiasmante pour moi, alors même que je ne lisais pas de polars. Il n'y avait donc aucune raison pour que cette saga victorienne, découverte alors que je connais bien maintenant les codes du policier historique, ne me plaise pas.
    En 1881, la jeune Charlotte Ellison, qui habite Londres, est une belle jeune femme de vingt-trois ans, aux folles boucles auburn et aux yeux gris. Tandis que sa sœur aînée, Sarah, a fait un mariage convenable, la cadette désespère ses parents : en effet, à cause de son franc-parler et de son honnêteté qui frôle parfois l'impertinence, Charlotte heurte cette société petite-bourgeoise de l'époque victorienne, bien-pensante et compassée.
    La jeune femme essaie tant bien que mal de s'émanciper de ses codes et d'échapper à ses lois trop patriarcales, qui enferment les femmes dans des carcans de bonne conduite un peu faux et chacun dans une hypocrisie portée au rang de vertu afin de respecter les convenances, hypocrisie parfois entretenues par les pasteurs aux idées étriquées et surannées.
    Mais voilà que, très vite, le petit monde des Ellison et de leurs voisins va être endeuillé par une série de meurtres perpétrés non loin de chez eux, dans Cater Street. C'est d'abord une jeune fille de leur connaissance qui est retrouvée sans vie, puis l'assassin s'attaque aux jeunes servantes du quartier. Sa méthode est toujours la même : il étrangle ses victimes avec un fil de fer et les abandonne dans la rue.
    Parce que cette sordide affaire va les toucher de près, Charlotte se retrouve, d'abord un peu malgré elle, puis avec de plus en plus d'intérêt, au cœur même de l'enquête de l’agaçant et débraillé mais non moins attirant inspecteur de Scotland Yard, Thomas Pitt.
    L'enquête ne s'annonce pas de tout repos pour Thomas Pitt, confronté au mépris des habitants de Cater Street qui le prennent de haut parce qu'il n'est pas de leur milieu ou à leurs phrases péremptoires de petit-bourgeois suffisants qui insinuent que les victimes étaient immorales et, en cela, ont payé leur péché.
    Je m'attendais à une vraie enquête policière et au final, ce n'est pas ce que j'ai eu. Alors oui, j'ai été étonnée bien sûr, mais une fois passée la première surprise, je dois dire que je n'ai pas été déçue. Anne Perry prend justement le contre-pied d'une enquête lambda, avec ses codes et ses déroulements et rebondissements toujours à peu près semblables. Là, l' héroïne est une jeune femme de la gentry londonienne, à mille lieues bien sûr, de résoudre des enquêtes criminelles. Et le roman est essentiellement raconté à travers le regard de Charlotte, donc à travers celui que portent les civils en général sur une enquête. Et quand ces civils vivent dans une époque aussi guindée et codifiée que les années 1880 en Angleterre, cela donne lieu alors à des situations ou très drôles ou tellement étonnantes qu'elles nous font, à nous lecteurs du XXIème, ouvrir de grands yeux !
    L'intrigue se resserre donc autour de la famille Ellison : Charlotte, ses deux sœurs, ses parents, son beau-frère, sa grand-mère et les domestiques mais on peut supposer avec raison que le climat est le même pour toutes les familles de Cater Street, un climat qui devient de plus en plus insupportable à mesure que les meurtres sr multiplient sans que la police parvienne à mettre la main sur l'assassin. Et c'est une spirale infernale qui se met en place : la peur, la psychose, l'impuissance, l'inquiétude pour soi-même et pour ses proches, le quotidien bouleversé et la suspicion, qui pousse à soupçonner sa famille, ses voisins, ses amis, suspicion qui s'installe insidieusement chez les Ellison en amenant dans ses bagages une atmosphère délétère.
    Cette enquête sera aussi pour Charlotte l'occasion de se rendre compte que le monde dans lequel elle vit est bien petit et qu'à sa porte, un autre univers gravite sans même qu'elle le voie. Ses conversations avec Pitt vont également lui faire comprendre que le crime n'est pas inhérent à la pauvreté et apporter à la jeune femme un autre éclairage sur la société dans laquelle elle vit.
    S'il y'a bien une époque où les inégalités furent les plus flagrantes c'est justement pendant cette époque d'industrialisation intensive et de croissance positive. Certains s'enrichirent et d'autres restèrent sur le pavé, dans une misère noire et endémique. Ce ne fut pas propre à l'Angleterre victorienne puisque toute l'Europe, à cette époque, connut une paupérisation à divers degrés. Mais parce que le Royaume-Uni était très industrialisé, peut-être les inégalités y étaient plus visibles, comme elles le seront plus en France dans le bassin houiller du Nord que dans les campagnes.
    Charlotte, en contact avec Pitt, issu d'un milieu modeste et qui côtoie la misère au travers de son métier, va ouvrir les yeux et se rendre compte que la société dans laquelle elle vit, faite de codes et de convenances qu'on ne doit pas outrepasser est vaine et très en dehors des réalités, ce qui ne sera pas, bien sûr, pour refréner ses désirs d'émancipation et de mettre les siens, avec une franchise un peu brutale, devant leurs contradictions en faisant sauter leurs préjugés et leurs idées reçues. En cela, Charlotte m'a beaucoup plu et j'ai aussi apprécié le personnage de Pitt.
    Quant au dénouement il est vraiment mené d'une main de maître par l'auteure parce que lorsque l'identité de l'assassin est enfin dévoilée, on ne s'y attend pas et on tombe des nues ! Le suspense est vraiment ménagé jusque dans les dernières pages.
    Ce premier tome des enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt m'a bien plu. J'ai aimé l'approche de l'auteure et même si le style m'a peut-être un peu moins accrochée que dans Du Sang sur la Soie, certains dialogues font mouche. Cette saga démarre doucement, avec une enquête somme toute pas exceptionnelle ni très romanesque parce qu'elle tourne autour d'un schéma vu et revu, celui du tueur en série, mais ça marche bien quand même. Le fait que l'auteure se place du côté de ceux qui assistent, impuissants, aux meurtres commis dans leur rue sans qu'ils puissent rien faire ni savoir d'où vient le danger, est intéressant parce que le lecteur peut mieux s'identifier et comprendre les personnages. On a nos préférences cependant et certains sont même carrément antipathiques, tellement imbuvables qu'on aurait envie de leur mettre des baffes !
    Je ressors de cette lecture satisfaite et avec une grande curiosité pour la suite ! 

    En Bref : 

    Les + : une enquête intéressante, vue plutôt au travers des yeux des civils, des personnages intéressants, une atmosphère qui est, sans doute, l'un des atouts majeurs du roman. 
    Les - : peut-être quelques longueurs au début...rien de grave toutefois. 

     

     


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  • Colis reçu le : 09 février 2017

    Aujourd'hui, je vous présente un colis un peu atypique qui n'est pas vraiment un swap mais qui, dans le principe, peut s'en rapprocher un peu. La seule différence, c'est qu'il n'y a pas vraiment d'échange...mais on reçoit un colis chaque mois et c'est toujours la surprise à chaque fois, un peu comme pour les swaps ! ! Donc j'ai décidé que je vous présenterai mes Thé Box dans la catégorie des Swaps puisqu'il faut bien les classer quelque part !

    Après un thème de janvier surprenant, puisque la Box nous emmenait en safari en plein hiver, le thème de février est...comment dire ? Prévisible. Oui, mais...à ce jour, c'est l'une des meilleures box reçues, avec celle de Noël ! Non seulement, la boîte est superbe mais j'ai été très agréablement surprise quand je l'ai ouverte ! ! Elle est prometteuse et je vous propose maintenant de vous embarquer sur un nuage en forme de cœur pour la découvrir en ma compagnie. 

     

    Voici dont la Box de février, qui porte le joli nom de Tea for Two. Je suis déjà conquise par ses illustrations, elle est vraiment très très jolie. 

    Très jolie...et bien remplie ! C'est parti pour la découverte du Cahier des Saveurs...

     

    Une Thé Box sans douceurs, ça n'est pas une Thé Box et...nous sommes gâtés ce mois-ci ! Ce qui m'a interpellée en premier lieu, ce sont les petites sucettes en cerise parce que ça me rappelle les bonbons que je mangeais quand j'étais petite ! J'ai été ravie d'en retrouver dans cette Box, du coup. Pour les accompagner, des biscuits aux fruits (rouges, bien sûr, St-Valentin oblige) et des amandes sucrées. Miam. 

    Pour février, Tamia et Julia nous ont concocté une tisane de fleur au joli nom : Bloom. Du basilic, de la verveine, des pétales d'oranger et de rose...une note de ylang-ylang. Pas mal du tout ! Hâte de la goûter. 

    Des thés très français ce mois-ci ! ! Joy nous est proposé par Quai Sud, une marque qui existe depuis une vingtaine d'années. Joy est un thé vert de Chine, avec des arômes de fruits et de fleurs, comme la pomme, la fraise et la violette. Il est prometteur ; Tisane Passion nous est proposé par Michel Pierre, herboriste au Palais Royal, à Paris. Un breuvage aux vertus digestives, avec de la badiane et de l'anis, de la citronnelle et du serpolet, apparemment une boisson idéale pour le soir ; enfin, le petit dernier porte un nom évocateur et nous est proposé par la maison de thé La Grange. Un thé noir à...la fraise, bien sûr ! Comme c'est mon fruit préféré, je suis sûre que je vais adorer. 

    Les paquets sont simples mais pleins de majesté. Ce mois-ci, la Thé Box a fait fort. Très fort, avec ces thés de la Compagnie des Indes orientales, qui existe depuis l'époque du Roi-Soleil. Red Star est un mélange de thés noirs de Chine et d'Inde, avec des arômes de fruits rouges (fraises, myrtilles, cassis) ; Sun King est encore une fois un mélange de thés chinois et indiens avec des arômes de bergamote et de yuzu...on est donc plutôt sur un Earl Grey, ce n'est pas le thé que je préfère en général mais...son nom est prometteur...s'il me transporte à Versailles, c'est le principal ; j'aime beaucoup le nom du suivant, Chakra Booster, un thé vert aux arômes frais de citronnelle et agrumes avec une pointe de cannelle...pourquoi pas ? ; quant à Nirvana, c'est une infusion à la citronnelle, réglisse, feuilles d'oranger et écorces d'oranges amères...apparemment, un mélange parfait pour la digestion...à voir. 

    Enfin, Comptoir Français du thé nous propose quatre sachets de deux de leurs créations. African Sweety est un rooibos aux arômes de fraises et de chantilly. C'est surprenant, mais ça ne peut être que bon ; et le Thé des Amoureux est un mélange de thés noirs et de thés verts aux doux arômes de fleurs et de fruits. J'ai vraiment hâte de les goûter ! 


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  • « Pour bien régner, il ne faut point user de tout son pouvoir. »

    Henri IV le Grand ; Georges Bordonove

    Publié en 2013

    Editions Pygmalion (Collection Les Rois qui ont fait la France)

    365 pages

    Résumé : 

    La vie d'Henri IV est pareille à ces gaves pyrénéens qui l'ont vu naître. Venu de son petit royaume de Navarre et de sa principauté de Béarn, il se retrouve roi sans couronne, sans femme, sans argent. Il conquiert alors pièce à pièce son royaume, met fin aux guerres de religion, relève la France de ses ruines, restaure en dix années seulement son économie, lui rend sa place en Europe. Fondateur de la dynastie des Bourbons, personnalité complexe, chaleureuse, fascinante, homme de guerre mettant toujours la loi au-dessus de la force et la paix au-dessus de la gloire, Henri IV reste le plus populaire et le plus aimé de nos rois. Au-delà de « la poule au pot », du « panache blanc » et du Vert Galant, il est indubitablement le roi de cœur des Français.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    La poule au pot, le panache blanc, « Paris vaut bien une messe »...
    Ça ne vous rappelle rien ? Mais si, bien sûr : Henri IV. Ce sont aujourd'hui des images d’Épinal et des symboles d'un règne à part, qu'ils soient juste, comme l'épisode de la poule au pot ( « Je veux qu'il n'y ait si pauvre paysan en mon royaume qu'il n'ait tous les dimanches sa poule au pot. » ) ou le panache blanc ( « Mes compagnons, Dieu est pour nous ! Nos ennemis sont les siens ! Ils sont deux fois plus nombreux que nous mais nous les vaincrons ! Si vous perdez vos cornettes, ralliez-vous à mon panache blanc : vous le trouverez sur le chemin de la gloire et de l'honneur !  », phrase prononcée lors de la bataille d'Ivry en 1590) ou apocryphes, comme le fameux « Paris vaut bien une messe » qui n'aurait jamais été prononcé par le roi.
    Henri IV est un roi extrêmement populaire -peut-être même plus encore que Louis XIV-, encore aujourd'hui : on a pu le voir en 2010 lors de la commémoration de sa mort, survenue en 1610. Il le fut un peu moins de son vivant, certainement à cause de ses multiples abjurations et volte-face qui suscitèrent la méfiance des catholiques. Mais il sut toutefois s'entourer de serviteurs fidèles et retourner d'anciens catholiques zélés. En effet, son règne se place dans un contexte assez troublé et on comprend qu'il ait été difficile pour le roi, malgré son caractère, de faire l'unanimité. Contexte que je connaissais, bien sûr, avant de commencer ce livre, parce que j'aime beaucoup le XVIème siècle : c'est une époque que je trouve riche et intéressante. Mais je n'avais jamais pris le temps de m'y intéresser à travers le personnage du Bon Roi Henri.
    Qui est-il, d'ailleurs, cet Henri de Bourbon dont on retrouve les descendants, régnant actuellement en Espagne, prétendants au trône de France contre la branche des Orléans ? Sans oublier les Bourbons qui régnèrent fut un temps sur le royaume des Deux-Siciles mais aussi au Brésil ?
    Né en décembre 1553, au château de Pau, en Navarre, Henri est le fils de Jeanne d'Albret et d'Antoine de Bourbon. Il est doublement apparenté aux Valois qui règnent alors en France. Par sa mère, il est le petit-neveu de François Ier. Par son père, duc de Bourbon-Vendôme, il descend du cinquième fils de saint Louis, Robert de Clermont.
    Rien ne prédestinait l'enfant, à sa naissance, à autre chose qu'à régner sur sa petite principauté pyrénéenne de Navarre. Mais la mort successive des derniers Valois, sans héritier mâle, va propulser le jeune prince navarrais sur le devant de la scène. Élevé à la dure dans les montagnes du Sud-Ouest, baptisé selon la légende, par son grand-père, d'une gousse d'ail et de Jurançon, Henri IV est un roi qui se distingue de ses prédécesseurs et de ses successeurs. Roi simple et sincèrement proche de ses sujets, il sut séduire les Français même si ce fut difficile. Fut-il aussi populaire qu'on le dit ? Sa mort fut-elle autant pleurée des Parisiens que les chroniques l'écrivent ? Peut-être pas, mais on ne peut nier qu'il fut un bon roi et un bon administrateur, proche des gens sans démagogie mais parce que c'était sa nature. Henri IV fut aussi un bon vivant, aimant la camaraderie des camps militaires et les femmes, qui furent sa faiblesse : Fosseuse, la Belle Corisande, Gabrielle d'Estrées furent entre autres les femmes pour qui il s'enflamma, parfois avec une bonne dose de naïveté.
    Cette biographie brosse un portrait fidèle mais débarrassé de ses clichés, du roi comme de son époque. Car c'est dans une ère particulièrement troublée que naît, vit et règne Henri IV.
    Depuis 1534 et l'Affaire des Placards, une méfiance s'est installée entre catholiques et protestants, méfiance qui se transforme rapidement en conflit civil d'une terrible violence, qui entache les règnes des derniers Valois et la réputation de la régente, Catherine de Médicis. Ballotté dans son enfance entre les deux confessions, changeant plusieurs fois, sous l'impulsion de l'un et l'autre parti, de religion, Henri IV dès son plus jeune âge, devient un pion de la politique française.
    Il serait trop facile et réducteur de renvoyer dos à dos deux partis, deux factions, celle des catholiques et celle des protestants. Parce que la situation est bien sûr plus complexe et c'est ce que l'on entrevoit très bien dans cette biographie, qui brosse un portrait large du contexte, ce que ne font pas les romans, par exemple, qui se concentrent sur une période donnée : ce n'est pas leur but de toute manière.

    Henri IV portant le cordon du Saint-Esprit, par Frans Pourbus le Jeune (XVIIème siècle)


    On prend vite la mesure du trouble et de la violence de ces dernières décennies du XVIème siècle français. On comprend aussi mieux quel fut le rôle et la position d'Henri IV durant cette période qui précède sa prise de pouvoir. C'est l'époque de l'apprentissage pour le jeune homme, futur roi, qui conditionne certainement sa façon ultérieure de régner.
    J'ai trouvé cette biographie intéressante, bien documentée, complète, quoique relativement courte. Tout y est : je déplore cependant que certains chapitres n'aient pas été plus explicités, pour que le lecteur comprenne et saisisse bien toute la complexité de l'époque dans laquelle il navigue. Quelques approximations également -l'arrière-grand-père d'Henri IV n'est pas le connétable de Bourbon, par exemple-, quelques coquilles. C'est dommage, pas catastrophique mais cela aurait pu être évité à mon avis, en ce qui concerne notamment les approximations. Pour les coquilles, c'est autre chose...
    Pour le reste, j'ai aimé la chaleur avec laquelle l'auteur dresse le portrait du roi. On sent qu'il est pour lui plus qu'un objet d'études, comme si, à plus de trois cents de distance, une véritable connivence s'était installée entre le sujet et son biographe. Henri IV a finalement un effet fou sur les gens, c'est cela qu'on peut conclure en refermant ce livre : il a certainement fasciné ses contemporains parce qu'il était indéniablement un roi à part. Et il nous fascine encore aujourd'hui parce qu'on ressent justement cette singularité.
    Cette chaleur et cet intéressement sincère du roi à son royaume et ses sujets ne se retrouve chez aucun des souverains qui l'ont précédé ou lui ont succédé. On peut être fasciné par le génie militaire de Louis XIV ou par celui de Napoléon mais nous restons relativement distants par rapport à eux. Peut-être parce qu'Henri IV fut élevé comme un petit paysan dans les gaves de Navarre, il reste le seul souverain de France dans lequel tout le peuple peut se retrouver. L'universalité des valeurs qu'il véhicule en fait aussi un personnage qui transcende son époque et devient un modèle pour les Français, quelle que soit l'époque à laquelle ils vivent.
    Henri IV fut un roi populaire dans tous les sens du terme. Cette biographie était une bonne introduction et amène peut-être une documentation plus précise, ce que je ne manquerai pas de faire, tôt ou tard. 

    En Bref : 

    Les + : une biographie chaleureuse et intéressante.
    Les - : 
    des chapitres un peu confus qui auraient mérité d'être un peu plus explicités pour être mieux compris.


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