• « Ainsi, qu'elles pleurent ou qu'elles aient les joues sèches, qu'elles soient arrivées à pied, en voiture, en transports en commun ou à dos de mulet, elles avaient toutes une chose en commun : la honte. Et cette honte, Ada pouvait les en débarrasser. »

    Une Bonne Âme ; Audrey Perri

     

    Publié en 2017

    Editions Librinova (livre numérique)

    172 pages 

    Résumé : 

    Londres, 1899.
    Florence Jones, jeune mère célibataire, décide de faire adopter sa fille Sélina, faute de pouvoir la garder auprès d'elle. Elle se tourne alors vers Mrs Hewetson, l'une de ces fermières de bébés qui pullulent dans la capitale et qui affirme pouvoir s'occuper de son enfant. Mais Florence ignore encore que cette femme, loin d'être la bonne âme qu'elle prétend être, est déjà impliquée dans la disparition de nombreux enfants...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Aujourd'hui, je reviens pour une chronique assez particulière puisque c'est la première fois que je rédige un billet sur un livre écrit par quelqu'un que je connais. Connaître est peut-être un bien grand mot car nous ne nous sommes jamais vues mais Audrey Perri, l'auteure de cette nouvelle, est aussi une blogueuse, avec qui j'échange depuis quelques mois et que je prends toujours plaisir à lire, sur son blog Cellardoor. Car si son nom ne vous dit rien, peut-être celui de son blog, lui, vous sera plus familier ? Celladoor est une page que j'ai découvert par hasard il y'a près d'un an. Une page très variée, où Audrey rédige des billets littéraires ou cinématographiques... Pour ma part, ce sont les premiers qui m'ont intéressée, surtout quand je me suis rendu compte que nous avions toutes les deux sensiblement les mêmes lectures et des avis similaires, le plus souvent. J'ai commenté ses articles, Audrey m'a rendu la pareille : suffisamment rare sur la blogo pour que ce soit signalé, d'ailleurs ! Bref... et depuis janvier dernier, nous avons beaucoup échangé via nos blogs respectifs. J'ai donc été très contente pour elle quand j'ai appris en octobre dernier que sa nouvelle avait été récompensée et allait être publiée par Librinova. Bon, c'était un livre numérique... et je ne suis pas fan de la lecture numérique, ce n'est pas trop mon truc. Mais s'il y'a bien quelqu'un qui, une fois, pouvait me faire approcher un livre numérique, c'était bien elle ! Le résumé de sa nouvelle, Une Bonne Âme, avait tout pour me plaire et a fini de me convaincre. Inspirée par un faits divers de la fin du XIXème siècle, Audrey nous emmène donc en Angleterre, en pleine époque victorienne. C'est une époque passionnante, je trouve. Une époque très paradoxale, aussi : la croissance de l'industrie s'accompagne aussi d'une paupérisation grandissante, surtout dans les grandes villes et les plus défavorisés se voient entassés dans des taudis, où la mortalité et les maladies ont la part belle. La modernité naissante s'accompagne malheureusement de conditions de vie absolument épouvantables et qui vont perdurer d'ailleurs au siècle suivant. Dans ces conditions, elles furent nombreuses celles qui, pour tout un tas de raisons, se virent obligées, à un moment où un autre de leur existence, d'abandonner un ou plusieurs enfants. Il y'avait les mères de famille, accablées par des grossesses répétées et qui finissaient par se défaire des nouveau-nés qu'elles ne pouvaient pas nourrir. Et il y'avait celle dans une situation bien plus délicate, celles qui, à la suite d'un moment d'abandon, se retrouvent enceintes et célibataires. Comme le dit bien l'auteure à la fin de sa nouvelle, l'époque victorienne se caractérise par un puritanisme extrême, même si cela n'est pas inhérent à l'Angleterre de l'époque. On n'est pas tendre avec les fille-mères à l'époque et cela, quel que soit le pays. Encore fortement marqués par une éducation marquée par la religion, les gens sont particulièrement peu indulgents devant ce qu'ils considèrent comme une faute et comme une honte. Il n'est pas rare que les jeunes femmes soient rejetées, même par leurs propres familles, pas prêtes à endosser une mise au ban de la société. Ne s'ouvrent alors à elles que des solutions terribles : l’avortement, clandestin et illégal, au risque d'y laisser leur vie, le suicide ou les fermières à bébés. Dans le meilleur des cas, certaines mères célibataires parvenaient à trouver des solutions leur permettant de protéger leur enfant, en les plaçant en nourrice, par exemple, dans l'espoir de les reprendre un jour avec elles. Mais, la plupart du temps, c'est entre les trois premières solutions que les malheureuses étaient obligées de choisir. Et, à une époque où les abandons d'enfants sont monnaie courante, des réseaux interlopes se développent, qui flirtent avec la criminalité et la petite délinquance. Des réseaux qui profitent du désespoir de ces mères pour mieux les manipuler. Des faits divers comme celui traité dans Une Bonne Âme, il y'en a certainement eu des dizaines, des centaines. Audrey, elle, a choisi de s'intéresser au cas d'Ada Williams, fermière à bébés -la bonne âme qui a donné son titre à la nouvelle- finalement confondue et jugée en 1900. Elle a existé, tout comme Florence Jones, l'autre personnage principal de la nouvelle et sa fille, Sélina Ellen Jones.
    Cette nouvelle illustre bien une époque, dans toute sa cruauté et nous démontre bien que, si elle n'était pas tendre avec les couches sociales les moins favorisées, elle ne l'était pas non plus pour les femmes et ce, quel que soit leur rang. Dans ces histoires malheureusement courantes, les jeunes femmes se trouvaient confrontées à la lâcheté de l'homme qui les avait mises enceintes et au rejet de la société qui ne pouvait pas les tolérer. Une femme n'était reconnue que mariée et mère de famille, c'était à ce moment-là le seul statut auquel elle pouvait prétendre et qui était gage de respectabilité. Et gare à elle si elle s'éloignait un tant soit peu du chemin tracé pour elle par une société bien-pensante et hypocrite. De là alors l'apparition de femmes comme Ada Williams, profitant du malheur des autres pour s'enrichir et qui, parfois, dévient jusqu'à verser dans les crimes les plus sordides.
    Une Bonne Âme se construit autour de deux figures féminines antagonistes, Florence et Ada mais qui, on s'en rend compte au fil de la lecture, ne sont finalement pas éloignées l'une de l'autre autant qu'on pourrait le croire. J'ai vraiment apprécié que l'auteure ne tombe pas dans une sorte de manichéisme mal venu qui était justement l'écueil à éviter. On pourrait pourtant tellement facilement se laisser aller à noircir les traits de la fermière à bébés, objet d'incompréhension et dégoût, pour nous. Mais en distillant des événements de son passé, l'auteure nous permet de nuancer notre jugement. Il est hors de question bien sûr d'excuser ni même d'expliquer le comportement déviant et criminel d'une femme qui mérita assurément la peine à laquelle elle fut condamnée. Mais en lui donnant un soupçon de complexité, l'auteure nous permet d'entrevoir le mécanisme qui se met en place progressivement et peu amener quelqu'un à verser progressivement et irrémédiablement, dans une spirale néfaste qui l'emporte et l'empêche de faire machine arrière. Ada, dans la nouvelle, sans être véritablement touchante, a des failles et j'ai apprécié qu'elle ne soit pas qu'un monstre froid dénué de sentiments, de doutes et de culpabilité, parce que ce n'est pas le cas. Moi qui pensais la détester au final, si je ne me suis pas attachée à elle, je dirais que je me suis intéressée à son personnage parce que je l'ai trouvé complexe et très bien travaillé.
    Je me suis par contre beaucoup attachée à Florence Jones qui n'est pas, elle non plus, qu'une pauvre victime faible, aisément manipulable et trompée. Florence est une jeune femme modeste, comme il y'en a tant à Londres à cette époque, gagnant sa vie au service des autres. Elle est une jeune femme qui, un jour, tombe amoureuse de la mauvaise personne, la laissant seule assumer une faute pourtant commise à deux. Elle n'est pas naïve pour autant. J'ai trouvé qu'elle avait une réelle force de caractère et une envie de s'en sortir. Imaginez : vous vous verriez, vous, subitement relégué, brutalement congédié par votre famille, par votre employeur ? Sans emploi, sans famille, sans issue, on peut aisément imaginer dans quelle situation se retrouvaient ces pauvres jeunes femmes qui, parfois, étaient à peine sorties de l'enfance. Et Florence, elle, ne flanche jamais ou, si elle flanche, se relève toujours. Je l'ai trouvé forte et admirable pour cela. Je ne pensais pas m'attacher autant à elle, me sentir tellement proche d'elle. J'ai presque ressenti de la peine et de la commisération pour elle, c'est assez fou.
    Si l'auteure a su saisir à merveille une époque, elle a su aussi tracer des portraits très fins, ciselés et nuancés qui m'ont beaucoup plu, en évitant justement le ou tout noir ou tout blanc qui aurait alors fait tomber dans sa nouvelle dans une sorte de facilité. J'ai aussi été épatée -et je ne dis pas ça par flatterie, ce n'est parce que l'auteure ne m'est pas inconnue que j'écris une critique élogieuse, loin s'en faut, cette chronique est tout à fait sincère-, par la capacité d'Audrey a s'approprier l'époque ! Le contexte est vraiment très très bien restitué, on sent qu'elle est une lectrice de romans historiques, comme moi et qu'elle adore ça...comme moi aussi ! Pas facile aussi de devoir broder une fiction à partir d'éléments authentiques qui brident un peu, de fait, la liberté du romancier, mais j'ai trouvé qu'elle s'en était bien sortie, en orientant la description des personnages sur leur psychologie, sur les blessures de leur passé. Elle fait apparaître ces deux femmes sous un jour crédible et vraisemblable et c'est ce que j'aime aussi, dans les romans historiques.
    J'ai passé un bon moment avec Une Bonne Âme. J'ai été très agréablement surprise, tant par l'histoire que par le style. Tout n'est pas parfait mais, pour un premier roman, franchement, Audrey s'en tire très très bien. J'ai aimé sa façon d'écrire et, dans sa globalité, j'ai aimé sa nouvelle... Je ne sais pas à quoi je m'attendais mais je n'ai franchement pas été déçue... Je crois qu'en fait, je n'attendais rien. J'ai d'abord voulu lire cette nouvelle pour son auteure. Puis le résumé m'a interpellée...A ma lecture, j'ai retrouvé du Anne Perry et du Ann Granger dans cette histoire et, oui -Audrey, je ne sais pas si telle était ton idée au moment de la rédaction-, le personnage de Charles Morton m'a fait un peu penser à Thomas Pitt, le fameux enquêteur d'Anne Perry !
    Je vous conseille cette nouvelle. Lancez-vous ! Si vous aimez les faits divers et si vous aimez l'Histoire, cette petite nouvelle est faite pour vous, vous ne regretterez pas : ça se lit vite et, une fois qu'on a commencé, c'est difficile de lâcher

    En Bref : 

    Les + : une nouvelle vraiment aboutie qui aurait presque mérité plus de développements tant l'histoire est réussie et les personnages, tous autant qu'ils sont, intéressants. J'ai passé un bon moment. 
    Les - : quelques coquilles de ci de là mais rien de catastrophique. 


    10 commentaires
  • « Quand la jeunesse et le désespoir viennent à se réunir, on ne peut dire à quelles fureurs ils porteront, ou quelle sera leur résignation subite; on ne sait si le volcan va faire éclater la montagne, ou s’il s’éteindra tout à coup dans ses entrailles. »

    Cinq-Mars ; Alfred de Vigny

    Publié en 2012

    Date de parution originale : 1827

    Editions Folio (collection Classique) 

    594 pages 

    Résumé : 

    1640 : un procès de sorcellerie. Un bûcher. Un complot. Louis XIII défaillant d'amour, de culpabilité et de haine devant son jeune et gracieux favori. Richelieu remontant le Rhône dans un bateau tapissé de velours cramoisi qui traîne derrière lui l'embarcation où Cinq-Mars et de Thou enchaînés sont conduits au supplice : leur mort signifiera la fin de la vieille noblesse écrasée par le pouvoir et la raison d'Etat. Dans la foulée de Walter Scott et en attendant Dumas, Cinq-Mars est le premier en date, le plus dramatique et sans doute le plus réussi des romans historiques français. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis : 

    Publié en 1827, le Cinq-Mars d'Alfred de Vigny est considéré comme le premier roman historique français, avant les grandes fresques de Dumas ou de Hugo. Le XIXeme siècle permet aux auteurs français de s'intéresser à un genre littéraire auquel ils n'auraient pas pu toucher auparavant. Sous l'ancien Régime, il aurait été hors de question de mettre en scène la Cour et les souverains, à moins de le faire, comme Madame de Lafayette dans La Princesse de Clèves, en déguisant son propos. Après la Révolution, tout est possible et Alfred de Vigny sera l'un des premiers à expérimenter le genre. Il prépare aussi en quelque sorte le terrain aux grands romans feuilletons de la seconde moitié du siècle et qui ont eu tant de succès, un succès qui ne se dément d'ailleurs pas : qui n'a pas frémi avec Esmeralda, qui ne s'est pas laissé emporter par la fougue des Trois Mousquetaires, qui n'est pas tombé amoureux en même temps que Buckingham de la jeune reine Anne d'Autriche, abandonnée dans son jardin d'Amiens ? Qui ne s'est pas non plus laissé séduire par la reine Margot ou par la dame de Monsoreau ? Les romans historiques français du XIXème siècle ont beaucoup de charme, je trouve. Bien sûr, ils sont totalement fantaisistes mais... C'est ça aussi qui fait tout leur intérêt, à mon avis !
    Le Cinq-Mars de Vigny a été cependant totalement occulté par les autres, très connus. Pour ma part, c'est totalement par hasard que je l'ai découvert il y'a quelques années, sans jamais en avoir entendu parler auparavant mais je me suis intéressée à ce roman grâce à sa figure centrale : Henri Coiffié de Ruzé d'Effiat, marquis de Cinq-Mars.
    J'ai une opinion assez ambivalente du personnage. Le nom de Cinq-Mars fait aussitôt naître à mon esprit l'image d'un jeune homme très beau, un peu fat, vain et orgueilleux qui, par désillusion et déception, va se retourner contre la main qui l'a nourri et fait s'élever, trahison et ingratitude qu'il paiera de sa vie. Mais je ne peux aussi m'empêcher de nuancer cette image et de me dire que, peut-être, Cinq-Mars n'a été qu'un objet, aisément manipulable et qui a permis à plus grand que lui de mener à bien intrigues et conspirations, à une époque passée maîtresse en la matière. Cinq-Mars a laissé son nom à la toute dernière conspiration contre Richelieu, en 1642, qui visait à se débarrasser du ministre de Louis XIII mais aussi à s'entendre avec l'Espagne. Pour la postérité, il porte la tâche de cette conjuration mais, comme Chalais avant lui, Cinq-Mars a certainement assumé et payé de sa vie une conspiration qui n'est pas réellement ou du moins, pas totalement son oeuvre. On a usé de son mécontentement et, une fois la conjuration découverte, on l'a envoyé payer tout seul. Mort à vingt-deux ans à peine, après avoir connu une ascension fulgurante et la faveur assumée du roi, Cinq-Mars qui n'est, à l'origine, qu'un petit noble de province comme il y'en avait tant à l'époque et qui ne s'élevèrent jamais au dessus de leur condition.
    Alors justement, ce fameux Cinq-Mars, qui inspira suffisamment Vigny pour qu'il lui consacre un roman, qui est-il ?
    Avant de nous intéresser plus particulièrement au roman, quelques petits points historiques. Ben oui, déformation professionnelle et puis, si vous me lisez, vous savez que j'aime bien ça !
    Henri Coiffié de Ruzé d'Effiat naît en 1620, d'Antoine Coëffier-Ruzé, marquis d'Effiat et de Marie de Fourcy. Son père était un ami proche de Richelieu qui a l'idée, en 1639, de présenter le jeune homme à Louis XIII. Après avoir faire s'éloigner de la Cour mademoiselle de La Fayette puis Marie de Hautefort, le tout puissant ministre a l'idée d'installer près du roi un favori masculin qu'il manipulerait à sa guise, comptant sur le lien qui l'unissait autrefois au père de Cinq-Mars pour s'attacher le jeune homme. Mais, en trois ans, Cinq-Mars devient un électron libre : il déçoit le roi en passant du temps chez la courtisane Marion de Lorme et se met le cardinal à dos après s'être mis en tête d'épouser Marie de Gonzague, d'un rang bien plus élevé que le sien. Il sera ensuite le représentant d'une énième conjuration contre Richelieu, la dernière et servira brillamment ce dernier qui pourra, à l'occasion de son jugement et de son exécution, le 12 septembre 1642, manifester une dernière fois de son pouvoir. C'est le dernier coup d'éclat d'un soleil couchant puisque Richelieu va mourir moins de trois mois plus tard. Exécuté en même temps que son ami de Thou, Cinq-Mars est resté, pour la postérité, le renégat qui a voulu vendre la France à l'Espagne, l'ingrat qui, après s'être élevé très haut, en a voulu plus encore et a conspiré par dépit.

    Richelieu traînant ses prisonniers sur le Rhône, tableau de Paul Delaroche (1829)


    Cinq-Mars est un personnage romantique avant la lettre et nul doute qu'il ait inspiré un auteur du XIXème, époque romantique par excellence : sa beauté, le tragique de son destin, la fulgurance de son passage et de son ascension, comme un éphémère météore, son exécution à vingt ans et le courage dont il fit preuve sur l'échafaud...Tout y est. Et Alfred de Vigny a trouvé dans ce destin un terreau fertile dans lequel il a fait pousser l'intrigue du premier roman historique français !
    Malheureusement, il a fallu que j'attende les ultimes chapitres pour que mon intérêt ouvre un oeil et se dise : « ah tiens ? Mais c'est intéressant, ça. »
    Mais c'est arrivé bien trop tard. Je ne dis pas que l'auteur n'a pas de talent et que le roman est sans intérêt, loin de là. Seulement, je l'ai trouvé un peu plat, pas aussi dynamique et enlevé qu'un bon Dumas, par exemple. Je m'attendais à un roman de cape et d'épée que je n'ai pas eu. L'orientation un peu plus romantique, qui fait de Cinq-Mars un héros presque sacrificiel et expiatoire, avec dès le départ des prémonitions qui semblent annoncer sa propre fin ne m'a pas gênée pour autant mais j'ai trouvé que les deux premiers tiers du livre étaient très longs. Cinq-Mars n'est finalement pas toujours au centre du récit, il disparaît souvent au profit d'autres personnages... Je n'ai pas non plus compris pourquoi l'auteur a choisi de se servir de l'affaire des possédées de Loudun comme trame à son roman. Certes, l'arrivée de Cinq-Mars alors que la ville est en ébullition et que le prêtre Urbain Grandier est en passe d'être jugé puis brûlé vif rappelle la fin imminente et similaire du héros. Mais que de fréquents rappels à cette histoire soient faits... Non vraiment, je n'en ai pas réellement vu l'utilité. Le destin de Cinq-Mars est court mais suffisamment dense pour se suffir à lui - même à mon avis.
    Parlons du style, maintenant. Si vous me suivez depuis longtemps ou que vous me lisez régulièrement, vous savez que j'aime beaucoup les classiques et notamment pour la qualité des textes et le savoir-faire des auteurs qui semble presque inné ! Nos auteurs du XIXème sont talentueux et méritent d'être lus : il y'avait à l'époque une vraie qualité de la langue, qu'on n'a peut-être plus aujourd'hui ou, du moins, qu'on ne retrouve plus aussi systématiquement. Chacun à un univers propre mais intéressant. J'aime les textes classiques pour leur force et leur capacité à sublimer les mots. J'ai retrouvé ça chez Vigny : un vrai talent, une écriture intéressante mais parfois un peu alambiquée, peut-être. D'où parfois, des moments où je me suis surprise à lire mécaniquement et à ne vraiment pas comprendre ce que j'avais sous les yeux. Le roman demande beaucoup de concentration, que je n'ai peut-être pas eue au bon moment, malheureusement.
    Je ressors de cette lecture avec un sentiment assez étrange. J'ai conscience que ce que j'ai écrit plus haut peut vous faire douter et que vous vous dites que je n'ai pas aimé. En fait, c'est plus compliqué que ça ! Disons que certaines choses m'ont déplu, mais j'ai trouvé cette lecture intéressante par bien des aspects. Lire un classique historique pour nous, lecteurs contemporains, c'est un peu comme une mise en abyme : c'est l'Histoire qui parle d'Histoire. Né en 1797, Alfred de Vigny a traversé l'Empire puis a vu les Bourbons restaurés. Il écrit sous le règne de Charles X, descendant direct de ce Louis XIII au centre de l'intrigue et qui fit du jeune Cinq-Mars son favori. Il est clair que la vision qu'on avait de l'Histoire à cette époque n'est pas la même qu'aujourd'hui. La discipline n'est plus considérée ni abordée de la même manière. Au XIXème siècle, l'Histoire se raconte avec beaucoup de fougue, mais on la romance à souhait, même dans les livres qui se veulent scientifiques. C'est souvent par eux, d'ailleurs, qu'ont été forgées et véhiculées des légendes noires. C'est le cas pour Louis XIII et Richelieu, qui apparaissent dans ce roman exactement tels qu'on les percevait au XIXème : le machiavélique et tout puissant ministre, prêt à tout pour arriver à ses fins, le roi faible, malléable et manipulable, suspendu comme un pantin aux moindres désirs et décisions de son éminence rouge. S'il y'a un peu de vrai là dedans il y'a aussi beaucoup de faux et on sait aujourd'hui que la relation qui a uni Louis XIII à Richelieu est plus complexe. J'ai retrouvé aussi chez Vigny, comme chez Dumas aussi, d'ailleurs, cette absence d'hésitation à manipuler les faits et les dates à sa convenance quoique cela soit peut-être moins flagrant chez Vigny. Cela ne me dérange pourtant pas. Un roman historique bien documenté et aussi proche de la réalité que possible est très intéressant mais cela ne me gêne pas quand l'imaginaire et la fiction prend le dessus, dans la mesure où c'est assumé et qu'on commet l'erreur sciemment. Dans ce roman, j'ai retrouvé tous ces grands personnages qui ont gravité, de manière plus ou moins proche, autour de Cinq-Mars, le dernier favori de Louis XIII, le dernier coup de génie de Richelieu. On retrouve dans ce roman la pieuse mère du héros, la maréchale d'Effiat, l'ami fidèle jusque dans la mort, de Thou, l'amoureuse sincère mais promise à un trône, Marie de Gonzague. Les Grands dominent l'intrigue : le roi, son ministre, la reine, Gaston d'Orléans etc... Brigands prêts à tout, moniales immaculées viennent compléter le tableau qui s'avère effectivement chargé mais qui fonctionne.
    Il y'a beaucoup de bonnes choses dans ce roman. Beaucoup de points positifs, malheureusement, j'ai trouvé qu'ils arrivaient un peu tard et c'est dommage. Je déplore aussi que le personnage qui est censé être le héros disparaisse parfois de longs moments au profit d'autres personnages sans grand intérêt pour le développement de l'intrigue.
    Mais j'ai aimé cette touche de romantisme que l'auteur a donné à Cinq-Mars ! Oui, c'est anachronique mais ça marche ! Il y'a du Werther et du Chateaubriand dans ce favori royal ! Finalement quand on y pense, c'est vrai et c'est donc cohérent. J'ai aimé aussi que l'auteur oriente tout son roman vers la fin, pressentie et inéluctable grâce à des signes ou des présages qui émaillent le récit et avertissent autant le lecteur que Cinq-Mars de la fin qui l'attend.
    Le roman est plutôt efficace et bien senti. C'est un bon roman historique, un bon classique mais qui n'a pas su me convaincre complètement pour autant. Il m'a manqué un petit quelque chose pour me sentir réellement investie. 

    En Bref : 

    Les + : l'intrigue et la fiction historique qu'en fait Vigny, cohérente et vraisemblable. 
    Les - : j'ai trouvé beaucoup de longueurs aux deux premiers tiers du roman et je me suis un peu ennuyée ; le style, pas forcément très facile d'accès tant qu'on est pas habitué. 

     


    2 commentaires
  • « On peut donner du respect, de l'honneur, de l'admiration et même de l'amour sans retour, mais la loyauté est forcément mutuelle. »

    Le Ranch des Trois-Collines ; Leila Meacham

    Publié en 2016 ; en 2017 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Titans 

    Editions Charleston 

    511 pages 

    Résumé :

    Printemps 1900.
    Séparés à leur naissance, des jumeaux, Nathan et Samantha, fêtent leur vingtième anniversaire, dans des comtés éloignés de l’État du Texas, sans se connaître ni soupçonner l’existence de l’autre… À la ferme de Barrows, Nathan reçoit une visite inattendue qui va bouleverser son existence. Trevor Waverling, un titan des premières heures du forage pétrolier, vient lui proposer un pacte des plus étranges…
    À Fort Worth, à trois jours de chevauchée au sud, Samantha décide que son destin se trouve sur les terres de Las Les Lomas, le ranch des Trois Collines, l’un des plus grands du Texas. La jeune fille entend aider son père adoptif à réaliser son rêve : devenir un titan de l’élevage texan. Mais malgré les secrets bien gardés, les routes de Nathan et Samantha sont appelées à se croiser… La vie réunira-telle les jumeaux séparés ?

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1880, au Texas, naissent des jumeaux, Samantha et Nathan, séparés à la naissance. L'un sera élevé dans sa famille et l'autre par des parents adoptifs. Mais l'année de leur vingtième anniversaire, tout change... Nathan est confronté à un choix qui l'éloigne de sa famille et va petit à petit le rapprocher de Samantha, héritière du ranch de Las Tres Lomas - le Ranch des Trois Collines. Les deux jeunes gens ne savent pas qui ils sont l'un pour l'autre jusqu'à ce que, progressivement, la vie et ses aléas leur révèlent la vérité sur leur naissance et leur filiation.
    Le Ranch des Trois Collines est une grande saga familiale et historique, qui se déroule dans les paysages spectaculaires du Texas de la fin du XIXème siècle. Comme La Plantation, le premier roman de Leila Meacham que j'ai lu l'année dernière, ce roman a un charme particulier, celui de ce Sud des États-Unis, encore sauvage et inexploré. Le Texas et ses grands espaces se prête parfaitement aux sagas pleines de souffle de Leila Meacham, qui magnifie la région d'où elle est originaire.
    Le Ranch des Trois Collines est aussi un grand roman d'amour...Amitié, amour, passion, liens filiaux s'y mélangent pour créer une intrigue touchante et intéressante. Prévisible, certes, car on se doute bien, dès le début, que le destin et le hasard vont se charger de réunir Nathan et Samantha mais cela n'enlève rien à l'intrigue. Au contraire, on a très envie de savoir comment les jumeaux vont se retrouver, dans quelles circonstances... Et en tant que lecteur, on a aussi envie que la vérité éclate enfin. Leila Meacham démontre bien que, si elle peut s'avérer douloureuse, elle est cependant et très souvent, salutaire. Nous assistons à toute la quête, à tous les questionnements par lesquels va passer Samantha, parce qu'elle est celle qui a été élevée loin de sa famille naturelle. Samantha est la personnification très juste de ces questions légitimes que se posent les enfants adoptés, de ce sentiment de déracinement qui est le leur tandis que ses parents et notamment son père, Neal, propriétaire du ranch de Las Tres Lomas, symbolisent la panique latente des parents d'enfants adoptés : la peur d'être un jour rejeté au profit des liens du sang, la terreur de se voir abandonné par l'enfant qu'on a tant aimé et auquel on a tout donné. Voilà pourquoi Le Ranch des Trois Collines est aussi un roman d'amour : c'est un hommage à l'amour qui peut unir une famille, à cet amour filial plus fort que tout et qui ne tient pas compte de la biologie mais est infiniment plus immanent.
    J'ai retrouvé dans ce roman tout ce que j'avais aimé dans La Plantation, même si je n'ai pas ressenti de coup de cœur cette fois, notamment à cause de longueurs en milieu de roman qui m'ont pendant un temps -très court cependant- un peu ennuyée. J'adore ces grandes sagas familiales qui nous permettent de suivre des personnages sur plusieurs années, de les voir dans leurs développements, leurs évolutions. Quand ceux-ci sont attachants c'est encore mieux et justement Leila Meacham est très douée pour faire naître des personnages qui captent vite l'intérêt du lecteur. En tous cas, pour moi, ça a pris très vite. J'ai bien sur beaucoup aimé le duo au centre de l'intrigue, Samantha et Nathan, avec peut-être une légère préférence pour la première parce qu'elle est une femme et qu'il est bien sûr plus facile pour moi de m'identifier à un personnage féminin...Mais tous les autres à leur manière sont dignes d'intérêt et très bien travaillés. On sent que l'auteure n'en a laissé aucun sur la touche, comme elle ne laisse rien au hasard dans son intrigue, qui est de qualité. Les circonvolutions qui amènent Nathan et Samantha à se retrouver après vingt ans de séparation peuvent effectivement apparaître comme téléphonés mais je crois qu'il faut les prendre seulement comme un coup de pouce du destin. Ça existe parfois, même s'il est bien sûr plus facile de manipuler celui-ci dans un roman et l'amener où on veut qu'il aille !
    Le Ranch des Trois Collines est un roman très dynamique, qui n'ennuie pas. Mon intérêt est peut-être légèrement retombé lorsque j'ai ressenti quelques longueurs en milieu d'intrigue mais à part ça, j'ai toujours été captivée, j'ai toujours eu envie de découvrir ce qui allait se passer par la suite ! Il y'a toujours un petit quelque chose qui donne envie de tourner la page et de découvrir la suivante !
    Ce livre n'a absolument pas déçu mes attentes. J'ai mis du temps à le lire, pour tout un tas de raisons. Je suis contente d'en être venue à bout parce que j'avais tellement envie de connaître la fin. Je ne m'attendais pas à tout et j'ai parfois été surprise. Si la réunion de Samantha et Nathan était effectivement logique et prévisible, certains autres rebondissements eux, ne l'étaient pas et m'ont fait ouvrir de grands yeux. J'aime ses romans qui nous font passer par toute une gamme de sentiments et d'émotions. En cela, je n'ai pas été déçue et je referme ce roman un brin nostalgique, ce qui est un bon signe. Mon dernier mot ? Je vous le recommande, évidemment ! 

    En Bref : 

    Les + : une belle saga familiale, aboutie et maîtrisée, sur fond de conquête du Texas et exploitation pétrolière balbutiante, un roman historique intéressant et des personnages attachants. 
    Les - : quelques coquilles, c'est un peu dommage, mais pas grave en soi. 

     

     

     


    6 commentaires
  • « Pour les enfants de J.R.R Tolkien, l'attrait et l'importance de Noël, au-delà même du remplissage des bas de laine le soir de Noël, résidaient dans la lettre qu'il leur écrivait chaque année, où il décrivait, en mots et en images, sa maison, ses amis et les événements, drôles ou alarmants survenus au Pôle Nord. »

    Lettres du Père Noël ; J.R.R Tolkien

    Publié en 1976 en Angleterre ; en 2010 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Letters from Father Christmas 

    Editions Pocket

    159 pages 

    Résumé : 

    Plus connu pour ses travaux universitaires et pour l'invention de la Terre du Milieu, J.R.R. Tolkien est aussi un formidable auteur de contes pour enfants. Comme Bilbo le Hobbit et Roverandom, les Lettres du Père Noël ont d'abord été destinées à ses trois fils et à sa fille, auxquels, chaque année, entre 1920 et 1943, Tolkien a écrit une lettre (parfois deux) prétendument envoyée du Pôle Nord par le Père Noël ou l'Ours Polaire.
    Ces trente lettres (dont quinze traduites pour la première fois, dans cette édition revue et augmentée) forment un récit très prenant des aventures du Père Noël et de l'Ours du Pôle Nord, et de leurs démêlés avec les gobelins, qui plaira aux enfants, à leurs parents, et surprendra plus d'un amoureux de Tolkien.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Quand on évoque Tolkien, c'est surtout à La Terre du Milieu que l'on pense aussitôt, Le Seigneur des Anneaux etc... Mais n'étant pas du tout fan de fantasy, jusqu'ici, il était inenvisageable que je lise un jour du Tolkien. Puis j'ai découvert Lettres du Père Noël et j'ai découvert de fait ce qui se cachait derrière le romancier à l'imagination prolixe. Tolkien n'a pas été qu'un universitaire et un auteur de talent, qui a inventé tout un monde. C'était aussi un père de famille qui, pendant plus de vingt ans, de 1920 à 1943, écrira à ses enfants, prêtant sa plume tour à tour au Père Noël, à l'Ours Polaire ou à un elfe. Tolkien était le père de quatre enfants : John, Michael, Christopher et Priscilla. Le premier voit le jour en 1917. Il a trois ans lorsque son père commence la rédaction de ce qui sera un jour un vrai recueil. Par la suite, chaque année, ses enfants écriront des lettres pour le Pôle Nord, adressées au Père Noël et, chaque année, celui-ci ou l'un de ses aides répondront aux enfants Tolkien, leur racontant les péripéties qui ont eu lieu depuis le Noël précédent : cadeaux abîmés, attaques de gobelins, arrivée des neveux de l'Ours Polaire et j'en passe...
    Le recueil est court mais il nous replonge dans les Noëls de l'enfance, ces moments que l'on trouvait féeriques et où l'on s'émerveillait d'un rien ! On a beau garder un attachement particulier à cette fête, une fois adulte, on ne ressent plus la même chose... Un livre comme celui-ci nous permet un moment entre parenthèses, un retour dans le temps qui sent bon la cannelle et le pain d'épices. En lisant ce livre, je me suis souvenue de mes lectures de Noël quand j'étais petite, des chansons, des dessins animés que je pouvais écouter ou regarder pendant la période de l'Avent. Je suis revenue vingt ans en arrière et je suis redevenue une petite fille le temps d'une lecture et ça, ça n'a pas de prix.

    Une des lettres du recueil accompagnée de son illustration


    Ce livre, c'est aussi un formidable témoignage d'amour et d'attentions d'un père à ses quatre enfants, un moyen aussi de leur faire passer des messages, de manière détournée. Chacun des quatre enfants Tolkien a reçu un jour une lettre qui lui était adressée uniquement... Les aînés, petit à petit, laissent la place aux cadets puis c'est Priscilla, la petite dernière, qui se voit gratifiée des ultimes lettres, écrites pendant la Seconde guerre mondiale.
    En lisant ce livre, je me suis demandé ce qu'avait pu ressentir ces enfants en se sentant ainsi privilégiés par un personnage qu'ils partageaient avec des millions d'autres enfants dans le monde. Les petits détails les concernant, glissés dans les lettres, ont dû les faire se sentir tellement uniques, tellement privilégiés, tellement fiers...Y ont-ils cru ? Je me suis mise à leur place en me demandant ce que j'aurais pu en penser...Et j'en suis arrivée à la conclusion qu'une aventure comme celle-ci ne peut qu'émerveiller des enfants. John, Michael, Christopher et Priscilla Tolkien ont été très chanceux d'avoir un père à l'imagination aussi fertile... Quel bonheur ce devait être pour eux de recevoir ces lettres chaque fin d'année.
    Lettres du Père Noël est bien plus qu'un livre. C'est un vrai bel objet, en couleur, avec la présence, en photo, des enveloppes et des lettres rédigées et décorées de jolis dessins par Tolkien. Cela donne vraiment quelque chose en plus au livre. Découvrir les lettres dans leur langue d'origine et dans leur forme, très particulière et unique, est vraiment intéressant. Cela nous permet encore mieux de nous identifier aux quatre enfants destinataires des missives.
    J'ai littéralement été émerveillée par ce livre. J'ai voyagé au Pôle Nord et j'ai eu l'impression de me replonger dans ces livres pleins de flocons de neige et de lumières que j'aimais tant quand j'étais petite.
    Lire les Lettres du Père Noël, c'est s'immerger dans l'imaginaire d'un des plus grands romanciers du XXème siècle mais c'est aussi l'occasion de redevenir un enfant, le temps de notre lecture.
    Une jolie parenthèse. 

    En Bref :

    Les + : Un petit livre plein de magie et qui témoigne de tout l'amour d'un père pour ses quatre enfants et de son désir de les voir s'émerveiller, même à des périodes pas faciles...
    Les - : Aucun. Je me suis laissée totalement emporter. 

     

    Thème de décembre, « Noël et ses merveilles », 12/12


    4 commentaires
  • « Personne n'est mauvais ou bon par naissance, nationalité ou religion. Au fond de nous, nous sommes tous maîtres et esclaves, riches et pauvres, parfaits et imparfaits. »

    Un Goût de Cannelle et d'Espoir ; Sarah McCoy

     

    Publié en 2012 aux Etats-Unis ; en 2015 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Baker's Daughter

    Autre titre français : La Bonne Etoile d'Elsie

    Editions Pocket

    491 pages 

    Résumé :

    Allemagne, 1944. Malgré les restrictions, les pâtisseries fument à la boulangerie Schmidt. Entre ses parents patriotes, sa soeur volontaire au Lebensborn et son prétendant haut placé dans l'armée nazie, la jeune Elsie, 16 ans, vit de cannelle et d'insouciance. Jusqu'à cette nuit de Noël, où vient toquer à sa porte un petit garçon juif, échappé des camps...
    Soixante ans plus tard, au Texas, la journaliste Reba Adams passe devant la vitrine d'une pâtisserie allemande, celle d'Elsie...Et le reportage qu'elle prépare n'est rien en comparaison de la leçon de vie qu'elle s'apprête à recevoir. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 2007, Reba Adams, une jeune journaliste du Texas, doit préparer un papier sur les traditions de Noël dans le monde. Elle a alors l'idée d'aller interviewer Elsie Merriwether, la propriétaire d'une boulangerie allemande à El Paso. Reba ne la connaît pas et ne sait pas encore qui elle va rencontrer. Elle ne sait pas que Elsie, soixante-dix-neuf ans, originaire de Garmisch, en Bavière, était adolescente pendant la Seconde guerre mondiale. Ses parents, les Schmidt, étaient boulangers durant cette période. Convaincus par l'idéologie nazie, ils étaient des citoyens comme les autres, travailleurs et ne faisant pas de vagues, s'enorgueillissant de voir leur fille aînée, Hazel, intégrer le Lebensborn de Steinhöring et leur cadette, Elsie, courtisée par un officier du Reich.
    Le soir de Noël 1944, la jeune Elsie, seize ans, se retrouve confrontée au choix d'une vie : sur la pas de la porte de la boulangerie familiale, elle trouve un jeune garçon, juif et échappé des camps, qui lui demande de l'aide...
    D'un interview anodin, sur les traditions d'un pays, petit à petit, l'échange entre Elsie et Reba change... parce que la vieille femme se confie progressivement, la jeune Américaine un peu paumée va profiter alors d'une formidable leçon de vie.
    Sarah McCoy a repris dans son roman tous les codes qui font le succès de ces romans très en vogue depuis quelques années et que Kate Morton a popularisé : deux époques, des secrets, un pont qui se crée entre les deux, grâce à l'un des personnages -en général, féminin et un peu paumé ou en quête de réponses quelconques.
    Reba ne déroge pas à la règle, même si le roman, dans son ensemble, diffère quand même pas mal des œuvres de Morton et consorts. On sent vite que cette jeune femme est un peu perdue dans sa vie... originaire de Virginie, elle a posé ses valises un peu au hasard et a élu domicile à El Paso, sans qu'elle ait l'air pour autant de s'y sentir bien.
    J'ai eu du mal à m'attacher à elle au départ, notamment à cause de son indécision que je ne comprenais pas... Puis petit à petit l'auteure distille quelques informations et on comprend nettement mieux pourquoi Reba est si instable. Si je ne me suis pas sentie plus proche d'elle pour autant, j'ai cependant ressenti de l'empathie et de la compassion.
    A vrai dire, comme beaucoup d'autres lectrices, j'ai largement préféré les chapitres consacrés à Elsie dans les années 1940 que les chapitres plus contemporains, dans lesquels Reba occupe une place centrale. Certes, on y retrouve Elsie, mais de manière plus effacée et ce n'est pas pareil.
    Indéniablement, pour moi, le point fort du roman est le fait que l'auteure ait eu l'idée de situer une partie de son intrigue en plein cœur de l'Allemagne nazie. Quand on parle de la Seconde guerre mondiale, en général, on pense aux victimes étrangères, aux populations qui ont eu à souffrir de l'occupation du Reich. On oublie trop souvent que le peuple allemand fut certainement la première victime du régime de Hitler. Sarah McCoy évite l'écueil qui menace toujours lorsqu'on choisit d'aborder une période comme celle-ci : celui de tomber dans un manichéisme trop facile sans aucune nuance. L'auteure au contraire, nous présente une société totalement écrasée sous le joug d'un régime tout puissant, qu'elle a voulu certes, à un moment donné, mais qui s'est retourné contre elle. Comme tous les autres habitants de l'Europe, en cette fin d'année 1944, les Allemands souffrent, du froid, de la fin, des exactions de la Gestapo et des soldats de plus en plus nerveux parce qu'ils sentent le vent tourner. Et certains, comme Elsie, commencent à douter du bien fondé du régime et naissent alors en eux l'envie de lutter. Nous avons eu la Résistance en France mais il y'en eut aussi en Allemagne.

    Des Lebkuchen (pains d'épices) en forme de cœur, pâtisserie emblématique de la boulangerie des parents d'Elsie, dans le roman


    J'ai aimé aussi que l'auteure fasse endosser des actes héroïques et courageux à des personnes totalement normales, voire considérées comme faibles, juste parce qu'elles ont été mues par leur conscience. Lorsque Elsie rencontre Tobias et prend sur elle de le cacher, elle entre certes en résistance mais surtout, elle écoute son cœur et sa conscience. Elle se retrouve alors confrontée à un dilemme terrible : la loyauté à un régime qu'elle ne cautionne plus ou bien suivre un sentiment plus fort que tout.
    Sarah McCoy démontre aussi avec justesse que tous les partisans du régime n'ont pas été des monstres. On pouvait être honnête et soutenir le régime nazi, parce que cela allait de soi : c'est le cas du père de Elsie, boulanger sans histoires, honnête et travailleur, qu'on pourrait considérer sans nul doute comme un homme bien mais qui supporta le parti nazi jusqu'au bout, par respect et amour de son pays.
    Quand Elsie explique à Reba que certains nazis étaient des hommes bien, la jeune femme réagit comme nous le ferions tous aujourd'hui : avec perplexité. Et pourtant, l'Histoire est toujours bien plus complexe que ce qu'on veut bien croire ou en retenir. Personne n'est jamais totalement coupable ou innocent.
    Un goût de cannelle et d'espoir est un roman vraiment captivant même si je sentais mon intérêt retomber dès qu'on revenait en 2007... Je n'ai pas détesté Reba mais, comme je le dis plus haut, je n'ai pas vraiment ressenti grand chose pour elle alors que je me suis beaucoup attachée à Elsie. Dans sa globalité, le roman est cohérent et tient la route. Je crois que j'aurais encore plus aimé s'il s'était passé intégralement dans les années 1940 avec, pourquoi pas, un petit saut dans le temps qui aurait permis de savoir ce que Elsie est devenue. J'aurais peut-être alors pu ressentir un coup de cœur, que je n'ai pas eu, même si je l'ai frôlé.
    Ce roman a beaucoup de qualités malgré quelques petits points plus faibles qui m'ont gênée. J'ai aimé aussi la forme que l'auteure lui a donné, alternant partie narratives et parties épistolaires -lettres, courriels-, notamment parce que certaines lettres sont particulièrement émouvantes. J'ai beaucoup aimé celles de Hazel, la soeur d'Elsie, qui n'apparaît d'ailleurs que comme cela.
    J'ai vraiment dévoré ce roman ! Il m'a fallu un peu plus de 48 heures pour le lire mais, dès le début, j'ai senti que ce roman allait être vite lu. Le style est fluide, plutôt agréable à lire. On se laisse vite prendre par l'intrigue non seulement parce que le personnage d'Elsie est intéressant mais aussi parce qu'un suspense s'installe rapidement et on a envie de savoir le fin mot de l'histoire.
    Contrairement à d'autres lectrices, je n'ai cependant pas été spécialement émue... Elle est très belle, certes, mais pas si émouvante que ça. Je l'ai aimée néanmoins : le roman est porteur d'espoir et la fin ne l'est pas moins.
    Petit plus aussi pour les recettes allemandes -Lebkuchen, Brötchen etc- qui figurent en fin de roman pour celles et ceux qui voudraient s'essayer à la pâtisserie allemande !
    Je conseille Un goût de cannelle et d'espoir en espérant que vous serez conquis comme moi.

    En Bref : 

    Les + : l'intrigue historique, touchante et très bien menée ; le style fluide et efficace de l'auteure. 
    Les - : les chapitres contemporains centrés sur Reba, qui ne m'ont pas intéressée. 

     


    6 commentaires