• « Il n'existe pas de fatalité, mon frère, uniquement la folie des hommes. »

    Les Rohan Montauban, tome 2, Le Jeu de Dupes ; Anne-Laure Morata

    Publié en 2010

    Editions du Masque (collection Labyrinthes)

    267 pages

    Deuxième tome de la saga Les Rohan Montauban

    Résumé : 

    Hiver 1651. Le domaine de Mont Menat, en Auvergne, où François de Rohan Montauban s'est établi avec son épouse Nolwenn, est attaqué en son absence. Il retrouve sa propriété saccagée, Violette de Goyon, la cousine de sa femme, assassinée et aucune trace de Nolwenn, vraisemblablement enlevée. 
    François, sur les traces des ravisseurs, rejoint Paris, alors en proie à l'agitation de la Fronde, pour tenter de libérer Nolwenn avec l'aide de son clan. Il va découvrir que Violette de Goyon, courtisane audacieuse, avait dérobé des lettres codées compromettant les plus hauts dignitaires du royaume. L'une d'elle révèle même un secret d'Etat susceptible de faire vaciller le trône du jeune Louis XIV...
    François n'a plus q'une issue pour sauver son épouse : récupérer les fameux courriers. Sa quête semée d'embûches l'entraînera au cœur des intrigues du Palais Royal. Mais on ne s'attaque pas impunément aux secrets des puissants... 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1651, Gilles Le Bars, reconnu comme héritier de la famille des Rohan Montauban, a recouvré son heritage. Propriétaire du domaine de Mont Menat en Auvergne, il partage sa vie avec Nolwenn, la jolie fille d'un hobereau breton, son premier amour qui est devenue sa femme.
    La vie pourrait être calme si le domaine de Mont Menat n'était soudainement mis à sac... Gilles, devenu François, retrouve un jour son château sens dessus dessous, certains de ses serviteurs assassinés ainsi que la cousine de sa femme, la mystérieuse Violette de Goyon. Quant à Nolwenn, elle a été enlevée et reste introuvable. Commence alors pour François une traque qui l'amènera jusqu'à Brühl, en Allemagne, auprès de Mazarin et dans les bas-fonds de Paris à la recherche de son épouse disparue. Sur fond de Fronde des Princes, ce second volet des aventures de François de Rohan Montauban augurait et bien et dès le départ.
    Et contre toute attente, j'ai aimé ce deuxième tome. Pourquoi contre toute attente ? Tout simplement parce que si vous avez lu ma chronique précédente, consacrée au premier tome de la saga, L'héritier des Pagans, vous avez pu constater que je ne l'ai pas aimé et que j'ai été très déçue par ce roman bien trop inégal pour être convaincant.
    Alors évidemment, en commençant Le Jeu de Dupes, deuxième volet des aventures de François de Rohan Montauban, j'avais une petite appréhension. Allais-je aimer ce roman ou bien être déçue une seconde fois ? En 2014 cela m'est arrivé avec une trilogie : Le Temps des Femmes, par Emmanuelle de Boysson. Je l'ai lue entièrement avec toujours le vague souhait de me sentir plus emballée or il s'est avéré que les trois tomes ont été une vraie déception. J'espérais donc qu'il n'en serait pas de même avec cette saga et je suis donc heureuse d'avoir trouvé des points positifs à ce roman !
    Soyons clair, ce ne sera pas un coup de cœur ! Il y'a quand même des choses qui m'ont gênée, mais après la grande déception du premier volume, je suis vraiment ravie d'avoir aimé ce deuxième tome, malgré ses quelques petits défauts, à commencer par un style parfois un peu trop moderne et qui ne colle pas vraiment à l'époque : sans écrire dans la langue du XVIIème siècle, que l'auteur fasse au moins attention de ne pas utiliser des termes trop modernes voire anachroniques : le mot match à mon sens est à bannir, à plus forte raison quand on le met dans la bouche d'un héros des années 1650...quant au personnage lisant son journal en fumant la pipe...c'est bien plus XIXème que XVIIème siècle, à mon sens ! 
    Mais pour ce qui est du fond, j'avoue que j'ai été bien plus convaincue par cette intrigue que par la première. Des secrets d'état en pleine Fronde, un enlèvement, de mystérieux personnages et enfin, un dénouement que je n'avais pas vu venir... Ce livre m'a tenue en haleine, oui je dois bien le dire ! Quant aux personnages, je les ai trouvés bien plus aboutis dans Le Jeu de Dupes que dans L'héritier des Pagans, à commencer par François. J'ai aimé aussi que les personnages historiques, authentiques soient plus présents et s'il y'a bien une chose qu'on peut porter au crédit de l'auteure c'est d'avoir fait beaucoup de recherches pour écrire sa saga et elle n'a en plus pas choisi une période des plus faciles. Mais elle s'en sort bien ! Peut-être d'ailleurs la vision de la Fronde dans ce tome-ci est bien plus nuancée que dans le premier.
    Bref, cette lecture m'a réconciliée avec l'univers d'Anne-Laure Morata et, même si j'ai parfois eu un peu de mal avec le style, notamment des dialogues, je dois avouer que Le jeu de dupes est un bon roman. Il y'a du Juliette Benzoni dans ce roman enlevé et assez rythmé où se croisent pêle-mêle personnages fictifs et historiques et où les aventures se déroulent sur fond de contexte historique intéressant ! La Fronde est une période relativement peu connue de notre Histoire ou du moins pas vraiment facile à comprendre. Il m'a fallu du temps pour bien la comprendre et saisir les motivations de chacune des parties. Ici, l'auteure parvient à la rendre claire, tout en y insérant une intrigue totalement fictive, ce qui n'est pas des plus simple.
    Non vraiment, je ne regrette pas d'avoir donné une chance à cette saga. A l'issue de la lecture de L'héritier des Pagans, si je n'avais pas possédé les deux autres livres, je crois honnêtement que j'en serais restée là ce qui aurait été dommage dans la mesure où, n'ayant pas ressenti de déception avec ce deuxième volet, j'espère qu'il en sera de même avec Meurtres à Versailles, l'ultime tome de la saga

    En Bref :

    Les + : une intrigue d'aventures plutôt aboutie, bien menée et surprenante, des personnages maîtrisés...le  roman est rythmé et dynamique. 
    Les - : encore une fois, des tournures un peu trop modernes à mon goût. 

     


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  • « Il est des vérités qu'il vaut mieux taire. »

    Les Rohan Montauban, tome 3, Meurtres à Versailles ; Anne-Laure Morata

    Publié en 2012

    Editions du Masque (collection Labyrinthes)

    253 pages

    Troisième tome de la saga Les Rohan Montauban

    Résumé : 

    Henriette-Anne, fille du roi Charles Ier décapité sur ordre des parlementaires, a fui l'Angleterre avec sa mère, au moment de la guerre civile. Réfugiée au Louvre, la petite exilée se lie d'amitié avec un mystérieux garçon, Providence, qui devient son confident secret avant de disparaître. Vingt ans plus tard, elle épouse Philippe d'Orléans, frère de Louis XIV, avec lequel elle est en conflit permanent. Par bravade, Henriette-Anne met un point d'honneur à briller à la Cour où elle s'impose face à la reine et aux favorites, enhardie par le retour de Providence dans son existence. Mais bientôt un vent d'effroi souffle sur Versailles : des cadavres mutilés marqués d'un chiffre à l'épaule sont retrouvés dans les jardins. Le roi s'efforce d'étouffer l'affaire cependant les crimes continuent... La Reynie, lieutenant général de police, charge alors Malo de Rohan Montauban, son jeune commissaire, de confondre le coupable.

    Entre complots politiques, mensonges et trahison, Malo devra, pour démasquer le meurtrier, affronter les fantômes du passé d'Henriette-Anne mais également les siens.

    Après L'Héritier des pagans et Le Jeu de dupes, on retrouve le clan des Rohan Montauban au cœur d'une vengeance implacable menée contre Louis XIV.

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    C'est parti pour le troisième tome de la saga Les Rohan Montauban !
    Nous avons quitté nos héros en 1651, en pleine Fronde et nous les retrouvons en 1668, alors que Louis XIV règne sans partage sur la France depuis sept ans. Le château de Versailles est en plein travaux et la Cour le fréquente de loin en loin, notamment pour les réjouissances que le monarque se plaît à donner à ses courtisans. Seulement les débuts du futur flamboyant palais sont ensanglantés par des meurtres atroces et rituels : des cadavres sont retrouvés dans les jardins ou dans les couloirs inoccupés du château, affreusement mutilés et marqués à l'épaule d'un chiffre romain. Que se passe-t-il ? Et qui en veut ainsi au grand rêve de Louis XIV ?
    Malo de Rohan Montauban, déjà découvert dans les deux premiers tomes, passe ici sur le devant de la scène. A trente cinq ans, l'ancien petit paysan breton, que son cousin François a pris sous son aile, a étudié à Paris avant d'intégrer l'armée royale puis la police parisienne sous les ordres du fameux Gabriel Nicolas de La Reynie. François et son épouse Nolwenn habitent toujours leur domaine auvergnat en compagnie de leurs deux enfants, les jumeaux Charlotte et Philippe. Mais voilà que pour se soustraire à une union qu'elle ne veut pas, la jeune Charlotte fugue et disparaît... Malo va donc devoir, de front, enquêter sur les meurtres de Versailles tout en recherchant sa jeune cousine.
    S'il y'avait un seul tome à retenir dans cette saga, c'est bien celui-ci ! Après l'intrigue plus que moyenne du premier et la deuxième, déjà nettement meilleure, Meurtres à Versailles est certainement la plus captivante et la plus enlevée ! J'ai passé un réel bon moment de lecture avec cet ultime volume qui nous emmène au cœur des premières années de Versailles, avant que le château ne devienne résidence permanente de la Cour. Louis XIV est un jeune monarque tout-puissant, entouré d'une femme terne et effacée, d'une ancienne maîtresse, Louise de la Vallière, qui sert de paravent à ses nouvelles amours avec la charismatique marquise de Montespan. Et il y'a aussi la jeune et jolie -mais fragile- duchesse d'Orléans, la petite cousine Henriette-Anne d'Angleterre, née en 1644 et exilée de son pays natal avant l'exécution de son père le roi Charles Ier. Henriette-Anne, harcelée par la jalousie constante et mesquine d'un mari homosexuel et par les avanies du mignon de ce dernier, le chevalier de Lorraine et qui a noué une amitié quelque peu compromettante voire dangereuse...
    Anne-Laure Morata utilise habilement un contexte intéressant et riche -et s'il y'a bien, en dehors du XVIIIème siècle, une période qui me passionne, c'est celle-là-, pour servir son intrigue entièrement fictive et ça fonctionne vraiment très bien. Si je pense qu'une vision un peu plus nuancée de Louis XIV n'aurait pas été de trop, je trouve malgré tout que l'auteure s'en sort bien, comme dans les deux précédents tomes, d'ailleurs. Car une chose est sûre : on ne peut pas lui reprocher d'avoir écrit au hasard. Ses recherches sont solides, il n'y a aucune erreur de dates, les faits sont très bien relatés.
    Même le style, dans ce dernier volume, s'est affiné. J'ai été moins gênée par ces dialogues un peu lourds par exemple qui m'avaient dérangée dans le premier... Meurtres à Versailles est un bon roman historique dans lequel sont mélangés efficacement faits historiques et intrigue totalement imaginaire mais la première sert la seconde de manière tout à fait cohérente.

    Portrait d'Henriette-Anne d'Angleterre par Pierre Mignard : la présence de ce personnage historique sert de colonne vertébrale au récit


    Le rythme du roman est dynamique, enlevé. Il est mené tambour battant et on a du mal à lâcher le livre. Si L'héritier des Pagans m'est souvent tombé des mains, une chose est sûre, ça n'a pas été le cas avec ce roman-là qui a réussi à m tenir en haleine. L'intrigue policière est intéressante et, pour l'aspect aventureux du récit, j'ai retrouvé du Juliette Benzoni ou du Jean d'Aillon, sans aucun doute !
    L'auteure nous emmène où elle veut, en brouillant les pistes, nous emmène souvent sur des fausses, en nous livrant le fin mot de l'histoire au moment où on s'y attend le moins, insinuant le doute dans notre esprit de lecteur. Il faut dire que, si j'adore les romans policiers, en général, je suis vraiment une bille pour découvrir le coupable avant la fin. Je n'ai pas un esprit spécialement logique et je pense que c'est pour ça... je ne suis pas un fin limier mais j'apprécie de me faire balader d'une hypothèse à une autre, à plus forte raison quand l'intrigue est maîtrisée et bien menée et c'est le cas de celle qui sert de fil conducteur à Meurtres à Versailles. Je ne m'attendais pas du tout à cela, je dois bien l'avouer, surtout après la grande déception ressentie à la lecture de L'Héritier des Pagans. Qui aurait pu pressentir que j'aimerais autant ce troisième et ultime volume ? Sûrement pas moi, en tous cas.
    J'ai aimé aussi que le récit se recentre sur Malo, découvert gamin dans L'Héritier des Pagans, puis mis en retrait. Âgé maintenant de trente-cinq ans et commissaire au service de l'un des plus fameux lieutenants de police de l'Ancien Régime, c'est un jeune homme attachant et touchant, par certains aspects. J'ai apprécié qu'il soit le véritable héros de Meurtres à Versailles, plus que François, au final, qu'on a suivi dans les deux tomes précédents et qui est, certes, un personnage assez intéressant mais qui m'a laissée bien plus de marbre que Malo, que j'ai senti plus complexe, un peu moins lisse peut-être, quoique lisse ne soit pas vraiment le terme approprié...Enfin bref, je l'ai préféré à son cousin et j'ai trouvé que c'était un bon policier, au raisonnement sûr, qui n'est pas sans rappeler le fameux commissaire en tricorne de Jean-François Parot, mon cher Nicolas que, vous le savez si vous me suivez depuis longtemps, j'aime d'amour.
    Mais revenons-en à Meurtres à Versailles. A part ça, j'aimerais aussi parler de l'autre personnage qui est au centre du récit, dès le début d'ailleurs et qui est un personnage authentique : Henriette-Anne d'Angleterre, la fille infortunée d'Henriette-Marie de France et de Charles Ier d'Angleterre. Née en 1644, cinq ans à peine avant l'exécution de son père, la petite princesse, réfugiée en France avec sa mère, sera longtemps traitée comme la parente pauvre, avant qu'elle n'épouse le frère du roi, Philippe d'Orléans. Union fragile gangrenée par la jalousie paranoïaque de Monsieur, qui ne cesse d'épier son épouse tout en s'affichant sans vergogne avec ses mignons et notamment le premier d'entre eux, le chevalier de Lorraine. La vie de la princesse, relativement courte puisqu'elle meurt à vingt-six ans, fin juin 1670, ne fut qu'une longue suite de déconvenues et de souffrances. Fut-elle la maîtresse de Louis XIV ? On n'en sait rien, mais elle eut au moins l'affection de son beau-frère. La personnalité de Madame est particulière, cette princesse est assez ambivalente et toujours traitée différemment par les romanciers. Pendant longtemps, j'ai gardé d'elle l'imagine d'une flamboyante rousse très sûre d'elle, tirée je crois bien d'un roman de Juliette Benzoni, assez éloignée de la vérité, je suppose. Mon avis s'est affiné, nuancé et la vision, pas bien reluisante mais malheureusement assez vraisemblable, livrée ici par Anne-Laure Morata me paraît la plus proche de ce que l'on sait de cette jeune princesse. Henriette-Anne est touchante, jolie et fragile. Elle ne fut pas heureuse mais s'employa à faire croire le contraire et, en cela, elle est donc infiniment courageuse et mérite que l'on parle d'elle. J'ai aimé la retrouver, parfois en retrait mais toujours omniprésente, dans ce récit où elle a toute sa place.
    Pour conclure, si je devais donner un avis global sur cette saga, je dirais : étonnant. Surprenant. Oui, la saga des Rohan Montauban est étonnante. On démarre avec un premier tome plus que moyen à mon goût et puis la saga s'améliore significativement jusqu'à devenir très bonne. Mieux vaut cela que l'inverse, me direz-vous et vous avez raison. Je suis ravie d'avoir persévéré et surtout, de ne pas avoir laissé dormir les deuxième et troisième volumes dans ma PAL de longs mois encore, parce que je crois que je n'aurais plus ressenti l'envie de les en sortir et c'aurait été dommage parce que j'ai finalement été agréablement surprise et notamment par Meurtres à Versailles, qui est un très bon roman et duquel mes exigences de lectrices ressortent parfaitement satisfaites.
    Une saga que je ne déconseille pas du tout ! Si jamais, comme moi, vous étiez déçu par le premier tome, ne vous arrêtez pas à cet avis mitigé et continuez, vous verrez, ça vaut le coup ! Vraiment. Parole de lectrice.

    En Bref :

    Les + : une enquête policière vraiment aboutie et bien menée, qui nous balade complètement et parvient à nous captiver de bout en bout avant de nous surprendre.
    Les - :
    encore quelques termes un peu modernes, mais nettement moins présents que dans les deux autres tomes ; un contexte historique bien relaté mais qui mériterait peut-être, notamment au niveau de la description des personnages authentiques, d'être nuancé, sinon minoré.


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  • « A l'époque féodale, on avait compris que les contraires sont indispensables l'un à l'autre, qu'une voûte ne tient que par la mutuelle pression que deux forces exercent l'une sur l'autre, que son équilibre est fonction de leur égale poussée. »

    La Femme au Temps des Cathédrales ; Régine Pernoud

    Publié en 2016

    Editions Le Livre de Poche

    374 pages 

    Résumé : 

    La femme a-t-elle toujours été cette perpétuelle mineure qu'elle fut au XIXème siècle ? A-t-elle toujours été écartée de la vie politique comme elle le fut notamment dans la France de Louis XIV ? S'appuyant sur son expérience de médiéviste et d'archiviste, Régine Pernoud s'est attachée à l'étude de ces questions. Dans La Femme au temps des cathédrales, le lecteur découvre que le plus ancien traité d'éducation a été rédigé en France par une femme, que, au XIIIème siècle, la médecine était couramment exercée par des femmes et qu'aux temps féodaux, les filles étaient majeures à douze ans, deux ans avant les garçons...
    Une étude approfondie et captivante, menée à travers une multitude d'exemples concrets qui ne laissent échapper aucun aspect des activités féminines au cours de la période féodale et médiévale. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Voilà un vaste et passionnant sujet, que celui de la place des femmes dans la société, quelle que soit cette dernière.
    Et le sujet promet d'être encore plus captivant si c'est à la société médiévale que l'on s'intéresse et ce que fait Régine Pernoud, l'une de nos meilleures médiévistes du XXème siècle. Décédée il y'a vingt ans, elle continue d'être considérée comme une éminente historienne et est reconnue notamment pour ses travaux sur Aliénor d'Aquitaine et sur la bourgeoise à travers les siècles. C'est d'ailleurs de ces derniers travaux que va naître l'idée de se pencher sur le cas de la femme médiévale, mais attention, pas de toute la femme médiévale non plus. Il est vrai que, traiter dix siècles en moins de quatre cents pages serait un travail de synthèse extrêmement difficile voire impossible.
    Si vous lisez attentivement le titre, vous verrez qu'il contient des bornes chronologiques bien précises. Ce n'est pas tout le Moyen Âge que Régine Pernoud va parcourir, mais seulement une période relativement courte d'environ deux siècles, entre les XIème et XIIIème siècles, ce Moyen Âge central considéré souvent comme une période de renaissance, au même titre que la renaissance carolingienne ou celle qui s’amorce à partir de la seconde moitié du XVème siècle et s'épanouit au XVIème, la seule à qui on accorde un R majuscule, d'ailleurs. Ce Moyen Âge central, ce temps des cathédrales, donc, cette époque de bâtisseurs et d'érudits, c'est aussi une époque bénie pour les femmes parce que se développent les fameuses cour d'amour, la fin'amor des troubadours occitans, la courtoisie qui met les femmes au premier rang, avant les hommes qui deviennent donc les serviteurs de leur mie.
    Dans notre esprit contemporain et peut-être parce que depuis quelques centaines d'années, l'Histoire est synonyme de progrès dans bien des domaines -technologie, médecine, hygiène, automobile etc-, on a du mal à croire que, parfois, l'avancée dans le temps n'ait plus été consubstantielle à ce progrès qui nous paraît totalement logique. Pour nous, l'Histoire est synonyme d'évolution positive et pas de déclin : or on se rend compte que, pour ce qui est de l'émancipation des femmes, on est malheureusement dans une pente descendante plutôt qu'ascendante à mesure que l'on se rapproche de l'époque contemporaine.
    Alors si je vous dis qu'au Moyen Âge central la femme était l'égale de l'homme et qu'elle ne posait même pas la question de son rang dans la société parce qu'il était évident...surprenant non ? D'autant plus si on compare ce statut à celui d'éternelle mineure consignée dans le code Napoléon au début du XIXème siècle, il y'a deux cents ans. Si je vous dis que les intellectuelles étaient aussi bien considérées, écoutées, consultées par leurs homologues masculins...étonnant non ? Quand Régine Pernoud écrit, à la fin des années 1970, la société française est justement marquée par un mouvement féministe important, mais pourtant, la contraception orale n'existe que depuis une dizaine d'années et la dépénalisation de l'avortement est une mesure toute récente et qui n'a pas été acceptée sans mal. Alors sans aller jusqu'à dire que c'était mieux au Moyen Âge parce que évidemment, ce n'était pas le cas -surtout en ces domaines, il était bien sûr hors de question de contrôler quoi que ce soit et la femme, malgré la grande liberté dont elle jouit entre les XI et XIIIème siècles est avant tout une épouse et une mère- on s'aperçoit que la vision globale qu'on avait d'elle, débarrassée de la misogynie du droit romain, est très positive : visiblement, la possible infériorité de la femme ne traverse l'esprit de personne. Ce droit romain qui va être redécouvert à la fin du Moyen Âge et conditionnera ensuite, jusqu'à une époque très récente, l'image que l'on aura de la femme.
    Au Moyen Âge central, de grandes figures féminines, souveraines, intellectuelles, religieuses, émergent. Elles sont l'aboutissement finalement de ces femmes, qui, aux premiers siècles du Moyen Âge, sans avoir l'influence de celles qui leur succèdent, vont faire de l'Histoire une Histoire mixte et non plus exclusivement masculine.
    Au cours de cette lecture, beaucoup de questions sous soulevées, car on se rend compte qu'on est en train de lire là quelque chose d'extrêmement étonnant mais aussi, de très cohérent, comme si la fleurissement d'un nouveau genre de société, d'un nouveau genre de vie au Moyen Âge central impliquait aussi une place plus importante pour la femme, que ce soit la femme noble aussi bien que la femme du peuple. Ainsi, on peut se demander quelles sont les conclusions à tirer de la concomitance de l'expansion chrétienne en Occident au début du Moyen Âge et de celle de l'influence de femmes comme Clotilde, l'épouse de Clovis ? Comment la culture de l'époque a-t-elle été tour à tour pro puis anti-féministe et surtout, comment a-t-elle influé la société ? Comment les femmes se percevaient-elles dans une société qui leur était très favorable et où, au final, la lutte n'allait pas de soi dans la mesure où leur place était tout à fait claire et définie ?

    Image associéeChristine de Pisan présentant son livre à Isabeau de Bavière, reine de France (XVème siècle)


    Régine Pernoud s'est livrée là à un travail de synthèse très intéressant, qui permet d'avoir une idée assez complète de la société de l'époque et la place que les femmes, dès leur naissance, y occupaient, sans pour autant partir dans quelque chose de très érudit. Ce livre est destiné au grand public et elle allège au maximum son propos sans céder pour autant à la facilité où la coupe sanitaire, qui pourrait créer des raccourcis malheureux ou des contre-sens chez le lecteur. Avec ce livre court mais bien documenté, on apprend exactement ce qu'il y'a à apprendre sur la femme médiévale, ni plus ni moins. Ainsi, on croise, parfois avec surprise, des femmes doctoresses au XIIIème siècle -Marguerite de Provence et Louis IX ne partirent-ils pas en croisade accompagnés d'une miresse du nom de Hersent ?-, alors qu'elles seront poursuivies dans les siècles qui viennent ? D'autres exercent des métiers qui nous apparaissent comme typiquement masculins alors qu'ils n'étaient pas vus comme tels à l'époque et des commerçants, par exemple, se partageaient également les tâches, l'épouse n'étant pas réléguée dans des tâches subalternes loin du commerce, bien au contraire.
    A cette époque-là, bien plus qu'aux siècles suivants, beaucoup de femmes se distinguèrent aussi comme souveraines ou administratrices de grands domaines et tirèrent leur épingle du jeu. On ne peut, bien sûr, ne pas citer la figure tutélaire qui plane sur ces deux siècles, Aliénor d'Aquitaine, née vers 1120, décédée en 1204. Aliénor, reine consort de deux grands pays de la Chrétienté, la France puis l'Angleterre et qui gouverna habilement ses propres Etats continentaux. On peut penser aussi à toutes ces femmes à qui la régence échut tout naturellement, sans que cela ne pose nul problème : Anne de Kiev fut la régente de son fils Philippe Ier, Blanche de Castille celle du futur saint Louis, avec l'habileté que l'on sait. Quant aux intellectuelles, comme Hildegarde de Bingen ou certaines moniales, dans l'Empire, en France, en Angleterre, elles ont marqué leur temps de part leur érudition, leur intelligence complètement reconnue et absolument pas remise en question. Même les prélats de l'époque n'ont aucune prévention contre la femme, pourtant la fille d'Eve, comme on le serinera sans cesse dans les siècles à venir.
    Assez effarant de se dire que, finalement, la période que l'on porte aux nues, la fameuse Renaissance avec un grand R, a peut-être été une période d'émulation des arts et des lettres ainsi que de l'architecture, mais que ce fut aussi une époque de régression intense en ce qui concerne la condition féminine, régression amorcée dès le XIVème siècle, finalement. Le Moyen Âge florissant s'achève, on entre alors dans une période troublée et dans laquelle l'influence féminine décroît, pour plusieurs siècles.
    Nous sommes conditionnés par certains préjugés et idées reçues, à plus forte raison sur le Moyen Âge, une époque qui a la côte mais est souvent présentée, notamment aux enfants, sous un jour très unilatéral et avec des images passe-partout et un peu éculées. L'essai de Régine Pernoud date un petit peu, maintenant... Loin de moi l'idée de dire que le début des années 80, c'est la préhistoire mais, force est de constater qu'en Histoire, les connaissances s'actualisent vite et qu'on se rend compte que, trente ans en arrière, on n'aborde peut-être pas forcément les événements comme on le ferait actuellement. Le livre reste cependant une base importante et certainement un très bon ouvrage d'Histoire sociale permettant d'aborder une société par l'un de ses aspects originaux : la place des femmes qu'elle soit, comme ici, relativement bien mise en valeur ou au contraire, quand elle ne l'est pas du tout, est un reflet de la société. Cela permet d'en apprendre beaucoup et, en l'occurrence, de changer d'avis sur une période que l'on voit souvent comme sombre et affligée de superstitions et de barbarisme, parce que ce n'est finalement pas le cas.
    Après avoir longuement parlé du fond, il n'y a finalement pas grand chose à dire sur la forme... Nous sommes là dans un livre d'Histoire, pas dans un roman... Il est vrai que certains auteurs écrivent mieux que d'autres mais là n'est pas la question. Il est difficile de juger du style d'un auteur dans un livre qui n'est pas un roman. Rien à dire en ce qui concerne celui de Régine Pernoud, clair et concis, qui sert complètement son propos. J'ai parfois eu un sentiment de confusion, je l'avoue, ne sachant pas vraiment où l'auteure voulait nous emmener, un peu comme si elle sautait du coq à l'âne, en quelque sorte. Mais j'ai toujours réussi à raccrocher les wagons et c'est le principal.
    Ce livre m'a plu et je ne regrette pas de l'avoir lu. Je le conseille à tous ceux qui cherchent de l'Histoire facile d'accès mais accréditée par le sérieux d'un nom comme celui de Régine Pernoud dont la réputation n'est assurément plus à faire

    Des religieuses du Moyen Âge vue par John Everett Millais au XIXème siècle (1858)

    En Bref : 

    Les + : un essai intéressant, un style assez remarquable, un sujet des plus captivants permettant d'aborder l'Histoire par son aspect social. 
    Les - : des passages parfois un peu confus au départ, qui me faisaient alors me demander où l'auteure voulait en venir. Cela n'enlève rien bien sûr à son érudition et à la connaissance parfaite de son sujet.  


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  • « Le seul espoir de remporter d'impossibles victoires consistait à y croire avec la foi des sages et des fous. »

    L'Autre Rive du Bosphore ; Theresa Révay

     

    Publié en 2015

    Editions Pocket

    510 pages 

    Résumé : 

    1918, la guerre se termine et les frontières se redessinent. Traversée par le Bosphore, Istanbul est déchirée entre Orient et Occident. Désormais aux mains des Alliés, la ville mythique devient plus que jamais un carrefour cosmopolite. 
    Leyla, jeune épouse d'un secrétaire du sultan, élevée selon les coutumes ancestrales, assiste impuissante au démantèlement de l'Empire ottoman. Mais la résistance s'organise. 
    En la rejoignant, Leyla va s'engager dans la plus belle et dangereuse des luttes : celle pour l'amour, l'indépendance et la liberté. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En novembre 1918, l'armistice est signée et la Turquie se retrouve dans le camp des vaincus. Sa capitale, Istanbul, l'ancienne Constantinople, se voit alors occupée par les troupes alliées victorieuses : françaises, anglaises et italiennes. Les maisons sont réquisitionnées, les navires de guerre bloquent le Bosphore. La population doit s'habituer à cette occupation, ravaler son humiliation, tandis que l'empire ottoman vacille sur ses bases. Mais parmi les Turcs, partagés entre modernité et traditions, la résistance s'installe doucement et émerge alors une figure charismatique, Mustafa Kemal, le fameux Atatürk, qui sera élu premier président de Turquie, en 1923.
    A Instanbul, dans les beaux quartiers vit Leyla, une jeune mère de famille qui, en cette fin de guerre se révèle à elle même en entrant en résistance. Elle sera notre héroïne et, même si on suit une multitude d'autres personnages, historiques ou pas, Leyla reste au centre du récit jusqu'au bout. On aura l'occasion d'en reparler, mais ce personnage fait certainement beaucoup pour le roman ; il a en tous cas participé à mon intérêt pour lui, c'est indéniable.
    Avant de parler du livre, une petite digression, pour parler de l'auteure, Theresa Révay, que je découvrais à l'occasion de cette lecture. Pour moi, lire L'Autre Rive du Bosphore, c'était découvrir un roman mais aussi un univers, un auteur. J'avais repéré Theresa Révay depuis un moment mais avais fait passé des lectures avant et finalement, le temps a passé sans que je la lise...
    Pendant un moment, j'ai pensé que l'auteure était anglo-saxonne, je ne sais pas pourquoi... enfin, si... l'univers de ses livres, qui transparaissait à la lecture de leurs résumés me faisait aussitôt penser à celui des auteurs anglophones à la mode : Judith Lennox, Kate Morton et j'en passe, enfin tous ces auteurs chez qui une trame historique vient servir une histoire humaine. J'ai été agréablement surprise de voir qu'en fait, non, Theresa Révay est française ! En soi, ça ne change rien, ce n'est pas la nationalité de l'auteur qui fait son talent mais c'est sympa aussi de découvrir des plumes de son pays, avant d'aller en chercher ailleurs.
    Ce qui m'a séduite d'emblée avec L'Autre Rive du Bosphore, c'est la très jolie couverture, avec les coupoles de Sainte-Sophie en arrière plan. Puis le résumé. La première m'a donné envie de retourner le livre et de lire le deuxième. Le contexte m'a plu aussitôt : la fin d'une guerre n'est jamais une période facile, parfois il peut s'avérer qu'elle soit même totalement effroyable... Et en Turquie, le conflit mondial laisse place à une situation extrêmement complexe. L'empire ottoman séculaire agonise à Paris, alors que les vainqueurs dépècent méthodiquement les vaincus et, sur sa place, la résistance, comme celle qu'on connaîtra en France dans les années 40, se met en place. Les traditions sont mises à mal par le contexte compliqué et les femmes, comme Leyla notre héroïne ou, du moins certaines femmes en profitent pour s'émanciper, se mettant à écrire dans les journaux ou entrant en résistance à leur manière.
    L'Autre Rive du Bosphore est un roman très dense et abouti, qui m'a agréablement surprise. J'ai aimé découvrir cet Orient du début du XXème siècle, qui se fissure doucement et se trouve en proie à des troubles violents. Mais j'ai surtout aimé les histoires humaines qui s'y chevauchent et apportent, évidemment, beaucoup de teneur au roman.
    Justement, j'aimerais vous parler de l'héroïne, cette fameuse Leyla déjà citée plus haut. Leyla Hanim -Hanim n'est pas un nom de famille mais un témoignage de respect, comme on rajoute Bey à un nom masculin- est un personnage dont j'ai ressenti très rapidement, quasiment dès les premières pages, toute la profondeur. Leyla m'a énormément plu, j'ai vite pressenti qu'elle était d'une trempe assez extraordinaire, peut-être parce que chez elle se rencontrent traditions et modernité, parce qu'elle a soif d'indépendance tout en respectant ce qui est sacré pour les Turcs. C'est un personnage très profond et tellement bien ciselé qu'elle vit presque sous nos yeux, s'envole des pages du livre pour vivre sa vie, c'est assez fou... Mariée, mère de famille, la guerre et les troubles qui suivent et conduiront à la mise en place de la République en Turquie vont permettre à Leyla de devenir une autre, même si cela ne se fera pas sans mal ni sans drames. Mais non sans rencontres, qui vont bouleverser la vie de Leyla, la faire grandir, lui faire voir la vie autrement. Une lectrice a écrit sur Livraddict qu'elle se souviendrait longtemps de Leyla et, je confirme, elle fait partie de ces héros de roman que l'on n'oublie pas de sitôt, c'est sûr... 
    L'Autre Rive du Bosphore est une grande fresque historique exactement comme je les aime : des destins qui se croisent et se décroisent sur une trame vraiment intéressante. L'histoire de la Turquie est pour moi quelque chose d'inconnu : à part Soliman le Magnifique, mes connaissances sont très succinctes. Du coup, grâce à ce roman j'ai appris pas mal de choses, assez éloignées en plus de toutes ces idées reçues que l'on peut avoir sur l'Orient, qui ne sont pas toutes fausses mais souvent exagérées.
    J'ai retrouvé cependant cette ville déjà découverte dans d'autres romans et qui est très bien décrite par l'auteure : ses odeurs, ses couleurs, ses populations bigarrées. Une ville très cosmopolite, aux portes de l'Europe mais déjà très orientale dans beaucoup de ses aspects. Après la Grande Guerre, elle s'ouvre néanmoins petit à petit au monde, un peu comme Leyla le fait en parallèle. La guerre civile turque est un contexte riche, immensément intéressant et permet de situer le roman dans un décor changeant et dépaysant.
    Ce roman est à conseiller à tous les amoureux du genre : historique, grands destins humains... 

    En Bref :

    Les + : le contexte, le style et l'univers de l'auteure, la manière dont elle traite son sujet, entre drames humains et grande fresque historique.
    Les - :
    pas vraiment de points négatifs à soulever...

     


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  • « Il ne faudrait jamais laisser partir les gens qu'on aime, mon petit Nicolas, ou bien les accompagner là où ils vont. »

    L'Herbe à la Reine ; Colette Vlérick

     

    Publié en 2014

    Editions Pocket

    320 pages 

    Résumé : 

    En 1740, s'ouvre la nouvelle manufacture royale des tabacs de Morlaix. L'herbe à la reine, surnom du tabac inspiré par Catherine de Médicis, assure aux ouvriers un salaire régulier et des avantages sociaux uniques. Dans le port arrivent des navires chargés de marchandises du monde entier, source de richesse pour l'ensemble de la ville. La prospérité bénéficie à tous : à Anna, la jolie domestique ; à l'opulente famille Le Dantec, négociants en gros, qui l'emploie ; à Loïc Madec, le cousin corsaire... Jusqu'aux années difficiles de la Révolution et à la fermeture de la manufacture, les destins heureux ou chahutés des trois familles s'entrecroisent sur les pavés de Morlaix.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    L'« herbe à la reine », c'est le nom que l'on donne au tabac, depuis Catherine de Médicis. Une denrée venue du Nouveau Monde, exotique donc et très...prisée -oui, le jeu de mots est pourri, je sais. Au XVIIIème siècle, comme le sucre ou les épices, le tabac est un produit venu des colonies mais que les Français se sont approprié et qui fait partie de la vie quotidienne. Il est à Morlaix ce que la porcelaine est à Sèvres. La ville bretonne vit au rythme de son commerce, de ses entrepôts et de ses manufactures, notamment de celle qui conditionne le tabac, envoyé ensuite dans tout le royaume. Des ouvriers les plus modestes aux riches familles commerçantes, comme les Le Dantec, que l'on suit, beaucoup à Morlaix vivent du tabac, un produit auquel on prête même des vertus à l'époque. Qu'on le fume, qu'on le prise ou qu'on le chique, le tabac est consommé partout et par tous. Qu'il soit français -le tabac au XVIIIème siècle a déjà été acclimaté en France- ou d'importation, notamment des colonies d'Amérique du Nord, le tabac est apprécié et surtout fait vivre les ouvriers des manufactures où il est préparé avant d'être consommé. Car cela ne se fait pas à la légère, comme on s'en rend compte à la lecture du roman de Colette Vlérick : plusieurs étapes sont nécessaires avant que les feuilles de tabac soient propres à la consommation et les manufactures sont très hiérarchisées, chaque ouvrier ayant un domaine de compétences et son importance à un moment donné de l'élaboration du produit. Rien ne se fait au hasard. 
    Je salue d'ailleurs toutes les recherches effectuées par l'auteure car son propos est très précis et très clair... On comprend rapidement les différentes étapes qui séparent la feuille de tabac juste récoltée de la poudre qui est ensuite consommée selon les préférences de chacun. On comprend aussi très bien l'organisation des manufactures en cette période pré industrielle grâce aux descriptions de l'auteure. 
    L'Herbe à la Reine est un roman historique bien documenté. En cela, c'est un gros point positif et a participé sans aucun doute à mon intérêt pour le livre. J'ai apprécié aussi l'aspect un peu plus régional du livre, le fait que Morlaix et la Bretagne soient des personnages à part entière
    Au départ, j'ai pourtant eu un peu peur... Il ne s'y passait pas grand chose, dans ce roman, même s'il était bien écrit. J'avais l'impression que l'auteure ne s'attardait pas, qu'elle allait trop vite parfois et les chapitres s'arrêtaient de façon un peu brusque. J'ai eu peur que cette impression ne persiste car raconter près de cinquante ans en 320 pages implique forcément d'aller vite ! Seulement, j'aime bien que les auteurs prennent un peu le temps, quand même... Pas trop non plus, mais un peu n'a jamais fait de mal...

    Résultat de recherche d'images pour "manufacture tabac morlaix"La manufacture des Tabacs de Morlaix au XVIIIème siècle

    Au final, la deuxième partie m'a plus convaincue. Au départ, j'ai cru que ce serait la famille Le Dantec que l'on suivrait tout au long de ce roman. Les Le Dantec sont de riches commerçants, des bourgeois, qui vivent de l'activité portuaire de Morlaix. En fait, c'est surtout aux pas de la famille Dirou, issue de leur domestique, Anna, que nous allons nous attacher et ce sont des personnages assez attachants que nous allons suivre à une période troublée de notre Histoire. Même avant la Révolution, le XVIIIeme siècle est une période de grand chambardement et pas qu'à Paris ! L'émulation culturelle, intellectuelle, la grande richesse de cette ère charnière entre époques moderne et contemporaine avaient aussi gagné les villes de province, comme, plus tard, la Révolution... j'aime d'ailleurs les romans qui nous décrivent les événements révolutionnaires ailleurs qu'à Paris : cela nous permet de nous rendre compte de la manière dont le reste du pays a pris ce bouleversement et, en cela, la Bretagne est un cas intéressant. 
    Finalement, j'ai apprécié cette lecture et son sujet... Par certains aspects, ce roman m'a fait penser à la magistrale saga de Jean-Paul Desprat Les Couleurs du Feu, qui retrace la formidable aventure des manufactures de Sèvres (porcelaine). J'ai retrouvé pas mal de points communs d'ailleurs entre les deux manufactures, de leur ascension jusqu'à la fermeture au moment de la Révolution. J'ai été surprise de constater aussi que les ouvriers morlaisiens bénéficiaient d'avantages que l'on pourrait qualifier de sociaux, qui nous paraissent aujourd'hui logiques et naturels mais étaient plutôt avant-gardistes il y'a 350 ans ! 
    Alors, qu'ai-je pensé de cette lecture ? Eh bien je l'ai appréciée, finalement ! Au départ je n'y ai pas cru mais finalement les personnages ont su me séduire, ils sont tous simples mais très attachants... 
    J'ai passé un bon moment et j'ai aimé tant le fond que la forme. Colette Vlérick a choisi un sujet peu évident, original, mais qu'elle traité bien, avec efficacité et conviction. Bon point, j'insiste, pour la restitution du contexte... Vous savez que j'y suis sensible et je n'ai rien à reprocher à ce roman. Rien ne me hérisse plus qu'un roman qui se veut historique mais qui est finalement bourré de fautes ou approximations. J'ai été contente de trouver là un roman assis sur des bases solides et des documents variés, dont les références sont réunies en une petite bibliographie bien élaborée en fin de livre.
    Je me suis glissée avec volupté dans ce roman qui m'a ramenée à une époque que j'aime d'amour ! J'en ai tourné les pages sans lassitude, avec beaucoup de plaisir et sans ennui. 
    Je recommande. 

    En Bref :

    Les + : un sujet original et bien traité, une jolie saga familiale, un roman historique assis sur de solides bases. Un bon point pour l'auteure qui s'est beaucoup renseignée et restitue le contexte à merveille. 
    Les - : des chapitres peut-être un peu trop rapides sur la première partie du roman...


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