• 8 mars 2021 : Portrait d'une femme inspirante

     

    Colette — Wikipédia

    Portrait de Colette vers 1910

     

    Aujourd'hui nous sommes le 8 mars et j'avais envie de mettre une femme inspirante à l'honneur : Colette. Peut-être ne l'est-elle pas pour vous, peut-être restez-vous hermétiques à son univers et je peux le comprendre. Perso je n'ai jamais pu avec Marguerite Duras donc je comprends totalement. 

    Colette, pour moi, c'est avant tout un rendez-vous et une rencontre de jeunesse. Le Blé en Herbe lu en seconde et ensuite des travaux de groupe en première qui me font explorer plus à fond son univers et sa vie. On ne s'est jamais plus quittées elle et moi. 

    Colette, c'est la liberté. La liberté d'une petite campagnarde née dans un petit village de l'Yonne en 1873, qui n'a comme seule barrière un horizon infini. C'est la liberté d'une jeune femme devenue une épouse mais qui refuse quand même de rentrer dans les cases. Elle prendra aussi la liberté bien légitime de s'élever contre la honteuse spoliation de son oeuvre dont se rend coupable son premier mari, Willy. Paradoxal, non, quand on sait que Colette disait : « Les femmes libres ne sont pas des femmes ? » Et pourtant aujourd'hui, c'est tellement cette idée de liberté qui me vient à l'esprit quand je pense à elle !

    Colette fera tout ce qu'elle veut. Du music-hall à moitié nue. L'amour avec Missy. Se déguiser en homme.

    Colette, c'est une grande amoureuse. Elle aime les hommes, les femmes, les plus jeunes qu'elle. Toujours elle assumera et quand elle braque sur vous ses grands yeux noirs cernés de khôl à la fin de sa vie, elle ne s'excuse pas, au contraire, elle revendique. Colette était-elle féministe ? Non. Elle l'a dit, haut et fort. Et pourtant, une chose est sûre, elle a beaucoup fait pour les femmes, à sa manière : elle n'était peut-être pas favorable aux suffragettes, elle n'était peut-être pas engagée politiquement mais elle a quand même profondément cassé les codes.

    Avec Colette je partage aussi une passion pour les chats. Je me retrouve dans son amour pour cet animal filant et un peu insaisissable. Je me retrouve dans ses textes et quand je les relis je sens toujours un petit frisson nostalgique sur ma peau. Quand je rouvre un livre de Colette, je redeviens une jeune fille de seize ans qui, avec Colette, s'émancipe de la littérature jeunesse pour découvrir autre chose. 

    J'aime Colette. Je l'aimerai toujours. En ce 8 mars 2021, j'avais envie de lui rendre hommage à elle, plus qu'à une autre. Parce qu'elle n'est finalement pas la plus connue de nos auteures mais assurément l'une des plus atypiques. Parce qu'on n'a pas besoin d'être une pasionaria pour être inspirante. Colette n'est pas une Amazone ni une Walkyrie de la cause féministe, elle en est même extrêmement éloignée. Que dirait-elle si elle revenait aujourd'hui, soixante-sept ans après sa mort et si elle voyait qu'on la considère aujourd'hui bien souvent comme une icône ? Colette n'est pas Simone de Beauvoir : elle n'a pas pensé ni conceptualisé le féminisme, elle n'y a pas réfléchi. La preuve, elle ne l'est pas et le dit clairement. Et pourtant, malgré tout cela, elle fait partie de celles qui ont mis un jour un bon coup de pied dans la fourmilière. La puissance de Colette, c'est d'avoir vécu sa vie comme elle l'entendait, loin des codes de son époque. 

    Oui, pour moi, elle est plus qu'inspirante ! Nous sommes entourés de femmes inspirantes, d'ailleurs. Nos mères, nos sœurs, nos grand-mères. On porte en nous nos aïeules qui bien souvent ont vécu aux premières loges deux conflits mondiaux, qui répondraient probablement avec modestie si on pouvait leur dire aujourd'hui notre admiration : « J'ai fait ce que j'ai pu. » ou « J'ai fait ce que j'ai dû quand les circonstances l'exigeaient. »
    Colette est une aïeule commune pour nous toutes. 

     

    Colette (1873 - 1954) - La scandaleuse - Herodote.net

     

    Colette et Mathilde de Morny (dite Missy), habillée en homme : elle portera le pantalon comme les hommes à une époque où les femmes ne le pouvaient qu'après autorisation des autorités compétentes...

     


     

    Colette et les siennes

     

     

     

    « Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne. » Colette

     

     

    Ces livres qui m'ont fait aimer Colette :

    • Le Blé en Herbe, 1923
    • Sido, les Vrilles de la Vigne, 1901
    • La série des Claudine, 1900 - 1903

     

     


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  • «  Des événements nous séparent du monde ; la politique fait des solitaires comme la religion fait des anachorètes. Quand l'homme habite le désert, il trouve en lui quelque lointaine image de l'être infini qui, vivant seul dans l'immensité, voit s'accomplir les révolutions des mondes. »

    Mémoires d'outre-tombe Livres XXV à XXXIII ; François-René de Chateaubriand

     

     

       Publié en 2002

      Date de publication originale : 1848

      Editions Le Livre de Poche (collection Les            classiques de Poche)

      671 pages 

      Troisième tome des Mémoires d'Outre-Tombe 

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Ce troisième tome s'ouvre sur la Restauration et nous conduit jusqu'à la Révolution de 1830. Nommé pair de France en 1815, Chateaubriand devient ambassadeur dans plusieurs capitales d'Europe et surtout ministre des Affaires étrangères de 1822 à 1824. Mais le mémorialiste reste silencieux sur ces mois de gouvernement, soudainement impuissant à se représenter pleinement comme acteur de l'Histoire. L'écrivain aborde d'emblée la Restauration sur le ton du désenchantement : Retomber de Bonaparte et de l'Empire à ce qui les a suivis, c'est tomber de la réalité dans le néant, du sommet d'une montagne dans un gouffre.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Cette année, j'ai décidé de lire le troisième volume des Mémoires d'outre-tombe, qui dormaient dans ma PAL depuis plusieurs années. J'ai d'abord voulu en faire un petit challenge de printemps, en me disant que je lirais ce volume (quand même assez conséquent) sur tout le mois de mars, voire peut-être sur avril aussi. C'était aussi prendre le risque d'arrêter ma lecture et de la mettre sur pause pendant une période indéfinie : j'ai souvent du mal à lire plusieurs livres de front et cela ne m'arrive pas souvent, ou alors, c'est toujours au détriment de l'un ou l'autre des livres.
    Finalement, je me suis attelée à la lecture de ce tome-ci la semaine dernière et...sept jours plus tard, il est déjà terminé.
    Ce troisième tome, qui regroupe les livres XXV à XXXIII des Mémoires initiaux, se concentre essentiellement sur la carrière politique de Chateaubriand et le premier mot qui me viendrait à l'esprit pour le qualifier, là, tout de suite, c'est : ardu. Oui, on est clairement (pour le moment) sur le tome le plus complexe de ces Mémoires qui, dans leur forme contemporaine, sont composées de quatre volumes. Après les souvenirs d'enfance et le récit de la Révolution française et de l'errance qui en résulte pour l'auteur, après la relation de ses voyages qui l'emmènent de Londres jusqu'aux grandes plaines sauvages des Amériques à la fin du XVIIIème siècle, place donc à l'autre vie de François-René Chateaubriand, homme de plume mais homme politique, aussi.
    Issu de la petite noblesse bretonne, Chateaubriand va rallier la contre-Révolution et l'Armée des Princes dans les années 1790. Le deuxième volume de ses Mémoires s'achève d'ailleurs sur une charge en règle de l'Empire, après le choc causé par l'exécution sommaire du duc d'Enghien en 1804. Ce troisième tome s'ouvre dix ans plus tard et aborde de plain-pied la Restauration et les débuts de Chateaubriand comme homme politique, sous les deux derniers Bourbons, Louis XVIII et Charles X : il est ainsi nommé Pair de France en 1815, ainsi que Ministre d'Etat, puis obtient le portefeuille des Affaires étrangères de 1822 à 1824. Il sera également ambassadeur près le Saint-Siège ainsi qu'à Londres, avant de regagner la France où il se trouvera aux premières loges pour voir tomber ces Bourbons qu'il a soutenus pendant la Révolution mais dans lesquels il ne croit plus vraiment. L'avènement de « l'usurpateur » Orléans, Louis-Philippe Ier, met un terme à la carrière politique de Chateaubriand et à ce troisième volume des Mémoires. Ironie du sort, il mourra la même année que cette monarchie qu'il décrie tant, en 1848.
    Ce tome est assez complexe à aborder car émaillé de textes diplomatiques, de dépêches, de notes qui sont relativement opaques pour nous, lecteurs néophytes du XXIème siècle. Cela n'empêche pas Chateaubriand de céder aux envolées lyriques typiques du romantisme naissant et de se livrer à un examen de conscience parfois bien pessimiste, comme il a su déjà si bien le faire dans les précédents livres de ces Mémoires ! Cela dit, je vous rassure : même si l'auteur est sans nul doute influencé par le courant romantique, alors en vogue en Europe et si toutefois vous y étiez hermétiques, cela ne gênera pas pour autant votre lecture, du moins je ne le pense pas. Je ne me considère pas spécialement comme une fan du courant romantique, surtout en littérature et si je n'ai pas manqué de le reconnaître au premier coup d'oeil chez Chateaubriand, je n'en ai pas été gênée pour autant. Si les descriptions qui tiennent des pages et des pages vous donnent des palpitations, vous ne trouverez pas cela ici, même si l'auteur cède non sans plaisir à un portrait circonstancié de la société romaine, de la campagne italienne ou encore, de la bonne société britannique qu'il fréquente lors de son ambassade (il faut ce qu'il faut, quand même). J'ai d'ailleurs souri parfois devant ces portraits quelque peu désabusés de sociétés déjà fréquentées auparavant et qui ne sont décidément plus ce qu'elles étaient...j'ai eu l'impression que Chateaubriand se livrait au « que voulez-vous, ce n'est plus ce que c'était, ma bonne dame » avec le recul parfois dépouillé de toutes ses illusions que peut donner l'âge ! 

    Chateaubriand en tenue de pair de France en 1828


    On le sait, des mémoires sont des sources historiques à manipuler avec précaution et, en même temps, des documents précieux car souvent écrits au plus près des événements. Au vu de ce que l'on sait du contexte général (sociétal, politique, géopolitique) de ce début du XIXème siècle, entre la chute de l'Empire de Napoléon et la Monarchie de Juillet, j'ai trouvé que Chateaubriand parvenait à faire preuve de nuances. S'il défend bien évidemment sa vérité, celle d'un homme d'Etat qui a parfois participé à la prise de décisions impopulaires, sa vision de la Restauration est finalement assez clairvoyante : les premiers chapitres de ce troisième tome n'ont pas laissé de me surprendre, d'ailleurs, car je me souvenais de ceux, très violents contre l'Empire et Bonaparte, qui achevaient le deuxième volume. Et là, justement, la Restauration de ces Bourbons qu'il a soutenus dans la contre-Révolution ne semble pas soutenir, à ses yeux, la comparaison avec l'Empire ! Finalement, par conviction intime et politique, Chateaubriand a soutenu un régime dont il sentait les failles depuis longtemps et dont il a vu la lente déréliction. Pour autant, il ne cessera d'être fidèle à la cause légitimiste, défendant le jeune comte de Chambord (Henri V) contre l'usurpation de son cousin Orléans, qui se fait impunément à la faveur des journées insurrectionnelles de juillet 1830.
    Depuis le départ, Chateaubriand semble céder à des accès de mélancolie et de noirceur plus ou moins violents : je l'avais déjà relevé dans les deux précédents volumes. C'est aussi le cas ici. Désabusé, le vieil homme qui écrit alors, trait d'union entre le nouveau monde et l'ancien monde, porte un œil froid sinon indifférent sur les années qui viennent de s'écouler et ont emporté le trône d'un Empereur et celui de deux rois dans leur chute. Sa plume se fait souvent critique et il n'a pas assez de mots pour décrire la catastrophe qui semble inscrite dans l'ADN même dans la Restauration, comme un régime voué à l'échec, comme une parenthèse nécessaire mais déjà condamnée entre l'Empire et autre chose.
    Si ce document porte immanquablement une part de subjectivité, ce qui est bien évidemment normal, il reste malgré tout une source précieuse pour tous ceux qui s'intéressent à l'Histoire du XIXème siècle. Sous la plume de Chateaubriand, les événements reprennent de la teneur, de la consistance : de la chute de Napoléon à Waterloo en passant par l'assassinat du duc de Berry par Louvel et la révolution de juillet 1830 (les Trois Glorieuses), rien n'est laissé de côté et tout est relaté et analysé. Ajoutez à cela une analyse personnelle mais finalement assez fine des sociétés londonienne et romaine des années 1820 et vous obtenez un document particulièrement riche, parfois compliqué et qui nécessite une bonne concentration mais qui vous laisse l'impression d'avoir été, l'espace d'une lecture, au plus près des événements et ça, ça n'est pas de prix.

    27-29 juillet 1830 - Les ordonnances de Juillet et la révolution des « Trois  Glorieuses » - Herodote.net

     

    L'insurrection des Trois Glorieuses (27, 28 et 29 juillet 1830) qui coûte son trône à Charles X. Ce tableau représente les combats de la rue de Rohan (Hippolyte Lecomte). 

     

    En Bref :

    Les + : le sentiment d'être au plus près d'événements absolument marquants, car on les voit au travers des yeux d'un témoin privilégié.  
    Les - :
     
    des passages très politiques et compliqués à comprendre, il faut s'accrocher ! Après, ça fait partie du jeu et il faut l'accepter !


    Mémoires d'outre-tombe Livres XXV à XXXIII ; François-René de Chateaubriand

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     


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  • « Aujourd'hui, quand je revois la manière dont les choses se sont passées, je me dis qu'il aurait fallu faire autrement. J'étais tendu vers un but. Il m'a aveuglé. Je suis passé à côté de ce que j'aurais dû voir et combattre. En aurais-je eu le courage ? Je ne sais pas. »

    Couverture Le dernier des nôtres

     

     

     

         Publié en 2017

      Editions Le Livre de Poche

      474 pages

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Manhattan, 1969 : un homme rencontre une femme. 
    Dresde, 1945 : sous un déluge de bombes, une mère accouche d'un petit garçon. 
    Avec puissance et émotion, l'auteur nous fait traverser ces continents et ces époques que tout oppose : des montagnes autrichiennes au désert de Los Alamos, des plaines glacées de Pologne aux fêtes new-yorkaises, de la tragédie d'un monde finissant à l'énergie d'un monde naissant...Deux frères ennemis, deux femmes liées par une amitié indéfectible, deux jeunes gens emportés par un amour impossible sont les héros de cette fresque flamboyante. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

     Entre 1945 et les années 1970, l'histoire d'une famille allemande déchirée par la tragédie et par la guerre.
    En 1969, le jeune Werner Zilch, entrepreneur new-yorkais motivé et décidé à faire fortune sans rien devoir à personne, rencontre une jeune femme dans un restaurant. Il ne le sait pas encore, mais cette rencontre va changer sa vie et pas simplement sa vie amoureuse.
    En 1945, sous une pluie de bombes, dans une Dresde ravagée par les missiles alliés et menacée par l'avancée des troupes russes, une jeune femme donne naissance à un petit garçon : elle a juste le temps de le nommer et de le confier au médecin qui l'a accouchée avant de mourir.
    C'est difficile de résumer ce roman sans trop en dire, je trouve. Le meilleur moyen de s'en faire une idée, c'est de le lire, bien évidemment... mais comment vous en parler pour vous donner envie sans trop vous en dire non plus et ainsi, gâcher votre curiosité ? Alors même que je suis en train d'écrire ces mots, je ne sais pas du tout à quoi va ressembler la suite de cette chronique.
    On va commencer directement, une fois n'est pas coutume, par mon ressenti, avant d'en dire plus...Déjà, je dirai que je n'ai pas trouvé dans ce livre ce à quoi je m'attendais à la lecture du résumé. Est-ce que je m'attendais à quelque chose d'autre ? Oui. Enfin, disons, que je ne m'attendais pas à un récit comme celui-là, clairement. Est-ce que je le regrette ? Assurément, non. J'aurais pu être déçue, justement, de ne pas voir mes attentes satisfaites. Au final, je ne l'ai pas du tout été et j'ai trouvé ce récit d'une puissance rare. Vous lirez des avis mitigés sur internet : le thème qui fait vendre, le personnage principal masculin insupportable, le récit cousu de fil blanc. Que le thème fasse vendre, c'est un fait. Que le personnage de Werner soit parfois un peu insupportable, c'est vrai aussi (en même temps, un mec de vingt-cinq ans ultra sûr de lui et qui profère des énormités machistes dans les années 1970, ça courrait les rues, non ?). Ensuite, que le récit soit cousu de fil blanc...bon, je crois que c'est à l’appréciation de chacun. Personnellement, je n'avais pas forcément vu venir les rebondissements des derniers chapitres.
    Je ne m'étais pas non plus forcément attendue à la puissance des premiers chapitres : à la lecture de plusieurs résumés, je savais ce que j'allais y trouver mais honnêtement, j'ai été percutée et j'ai mis quelques secondes avant de redescendre. C'est violent, incisif et l'auteure ne ménage pas ses lecteurs. C'est la Seconde guerre mondiale dans toute son horreur, mais le prisme est légèrement déplacé ici : pas question de parler de la France, de l'Occupation, de la Résistance ou du Blitz, des sujets effectivement vus et revus, mais bien de la défaite de l'Allemagne en train de se jouer. Nous sommes au début de 1945, à quelques mois de l'armistice. L'Allemagne est cernée par les Alliés et par l'Armée rouge : au mois de janvier, les premiers camps de la mort sont libérés, on découvre avec stupéfaction et effroi les horreurs qui y ont été commises pendant toute la guerre...et surtout, de nombreuses villes allemandes sont prises sous le feu des bombes britanniques. Dresde n'y échappe pas : du 13 au 15 février 1945, la RAF, avec l'appui de l'aviation américaine, lâche pas moins de 650 000 bombes incendiaires et explosives sur la ville. A ce jour encore, le nombre exact de morts n'est pas connu et oscille entre 35 000 et 50 000 morts, ce qui est considérable. L'Allemagne du IIIème Reich est finie mais tandis que les hauts dirigeants, pour échapper à l'ennemi, se suicident à l'abri de leurs bunkers, comme le fera Hitler en avril 1945, c'est la population qui trinque. C'est dans cette horreur sans nom, dans cette ville qui n'en a plus que le nom, ce joyau baroque qui n'existe plus en quelques heures, que Werner naît. Oui, vous aurez compris que je ne vous révélerai pas le scoop de l'année : dès la lecture du résumé, on comprend que le jeune homme de 1969 et le bébé de 1945 sont bien la seule et même personne. Werner, donc, dont on va remonter l'histoire petit à petit, pour comprendre. Comprendre le drame d'une famille, bien évidemment bouleversée par la guerre mais aussi par des griefs et des rivalités plus personnelles qui n'ont rien à voir avec elle.

    Image illustrative de l’article Bombardement de Dresde

     

    La ville de Dresde après les bombardements de février 1945


    J'ai aimé ce changement de point de vue : je crois que je peux compter sur les doigts d'une main les romans que j'ai pu lire et qui traitaient de la Seconde guerre mondiale et qui se concentrent sur l'Allemagne. Pourquoi ? Un fond de rancœur ? Un reste de pudeur à évoquer les souffrances d'un peuple qu'on considérait alors comme l'ennemi irréductible ? Par sa proximité avec nous, il est difficile effectivement de s'approprier ce sujet avec une objectivité froide. On va forcément y mettre un peu de nous, des souvenirs de nos proches, parce qu'on a tous un grand-père, une grand-mère qui a bien connu cette époque et qui nous l'a racontée. Ou pas. Et je crois qu'on se forge aussi notre sentiment profond avec ces paroles ou l'absence de ces mots, justement, ce silence qui pèse ; parce que la Seconde guerre est une guerre totale, avec des fronts flous, sans arrière, parce que chacun est touché et risque sa vie, parce qu'il n'y a pas que les soldats qui vont au charbon, comme on dit et que certains jeunes gens réfractaires vont s'improviser guerriers avec des fusils de fortune et quelques bouts de ficelle, et parce que pour la première fois la xénophobie est élevée au rang d'une idéologie sur laquelle on assoit des régimes, cette guerre est décidément bien différente de celle qui l'a précédée, même si l'horreur reste la même. Et on oublie bien souvent que le peuple allemand a été victime lui aussi de cette horreur. On oublie qu'il est peut-être même la première victime du nazisme. C'est ce que montre bien l'auteure dans ce roman : il y'a ceux qui ne se posent pas de questions parce qu'ils n'entendent rien à la politique, ceux qui vont adhérer à l'idéologie parce qu'ils n'auront pas le choix et enfin, ceux, impardonnables, qui vont y adhérer par conviction ou pour assouvir de bas instincts. Mais au final, combien sont-ils, les vrais convaincus et combien sont-ils ceux qui ont subi ? Les seconds sont certainement les plus nombreux. Dans cette Allemagne qui est sur le point de capituler, qui perd un à un ses dirigeants, la population, les femmes, les enfants, les plus âgés, sont les premières victimes du rouleau compresseur qui est en train de réduire le pays à néant, bouleversant des vies à jamais.
    La vision de l'auteure m'a plu. Elle ne cherche jamais à excuser mais elle nuance toujours et j'ai apprécié ce parti-pris, l'idée qu'il est facile de juger des années plus tard mais pas toujours évident de faire les bons choix à l'instant T.
    En parallèle, la double-temporalité du récit permet aussi d'aborder un monde plus léger, celui du gratin new-yorkais de la fin des années 60 et du début des années 70 : du psychédélisme de la Factory de Wharol aux belles demeures de la Cinquième Avenue, nos personnages s'étourdissent dans une vie tourbillonnante et menée à cent à l'heure, dans une époque encore optimiste où tout semble facile. Werner et son ami et associé Marcus sont les purs produits du rêve américain, des self-made-men qui s'élèvent à force d'ambition et de travail ; la sœur de Werner, Lauren, est une avant-gardiste, hippie et écolo avant la lettre tandis que Rebecca, la petite amie de Werner, est issue de cette aristocratie américaine basée sur la finance et l'industrie, vit fastueusement au milieu de montagnes de billets tout en étant artiste et souhaitant vivre de son art. On alterne donc, tout au long du récit, entre la noirceur d'un monde finissant en plein marasme et les paillettes d'une ville en pleine expansion, à une époque où la vie semble tellement plus facile et plus belle - sans être exempte de ses parts d'ombre pour autant et de ses fantômes.
    Comme dans le roman Lola Bensky, de Lily Brett, qui abordait avec pudeur les traumatismes enfouis des enfants de déportés, on découvre ici que les tragédies se transmettent et les traumatismes aussi. Et c'est dans la douleur des révélations, dans la sidération aussi qu'elles peuvent produire, que Werner va peu à peu comprendre qui il est, se stabiliser et arrêter de voler d'un projet à un autre, d'une femme à une autre, pour se construire et comprendre d'où il vient, une préoccupation tellement humaine et qui peut devenir tellement dévorante et tellement destructrice.
    J'ai donc beaucoup aimé ce roman, même si le début ne présageait rien de bon : il m'a laissé une drôle de sensation, un sentiment étrange et un peu désagréable, il m'a secouée aussi. Je me suis dit à un moment que ce roman n'était peut-être pas fait pour moi mais j'ai persévéré : je n'aime pas abandonner un livre et, d'ailleurs, je n'en avais pas envie. Au pire, je me suis dit, tu seras déçue. Non seulement je ne l'ai pas été mais j'ai trouvé dans ce roman une teneur, une densité, un récit que je n'attendais pas. Donc, en conclusion, une bien belle découverte, qui abordent des sujets qui me parlent et une époque historique pour laquelle j'ai un certain intérêt. Le changement de point de vue, braqué sur l'Allemagne de 1945, m'a beaucoup intéressée et surtout, j'ai trouvé que l'auteure se débrouillait bien avec un sujet pas simple, sans tomber dans l'écueil du manichéisme, du trop facile et du consensuel. Le Dernier des Nôtres est donc un bon roman historique mâtiné d'un secret qui créé du suspense et, qui évidemment, pique la curiosité.

    En Bref :

    Les + : un sujet intéressant et bien maîtrisé par l'auteure, comme les mots qu'elle manie avec habileté. Une double-temporalité intéressante et qui renvoie dos à dos deux époques, un monde finissant et un autre où le champ des possibles est vaste. C'était sympa et peut-être même un poil trop court pour moi !  
    Les - :
    pas vraiment de points négatifs à soulever. Certes, les premiers chapitres, surtout ceux traitant des bombardements de Dresde, m'ont laissé une drôle de sensation...mais ce n'est qu'un avis absolument personnel et donc subjectif, d'autant plus qu'il s'est rapidement dissipé.


    Le Dernier des Nôtres ; Adélaïde de Clermont-Tonnerre 

       Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle


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  • « Il était une fois une histoire vraie, ensemble drame et farce. Une histoire au présent, et sans dates, car intemporelle. L'histoire d'une année de paroxysme politique, à elle seule métaphore du XIXe siècle. Une histoire où la grandeur côtoie la bassesse. »

     

     

     

       Publié en 2020

      Editions Pocket

      368 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

     Entrez dans la danse : une des plus sidérantes années de l'Histoire de France commence. Fraîchement débarqué de l'île d'Elbe, Napoléon déloge Louis XVIII pour remonter sur son trône. Son trône ? Après Waterloo, le voilà à son tour bouté hors des Tuileries. Le roi et l'Empereur se disputent un fauteuil pour deux, chacun jurant d'incarner la liberté, la paix et la légitimité. 
    Sur la scène de ce théâtre méconnu des Cent-Jours, deux couples, fidèles de l'Aigle, sont dans la tourmente. Des héros oubliés liés par un sens de l'honneur et une loyauté hors du commun, qu'ils vont payer cher...
    Au bal du pouvoir, la valse des courtisans bat la mesure face à un peuple médusé. La fable reste intemporelle, enjouée et amorale. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    1815, année héroïque (oui, je sais ma vanne est nulle mais c'est pas grave). Après le triste et tragique destin de la fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, Marie-Thérèse Charlotte, raconté dans Mousseline la Sérieuse, Sylvie Yvert s'attelle à l'une des années les plus folles de notre Histoire ! 1815. L'année de Waterloo (morne plaine) mais surtout, l'année du vol de l'Aigle, l'année des Cent-Jours, l'année ou Napoléon, délogé de son trône l'année précédente par Louis XVIII l'en chasse pour se réinstaller aux Tuileries avant d'en être à nouveau délogé à son tour par...Louis XVIII. Vous suivez ? 1815, c'est aussi l'année des retournements de veste, des basses vengeances et des piètres ambitions, des élévations bien peu méritées, de l'injuste épuration et de la criante obséquiosité. 1815 est une année à nulle autre pareille.
    Pour la restituer dans son contexte, 1815 est censée être la première année de la Restauration des Bourbons : l'année précédente, Napoléon Ier, lâché de tous les côtés (même par son épouse l'impératrice Marie-Louise, sommée de rentrer en Autriche avec son fils, le petit roi de Rome âgé de trois ans), a abdiqué. Le vainqueur d'Arcole, Austerlitz, Iéna, Eylau, vient de connaître des campagnes désastreuses et notamment celle, terrible, de Russie en 1812. En 1814, Napoléon Ier se retire et part en exil sur l'île d'Elbe, petit caillou perdu de Méditerranée, non loin de sa Corse natale et des côtes italiennes. A Paris, c'est le retour des Bourbons : Louis XVIII, frère cadet de Louis XVI, ceint enfin la couronne de France.
    Mais, coup de théâtre : au mois de mars 1815, Napoléon quitte l'île d'Elbe et débarque à Golfe-Juan, le 1er mars. Commence alors une marche forcée vers le nord, vers Paris, à travers des villes et des campagnes médusées : tandis que Louis XVIII quitte précipitamment les Tuileries aussi vite que lui permet son piètre état de santé et que les troupes se mutinent, se remettant les unes après les autres au service de l'Empereur, le 20 mars à 21 heures, Napoléon arrive à Paris, accueilli par une foule considérable. Ce que l'on a appelé le vol de l'Aigle est terminé ; c'est le début des Cent-Jours. Cent-Jours qui commencent triomphalement avant de se terminer dans la pire des débâcles. Cette fois, pas de mansuétude, pas de quartier : les Alliés vont se débarrasser purement et simplement du trop embarrassant Ogre de Corse en l'envoyant sur l'île de Sainte-Hélène, où il disparaîtra le 5 mai 1821. En France commence alors une épuration politique où chacun tente de se racheter une conduite et parfois, une conscience. On gratte poliment les abeilles impériales pour faire réapparaître les fleurs de lys royales, Louis XVIII revient aux Tuileries, couchant dans le propre lit de l'usurpateur, pas gêné pour trois sous d'être rassis sur son trône par la force de la coalition européenne. Surtout, les ultras, menés par son frère le comte d'Artois (futur Charles X) hurlent à sa porte comme des chiens déchaînés, réclamant vengeance. Il faudra des boucs émissaires, pour étancher la soif de sang impérial soi-disant de la France mais surtout, des plus intransigeants : c'est dans ce contexte que le prince de la Moskowa, le fameux maréchal Ney, aux côtés de Napoléon à Waterloo, paiera de sa tête sa fidélité. C'est aussi dans ce contexte que les deux héros de Sylvie Yvert, d'abord simplement nommés Charles et Antoine, joueront leurs destins. L'un en sortira presque indemne, après une évasion rocambolesque imaginée par sa femme ; l'autre servira d'exemple, de leçon et sera exécuté à vingt-neuf ans, payant de sa vie sa fidélité à un idéal. 1815 est l'année des reniements et de la punition de ceux qui ne veulent pas s'en détourner. 1815 est décidément une année où tout se joue, un drame mélangé à une farce comme le dit si bien l'auteure.
    Au départ, on ne sait pas qui sont Antoine et Charles. Leurs destins sont déroulés en parallèle l'un de l'autre même si l'on comprend rapidement ce qui les lie : leur adhésion à l'Empire. L'un est de naissance modeste et assiste à la chute de la monarchie et à l'ascension d'un petit général sur lequel on ne parierait pas trois sous mais qui va surprendre tout le monde. L'autre est issu de la noblesse provinciale et naît quelques années seulement avant le début de la Révolution. Il est né dans les derniers feux de l'Ancien Régime mais ne l'a jamais connu. Il fera ses armes sous l'Empire et refusera de reconnaître la Restauration, finalement proclamée par l'étranger en 1814, ce qu'il considère comme une tromperie. La force de sa conviction le forcera à se rallier, en mars 1815 à Napoléon, qu'il n'admire pourtant pas mais qu'il préférera toujours cent fois à un pouvoir fantoche manipulé par une coalition européenne.

    Le retour de Napoleon de l'île d'Elbe en - Charles Baron von Steuben en  reproduction imprimée ou copie peinte à l'huile sur toile

    Le ralliement du 5e d'infanterie de ligne à l'Empereur, le 7 mars 1815 (Charles de Steuben, 1818)


    Antoine et Charles ont, en apparence, des destinées radicalement différentes. Pourtant, en 1815, ils paieront tous les deux leurs fidélités à l'Empire. On le sait, dans les périodes de fortes tensions politiques, des épurations parfois sommaires ont lieu. Il faut des coupables et on les prend où on les trouve, tant pis s'il y'a plus coupables que les coupables. L'un d'entre eux le paiera de sa vie : sa femme, sa famille, ses connaissances ne lui seront finalement d'aucun secours et c'est avec courage et panache qu'il se présentera devant le peloton d'exécution. L'autre verra tomber autour de lui tous les séides de l'Empereur en attendant son tour : il faudra toute la force et l'amour de son épouse pour s'en sortir.
    C'est l'histoire de Charles Angélique François Huchet de La Bédoyère et de Antoine-Marie Chamans, comte de Lavalette que Sylvie Yvert nous raconte ici. Je vous laisse le soin d'aller vous renseigner sur internet pour en découvrir un peu plus sur eux si vous le souhaitez ou alors, lisez le roman, c'est plus simple : d'ailleurs, si je peux me permettre un conseil, je crois qu'il est intéressant de commencer le roman sans rien savoir de ces deux personnages finalement peu connus, en comparaison de tous les autres qui gravitent dans le roman.
    Car c'est véritable la grande Histoire qui prend corps ici. Ce roman est digne d'un péplum, c'est une grande fresque que j'ai pris un grand plaisir à savourer. Ma vision de l'Histoire se rapproche beaucoup de celle de l'auteure, j'ai l'impression et je me suis sentie rapidement en communion avec ce roman, qui m'en a rappelé un autre, excellent au demeurant, que j'ai lu l'année dernière : L’Été des Quatre Rois, de Camille Pascal.
    Dans ce roman, on croise donc tout ce beau monde de 1815, tous les courants politiques : les libéraux, les royalistes bon ton, les ultras, les modérés, les bonapartistes, les jacobins. Dans ce flot de personnages plus ou moins insignifiants, la figure charismatique de Napoléon se détache, d'autant plus criante que son rival n'est qu'un pauvre roi âgé et podagre qui peut à peine marcher. On y croise aussi Joséphine de Beauharnais, la première impératrice, sa fille Hortense, reine de Hollande par son mariage avec Louis Bonaparte, l'un des frères de Napoléon, Fouché et Talleyrand (que Chateaubriand compare avec brio au vice s'appuyant au bras du crime), le roi Louis XVIII donc, son frère le futur Charles X, leur nièce, la pauvre Madame Royale seule survivante du Temple, enfermée dans une tristesse sans nom depuis des années. On y croise aussi des femmes exaltées et des hommes pour qui fidélité n'est pas un vain mot.
    Quand on dit que la réalité dépasse souvent la fiction, c'est vrai : est-ce qu'un romancier aurait pu imaginer une année telle que 1815 ? Il n'y a bien que l'Histoire des hommes capable de concentrer en si peu de temps de tels événements. On qualifierait un roman racontant de tels événements d'être peut-être un peu trop romanesque, justement, peut-être pas très crédible : ils n'en sont donc que plus puissants et plus percutants quand on sait qu'ils ont tous existé et se sont succédé, tourbillonnants, en quelques mois seulement.
    Je ne suis pas spécialement intéressée par l'Histoire du XIXème siècle, c'est peut-être la période historique qui me parle le moins avec l'Antiquité...du moins pour ce qui est des régimes qui se succèdent et des courants politiques qui émergent : j'aime l'Histoire sociale du XIXème siècle mais nettement moins son Histoire politique et je reste hermétique à l'épopée napoléonienne. Certes, on ne peut pas enlever son génie au personnage mais j'avoue que son destin ne me captive pas. Sylvie Yvert est parvenue, avec un roman de moins de 500 pages mais qui m'a donné l'impression de lire un véritable pavé, à me passionner comme jamais avant je ne l'avais été pour cette époque ! Vous pouvez lire un pavé de 1000 pages pleines de vide ou, au contraire, un roman plus modeste au premier abord mais qui se révèle d'une richesse rare à chacune de ses pages. C'est le cas d'Une Année Folle, qui confirme décidément le très bon ressenti que j'avais éprouvé en lisant Mousseline la Sérieuse, il y'a deux ans et demi.

    En Bref :

    Les + : C'est palpitant, c'est vivant ! On entend le bruit de la cavalcade des sabots, le roulement des tambours des pelotons d'exécution, les sanglots des veuves... 1815 est une année tournant, un virage à 180 degrés. Rien jamais ne sera plus pareil après cette année. 1815, année héroïque brillamment racontée ici par Sylvie Yvert, l'auteure inspirée de Mousseline la Sérieuse. Un vrai régal.
    Les - :
    Aucun, bien évidemment ! ;)


    Une Année Folle ; Sylvie Yvert

       Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle


    2 commentaires
  • « Une femme avisée vit longtemps en espérant que les temps changent. »

    Reines de Sang ; Philippa Gregory

     

     

         Publié en 2017 en Angleterre

      En 2020 en France (pour la présente édition)

      Titre original : The Last Tudor

      Editions Hauteville

      696 pages 

     

     

     

     

    Résumé :

    « J'ai l'impression que je resterai emprisonnée jusqu'à la fin de mes jours pour le seul crime d'avoir épousé l'homme que j'aime tandis qu'Elisabeth ne peut pas épouser son amant. Il s'agit de jalousie poussée à l'extrême, d'une malice funeste. Avec sa lettre de refus, je crains que seule la mort ne puisse me délivrer. »

    Jane, Catherine et Mary Grey sont trois soeurs qui ne souhaitent rien d'autre que profiter des beautés de ce monde, de leur jeunesse, et de trouver l'amour. Mais leur héritage royal fait d'elles des cibles aux yeux de leurs cousines : Marie et Elisabeth qui se partageront successivement la Couronne d'Angleterre, et redoutent plus que tout de la perdre. Chacune d'entre elles est cependant déterminée à prendre les rênes de son propre destin, même si cela signifie risquer sa vie et passer le restant de ses jours à la Tour de Londres. Dans ce jeu de pouvoir, qui sera la dernière Tudor ?

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    2020 aura été l'année de mes retrouvailles avec Philippa Gregory puisque j'ai lu La Dernière Reine en avril puis La Fille du Faiseur de Rois, au mois de novembre. Tous deux ont été d'agréables surprises.
    En 2021, je compte bien continuer sur ma lancée, avec Reines de Sang, donc mais aussi La Malédiction du Roi, qui vient de sortir aux éditions de l'Archipel et qui raconte le destin de Margaret Pole, nièce d'Anne Neville et Richard III (qui, eux, étaient au centre de La Fille du Faiseur de Rois...vous suivez ?)
    Avec Reines de Sang, on revient à l'époque de prédilection de l'auteure, l'époque qui me l'a faite découvrir, d'ailleurs : l'époque des Tudors.
    Quand s'ouvre le roman, nous sommes en 1550. Henry VIII est mort depuis trois ans et c'est son jeune fils de treize ans, Édouard, qui règne. De constitution fragile et maladive, le fils de Jane Seymour sait que ses jours sont comptés : il n'aura probablement pas le temps de se marier ni d'avoir des enfants à lui avant de mourir. Or, il lui faut un héritier : sa sœur aînée, Marie Tudor, est écartée de la succession car catholique. Elizabeth, la seconde fille d'Henry VIII est également écartée de la succession par les conseillers de son frère, car sa réputation a été entachée par un scandale... Ne restent alors en ligne directe que les cousines du roi, les sœurs Grey, Jane, Catherine et Mary, qui sont les filles de lady Frances Brandon et les petites-filles de Mary Tudor et Charles Brandon, respectivement sœur préférée et ami proche du roi Henry VIII... Jane, l'aînée, jeune femme érudite, fer de lance du protestantisme et possèdant une vaste connaissance théologique, est désignée pour succéder à son cousin Édouard. En juillet 1553, après avoir été intronisée à la mort de son cousin, elle ne régnera que neuf jours, qui lui laisseront son surnom dans l'Histoire puisque Jane Grey est bien souvent connue comme la reine de Neuf-Jours (Nine Days' Queen en anglais). Emprisonnée à la Tour de Londres par la reine Marie Ière, Jane est exécutée sept mois plus tard, avec son père et son époux, Guilford Dudley.
    Ses deux cadettes, Catherine et Mary, ne connaîtront pas un destin plus heureux, même si elles ne monteront pas à l'échafaud. Successivement pressenties pour devenir héritières du royaume d'Angleterre, elles devront subir la haine de leur cousine Elizabeth Ière qui les considère comme des rivales, tout en refusant fermement le mariage et donc de donner un héritier incontestable à la couronne. D'ailleurs Elizabeth en prend plutôt pour son grade dans ce roman : la reine de cœur d'Alice au pays des merveilles n'a qu'à bien se tenir !!
    Catherine, qui épouse sans le consentement de la reine le jeune Ned Seymour, comte de Hertford, ne connaîtra jamais plus la liberté quand son secret sera révélé. Baladée de prison en prison pendant plusieurs années, de la Tour de Londres jusqu'à des demeures plus ou moins luxueuses mais toujours privée de liberté, Catherine meurt de langueur en 1568, à l'âge de vingt-sept ans, séparée de son mari et de ses enfants.
    Mary, la plus jeune, est certainement aussi la moins connue (mais celle qui, dans le roman fait le plus preuve de combativité et de détermination) : atteinte d'une malformation de l'épine dorsale, de très petite taille, Mary est fille d'honneur de la reine Elizabeth dont elle subira ensuite les foudres pour avoir imité sa sœur Catherine et s'être mariée sans l'autorisation royale, avec Thomas Keyes.
    Ce roman est une triade : trois sœurs, trois personnalités, trois destins. Mais un dénominateur commun : une prétention à la couronne anglaise qu'elles n'ont pas voulue mais que leur sang, leur filiation leur impose et qui leur coûtera leur bonheur et, pour deux d'entre elles, leur vie. La haine d'une reine aux tendances tyranniques mais qui connaît parfaitement les limites de son pouvoir et poursuit de sa méfiance et de sa haine tous ceux qu'elle considère comme ses rivaux.
    Comme souvent, Philippa Gregory, ce roman parle de sororité : la sororité au sens premier du terme, pas au sens de solidarité féminine comme on peut l'entendre aujourd'hui. Dans Deux Sœurs pour un Roi, déjà, elle explorait les rivalités entre sœurs pour un même homme. Dans La Fille du Faiseur de Rois, les deux héroïnes, Anne et Isabelle, filles du comte de Warwick, sont aussi des sœurs.
    Ici, de même. Divisé en trois parties, le roman laisse la parole à chacune des trois sœurs Grey ; chacune est la narratrice de son propre destin dans l'une des trois parties du récit.
    Gros pavé de près de 700 pages, Reines de sang est plutôt un roman riche, c'est le moins qu'on puisse dire ! Globalement, ce fut une bonne lecture malgré quelques petits bémols et inégalités qui, dans l'ensemble, n'ont pas gâché mon plaisir de lecture, ce qui est essentiel !

    L'exécution de Jane Grey par Paul Delaroche (1833)


    Avant de parler des choses qui fâchent, listons déjà les points positifs : Philippa Gregory a le don pour rendre l'Histoire vivante et parlante au plus grand nombre ! On ne peut décidément pas contredire le magazine USA Today lorsqu'il la qualifie de reine du roman historique. Il est vrai qu'elle n'a pas son pareil pour transformer en grandes fresques aventureuses l'époque de la Guerre des Deux-Roses et celle des Tudors. Et le fait qu'elle s'attache à raconter l'Histoire du côté des femmes me plaît toujours beaucoup. Elles sont souvent les grandes oubliées des manuels d'Histoire et le fait que l'auteure leur redonne une voix, même de fiction, est méritant. Enfin, ce roman montre bien la place que les femmes occupaient alors dans la société et qu'un destin royal ne protège pas de tout et sûrement pas du malheur : pions manipulables à l'envi, servant l'ambition des pères, des frères ou des maris, souveraines à la position fragile qu'elles doivent sans cesse consolider parfois au mépris des sentiments, les femmes à l'époque Tudor doivent particulièrement se battre pour soutenir leur rang et leurs ambitions ou tout simplement conserver leur vie. Le cas de Jane, placée sur le trône contre son gré par son propre père, ou celui d'Anne Boleyn, victime de l'ambition démesurée de son oncle et de son père en sont un bon exemple ! Pour tout cela, Reines de sang est un bon roman.
    Maintenant, parlons des points qui m'ont plus posé problème au cours de cette lecture, ces petites inégalités dont je parlais plus haut : j'ai eu le sentiment que le roman était très répétitif, redondant. J'avais eu la même impression en lisant La Princesse Blanche, roman centré sur la figure de Bessie d'York, la mère d'Henry VIII... des chapitres qui se ressemblaient beaucoup les uns les autres et finissaient par donner au roman un côté un peu lourd et le sentiment, pour le lecteur, qu'on tournait en rond.
    Ici, c'est un peu pareil... le roman tourne rapidement autour des emprisonnements successifs des sœurs Grey, de leurs pérégrinations d'une geôle à une autre et de leurs espoirs (souvent déçus) d'être libérées. J'avoue que j'ai trouvé cet aspect du roman un peu pénible par moments : qu'il soit présent, ok. Ça fait partie de la vie des sœurs Grey et notamment de Catherine et Mary, qui vont toutes les deux connaître une longue disgrâce. Mais entre présent et trop présent, il y'a une marge. Même si j'ai surtout ressenti cela sur la fin, j'avoue que j'aurais autant aimé que cela ne se produise pas.
    J'ai regretté aussi que le personnage de Jane Grey soit très antipathique alors que son destin plus que tragique nous pousserait plus spontanément à avoir de la compassion pour elle (exécutée à seize ans à peine pour une couronne qu'on n'a pas voulue, c'est triste quand même). Mais son caractère hautain et orgueilleux m'a malheureusement agacée et je trouve ça dommage.
    Maintenant la question est de savoir si je regrette cette lecture. Évidemment, non ! Évidemment, je continuerai à lire avec un plaisir non dissimulé les nouveaux romans de Philippa Gregory, malgré quelques inégalités ou petites faiblesses ! Ses romans sont bien sûr de la fiction, la romancière s'immiscant dans les lacunes de l'Histoire et ses parts d'ombre, mais ses récits toujours cohérents et plausibles me séduisent. C'est plein de souffle, c'est épique et c'est bien écrit ! Philippa Gregory explore avec maîtrise deux époques passionnantes de l'Histoire anglaise : la guerre des Deux-Roses et la Renaissance Tudor, marquée par les figures tutélaires (et légèrement tyranniques) d'Henry VIII et Elizabeth Ière. Et j'insiste mais, raconter l'Histoire à travers celle des femmes, souvent laissées pour compte, c'est quand même une idée plus que bonne !! En tous les cas, moi j'adhère à chaque fois.

                                     Hans Eworth Lady Mary Grey 1571.jpg

    Les deux plus jeunes soeurs de Jane Grey : Catherine Grey, lady Hertford (1540 - 1568) représentée ici avec son plus jeune fils et Mary (1545 - 1578), qui connaîtra la captivité pour avoir épousé sans le consentement de la reine le capitaine Thomas Keyes

    En Bref :

    Les + : l'aspect historique bien que fictionnel avait évidemment tout pour me plaire, c'est épique et plein de souffle ! 
    Les - :
    un sentiment que le roman est répétitif et redondant et c'est dommage.


    Reines de Sang ; Philippa Gregory

       Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle


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