• «  Une histoire vraie que l'on raconte comporte toujours une part de fiction. »

    Couverture Le château de mon père

     

     

     

         Publié en 2019

      Éditions La Boîte à Bulles (collection Hors Champ)

      160 pages 

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Comment imaginer que voici 150 ans, il a fallu toute la détermination de Pierre de Nohlac pour sortir de l'oubli le Château de Versailles ? Enfant, Henri de Nolhac a souffert de l'absence de son père, bien que celui-ci passe ses journées à quelques mètres du domicile familial. Car son père travaille au Château de Versailles. Ou plutôt a dédié sa vie au palais du roi Soleil... En 1887, Pierre de Nolhac est nommé attaché au Château de Versailles afin de veiller sur les collections de ce dernier, derniers trésors d'une royauté désormais abolie. Mais le jeune homme a de l'ambition : il veut redonner au château une place de choix dans le cœur des politiciens, des artistes, des Français tout simplement. Dans ce récit mêlant grande et petite histoire, on soulève les jupes de Versailles avec un voyeurisme délicieux !

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Avec plus de 7 millions de visiteurs par an, le château de Versailles fait aujourd'hui partie des lieux les plus fréquentés au monde. C'est aussi un symbole de la France et de son Histoire, connu dans le monde entier, un fleuron du savoir-faire national, où les plus grands talents du XVIIème siècle ont exercé leur art. 
    Et pourtant, il y a encore cent-trente ans, Versailles était tout sauf le grandiose domaine que l'on connaît aujourd'hui, avec son immense parc, ses jardins à la française, Trianon, le potager du Roi... Abandonné, délabré, le château des rois est voué à tomber dans un profond oubli alors que la IIIème République triomphante règne sur la France. 
    C'est sans compter sur son conservateur emblématique, Pierre de Nolhac, arrivé à Versailles en tant qu'attaché de conservation en 1886. Âgé de vingt-sept ans, le jeune Auvergnat va se dévouer corps et âme pour ce grand navire en perdition, en lui redonnant ses lettres de noblesse. Si, aujourd'hui, Versailles attire visiteurs et touristes du monde entier, c'est probablement grâce à l'action et l'énergie de Nolhac, qui en sera nommé conservateur en 1892. C'est lui également qui y ouvrira une chaire d'Histoire de l'art relevant de l'Ecole du Louvre en 1910, avant de prendre finalement sa retraite à Paris, au musée Jacquemart-André. On peut considérer aujourd'hui, quatre-vingt-sept ans après sa mort, que son oeuvre à Versailles a été déterminante pour la sauvegarde du site, puisqu'il a contribué à sa modernisation, à son ouverture vers le public et à la reconstitution de ses vastes collections. Pierre de Nolhac sera aussi un témoin des grandes heures de l'Histoire, notamment de la Grande Guerre et du traité signé dans la galerie des Glaces, en 1919. 
    Le roman graphique Le château de mon père (dont le titre n'est pas sans rappeler l'oeuvre de Pagnol, ce que les auteurs reconnaissent volontiers) s'ouvre en 1935. Pierre de Nolhac est alors à la fin de sa vie - il mourra l'année suivante, le 31 janvier 1936 - et reçoit la visite de son fils, Henri, qui est peintre. Pour ce dernier, c'est l'occasion de raconter l'existence de sa famille à Versailles et le bouleversement que la nomination de son père et son implication vont avoir sur la vie de famille : car si Pierre est profondément dévoué à Versailles, sa femme Alix, qui reste seule avec ses enfants, s'y ennuie et reproche à son mari son investissement pour le château. Pour les enfants en revanche, grandir à Versailles est une expérience particulière : quel terrain de jeu pour Henri et ses frères ! Et en même temps, c'est aussi devoir partager leur père avec le monument qui en demande toujours plus, c'est accepter son absence aux repas ou des visites succinctes parce que le devoir l'appelle. Le travail de Pierre de Nolhac, s'il peut être aujourd'hui salué d'un point de vue patrimonial, car il a contribué à sauver le château des rois d'un désastre annoncé, a aussi sa part d'ombre et notamment parce que sa famille a pâti en quelque sorte de ce travail qui est devenu un véritable combat et s’avérera être l'oeuvre d'une vie. 

    M. Pierre de Nolhac, conservateur du Musée de Versailles.jpg

    Photographie de Pierre de Nolhac à son bureau en 1911


    Le château de mon père aborde toutes ces thématiques, en une centaine de pages, ce qui en fait un roman graphique dense et consistant. J'ai tout de suite apprécié les dessins en noir et blanc, qui donnent beaucoup de cachet au roman : je ne sais pas si le propos aurait été aussi percutant avec des dessins en couleur. Cela donne un petit côté rétro très agréable, on a presque l'impression de voir de vieilles photos. J'ai apprécié aussi que le roman ne se contente pas de parler uniquement de Versailles mais nous fasse entrer aussi dans l'intimité des Nolhac car on s'aperçoit vite que l'exaltation de Pierre n'est pas partagée par Alix, sa femme, qui doit gérer le foyer en son absence, s'occuper des enfants, affronter les coups durs et souvent, sans le soutien de son mari car celui-ci est entièrement absorbé par un travail herculéen qui le dépasse mais, en même temps, le maintient debout et le pousse à se surpasser. 
    Parce que Versailles est aujourd'hui un site connu de tous, qu'on l'ait visité ou pas, parce que ce sont toujours des images grandioses qui nous viennent à l'esprit quand on évoque le château des derniers Bourbons (paradoxalement, Versailles incarne pour nous la royauté par excellence alors que le château ne fut résidence royale que de 1682 à 1789), il est intéressant aussi de le découvrir désert, boudé par le pouvoir républicain qui l'a délaissé, géant aux pieds d'argile dont l'ancienne grandeur transparaît dans les salles vides et les ors ternis, mais qui n'est plus rien. Et, en quelques années, Nolhac et ses équipes, avec force et conviction, vont permettre à la grande oeuvre de Louis XIV de retrouver un lustre nouveau, entre évocation de la grande Histoire et ouverture à la modernité (c'est l'époque des premières visites, des premiers mécénats étrangers aussi). 
    Moi qui ne suis pas familière des romans graphiques, j'avoue avoir apprécié celui-ci : je ne savais pas exactement dans quoi je m'embarquais au départ, ni même si j'allais vraiment aimer le livre. Finalement, ça a bien pris et je suis vraiment contente d'avoir découvert Le château de mon père. C'est, je pense, bien plus éclairant de suivre en images Pierre de Nolhac que de lire une simple biographie. L'impression d'avoir vécu une immersion complète dans un lieu et une époque perdure encore, plusieurs semaines après en avoir terminé la lecture. A recommander. 

    En Bref :

    Les + : un très beau roman graphique (et un bel objet) qui raconte le combat de Pierre de Nolhac, nommé conservateur de Versailles à la fin du XIXème siècle, pour redonner tout son lustre au château des rois. Les dessins en noir et blanc, épurés sans être simplistes, apportent aussi beaucoup au propos. 
    Les - : 
    pas vraiment de points négatifs à soulever, ce fut une bonne surprise.


       Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle


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  • « Tu as vu comme la broderie peut être absorbante au point qu'on oublie ses soucis ? »

    Couverture La Brodeuse de Winchester

     

     

     

         Publié en 2019 en Angleterre

      En 2021 en France (pour la présente édition)

      Titre original : A Single Thread

      Éditions Folio 

      377 pages 

     

     

     

     

    Résumé :

    « Jane Austen était morte à l'âge de quarante et un ans sans mari ni enfants, seulement une sœur dévouée. Violet n'avait même pas cela, et elle n'avait certes pas plusieurs romans à son actif. Il ne lui restait que trois ans pour rattraper miss Austen en termes de créativité. »

    Winchester, 1932. Violet Speedwell, trente-huit ans, fait partie de ces millions de femmes restées célibataires depuis la pénurie d'hommes d'après-guerre. Pour échapper à une mère acariâtre, elle décide de prendre son envol. Mais son célibat lui attire plus de mépris que d'amitié. C'est au sein du cercle des brodeuses de la cathédrale qu'elle trouvera le soutien qui lui manque pour affronter les préjugés de son époque. Grâce à Arthur, le sonneur de cloches, elle découvre aussi un tout autre cercle, masculin cette fois. Au même moment, la radio annonce l'arrivée d'un certain Hitler à la tête de l'Allemagne. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1932, Violet Speedwell quitte sa vie à Southampton pour s’installer à Winchester, où elle va exercer son activité de dactylo. Violet vit simplement de ce métier qui lui rapporte à peine de quoi vivre, mais surtout, elle vit seule, car Violet fait partie de ces femmes restées célibataires après l’hécatombe de 14-18, celles que l’on a appelé les « femmes excédentaires », ce qui veut tout dire. Mais ce célibat, même forcé, loin d’attirer compassion et compréhension, est plutôt une source de mépris dans une société où le mariage et la famille sont les fondements de l’existence féminine. Violet est aussi ce que l’on appelle une « vieille fille » autrement dit une femme qui a échoué à se marier et que l’on va scruter pour découvrir quelle tare chez elle a pu être aussi rébarbative. Et enfin, toutes les jeunes femmes qui ont perdu leur fiancé à la guerre, ne furent jamais reconnues comme conjointes à part entière puisque elles n’étaient pas mariées.
    Si l’on rajoute à cela les deuils souvent impossibles à faire, les bouleversements irrémédiables que la guerre a engendrés dans toutes les familles, au point même de modifier les relations entre ceux qui restent et un contexte de plus en plus lourd – en Allemagne, le parti nazi gagne du terrain et Hitler va être élu chancelier début 1933 et depuis 1929 l’Occident connaît une grave crise économique –, le tourbillon des Années folles paraît bien loin.
    A Winchester où elle s’installe pour échapper à sa mère acariâtre et qui ne parvient pas à se remettre de la mort de l’un de ses fils sur un champ de bataille de la Grande Guerre, Violet découvre le cercle des brodeuses de la cathédrale : la mission de ces dernière est de réaliser coussins et agenouilloirs pour les fidèles. Thèmes religieux ou historiques, l’imagination est sans limite mais surtout, dans ce cercle, Violet va trouver  des amies et une activité à laquelle se raccrocher. Elle va aussi faire la connaissance d’Arthur Knight, sonneur de cloches, qui va l’initier au difficile art campanaire. Pour la première fois de sa vie, à une époque où une femme de trente-huit ans, non mariée et sans enfants, est mise tacitement au ban de la société, Violet va trouver, en dépit d’un métier peu satisfaisant, d’un salaire qui lui permet à peine de vivre et payer sa pension, un certain équilibre. Surtout, presque vingt ans après la mort de son fiancé Laurence quelque part en France ou en Belgique, deuil qu’on ne lui a pas permis de faire puisqu’ils n’étaient pas mariés, Violet va réaliser que même à près de quarante ans, on est encore vivante et on peut s’autoriser à être libre, aimante et aimée.

    46 idées de Brod A Winchester cathédrale, GB | winchester, broderie, robe  edwardienne

    Un exemple de broderie, que l'on peut voir à Winchester 


    Retrouver Tracy Chevalier avec cet inédit a été un bonheur, un véritable plaisir. C’est une autrice que je lis depuis des années et qui ne m’a jamais vraiment déçue : je n’avais pas été emballée par Le Récital des Anges il y a quelques années mais dans l’ensemble, ses romans m’ont toujours enthousiasmée. Je dis souvent que Tracy Chevalier a le don de nous intéresser avec des sujets qui, chez d’autres, seraient barbants. Et, que ce soit Griet dans La jeune fille à la perle, la jeune huguenote cévenole de La vierge en bleu, Honor, quakeresse américaine confrontée à l’esclavage dans La dernière fugitive, Mary Anning dans Prodigieuses créatures, dont la passion pour les « curios » (fossiles) est dévorante, au point qu’elle fera à sa manière, évoluer la science et sera à l’origine d’une extraordinaire découverte ou encore les personnages de A l’orée du verger, Tracy Chevalier a toujours su mettre en scène des personnages consistants, à la psychologie finement imaginée, au point de les rendre étrangement denses, étrangement palpables, étrangement proches
    J’ai mis un peu plus de temps à entrer dans La brodeuse de Winchester parce que je n’ai pas tout de suite compris où l’autrice voulait en venir et j’ai même été un peu déçue, au départ, que la broderie ne prenne pas autant de place que le titre pouvait le laisser croire. Au final, ce qui est intéressant, c’est que La brodeuse de Winchester c’est justement bien plus que cela et le récit transcende son titre ! En voilà, un coup de maître, totalement digne de Chevalier !
    Finalement, La brodeuse de Winchester est un roman d'une force rare et étonnamment féministe : Tracy Chevalier a l’habitude de mettre en scène des femmes fortes, qui se confrontent souvent à leur destin avec beaucoup de courage. Ici, au départ, je ne me suis pas sentie du tout proche de Violet : il y avait quelque chose chez elle, une sorte de brusquerie, de froideur, qui me dérangeait. Et puis, petit à petit, je me suis habituée à elle, j’ai appris à la connaître en quelque sorte et en découvrant son passé, son histoire, sa ténacité aussi pour mener sa vie comme elle l’entend, dans une société où cela ne va pas de soi, j’ai fini par bien l’aimer. Violet a tout à fait sa place dans le panthéon des personnages féminins de Tracy Chevalier et elle ne le dépareille pas du tout, au contraire. J’ai aussi beaucoup aimé l’histoire d’amour qui progressivement se tisse et qui est assez peu conventionnelle et se pose loin des clichés de la littérature.
    Bref, La brodeuse de Winchester est encore une fois une vraie réussite. Pas le roman dans lequel je suis entrée le plus facilement, donc, mais quand même une belle réussite : je me suis encore une fois délectée de l’écriture de l’autrice et de ce beau récit tout en douceur, qui fait la part belle à des cabossés de la vie, dans une époque de relatif répit, avant le déchaînement d’une nouvelle tempête. A lire si vous aimez l’autrice.

    En Bref :

    Les + : un récit d'une force rare, étonnamment féministe et qui est finalement bien plus que le simple récit de l'existence d'une brodeuse. Un pan entier de l'histoire de la société anglaise est photographié ici.
    Les - : un premier abord moins évident que d'habitude avec Tracy Chevalier.


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  • « D'ici à dix ans, la France produira en série, à Sèvres, une porcelaine de Chine aussi dure et résistante que celle que nous venons d'éprouver ce soir... Et, grâce au génie de nos peintres et sculpteurs, cette vaisselle sera la plus belle du monde ! »

     

     

      Publié en 2007

      Éditions Points (collection Grands romans)

      726 pages 

      Premier tome de la saga Les couleurs du feu

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Louis XV, adroitement inspiré par Mme de Pompadour devient, en 1760, l'unique actionnaire de la Manufacture de Sèvres. Afin de percer le secret de la porcelaine dure, fabriquée en Saxe, il engage deux frères chimistes. Mais des coups bas se multiplient et des espions sortent de l'ombre... Écrit avec fougue et talent, voici la passionnante aventure d'une des premières affaires d'espionnage industriel.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Premier de l’An 1760. A Versailles, Louis XV offre à sa famille et ses plus proches amis de la porcelaine de Sèvres et en profite pour leur annoncer sa volonté de devenir seul et unique actionnaire de la Manufacture, faisant ainsi de Sèvres une Manufacture royale. Mais alors que Sèvres produit déjà une porcelaine très fine, aux couleurs inégalables, il manque une chose aux porcelainiers français : le secret de la porcelaine dure, comme la porcelaine de Chine et qui est déjà connue des Saxons, qui produisent une céramique dure réputée, dans leurs ateliers de Meissen.
    Au même moment à Bort, aux confins du Limousin et de l’Auvergne, terre rude et granitique, les frères Masson, Anselme, Mathieu et Eustache, enterrent leur mère. Plus rien désormais ne retient les deux aînés sur leurs terres de naissance et Anselme et Mathieu projettent de quitter le Limousin pour Paris : là-bas, Mathieu, aveugle mais passionné de musique, espère bien pouvoir se faire un nom et parfaire sa technique, tandis que son aîné, Anselme, amoureux des pierres, géologue et minéralogiste amateur, espère à la capitale pouvoir se frotter à tout ce monde de scientifiques et encyclopédistes à la mode. Il ne sait pas encore que son intérêt pour les minéraux va l’amener à participer à l’une des plus folles aventures de la décennie 1760 : développer en France une porcelaine dure qui pourrait rivaliser avec celle de Saxe et même avec les céramiques asiatiques. Personne ne le sait encore mais un gisement de kaolin, une argile pure et blanche comme la neige, non loin de Saint-Yrieix, va lancer une aventure qui ne s’arrêtera plus jamais. La preuve, aujourd’hui la Manufacture de Sèvres existe toujours, produit toujours et forme de nombreux employés. Un complexe muséal a même été créé : il s’agit de la Cité de la céramique – Sèvres et Limoges, établissement public administratif sous tutelle du ministère de la Culture depuis 2010 et qui inclut depuis 2012 le musée Adrien-Dubouché à Limoges.
    Dans cette folle épopée, l’historien et romancier Jean-Paul Desprat nous raconte les débuts de l’industrialisation de l’activité porcelainière en France, dans un contexte d’émulation culturelle et scientifique sans pareil. Ce milieu de XVIIIème siècle, alors que les règnes conjoints de Louis XV et de sa charismatique « amie nécessaire » Madame de Pompadour sont à leur apogée, est celui d’un bouillonnement, d’un foisonnement intellectuel où se côtoient musiciens, scientifiques, écrivains…on se bouscule dans les théâtres et les opéras et on lit l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Au même moment, de nouvelles disciplines se développent et elles sont le fondement de nos sciences actuelles (géologie, minéralogie, chimie etc).
    En parallèle, nous suivons deux trajectoires : celle des frères Masson à Paris, de leur arrivée dans la capitale du royaume jusqu’au début des années 1770 et, en même temps, le développement de cette Manufacture vouée à devenir un fleuron français. C’est donc la grande Histoire et de plus petites histoires privées qui s’entremêlent ici pour former une fiction cohérente et qui pourrait presque être lue comme un livre d’Histoire, tant les plumes respectives du romancier et de l’historien se mettent au service l’une de l’autre.

    File:Ngv, jacques-françois Micaud, zuppiera e vassorio, porcellana di sèvres.JPG

    Soupière en porcelaine de Sèvres par Jacques-François Micaud (XVIIIème siècle)


    J’avais découvert Bleu de Sèvres un peu par hasard il y a dix ans : le sujet me plaisait bien et contre toute attente, j’avais ressenti un gros coup de cœur pour cette histoire. De même avec Jaunes de Naples et Rouge de Paris, les deux tomes suivants. Jean-Paul Desprat signe là une trilogie extraordinairement érudite et en même temps accessible, qui passionnera tous les amoureux de romans historiques pleins d’aventures. Certes, il y a beaucoup d’informations et il faut se concentrer pour arriver au bout de ce roman, mais les personnages attachants et bien brossés, que l’on voit évoluer comme dans un tableau de Watteau, les multiples rebondissements et l’essor de Sèvres, font que cette lecture est prenante de bout en bout. Certains lecteurs se sont plaints d’une plume un peu suffisante, voire trop érudite. Pour ma part, je n’ai rien ressenti de tout cela, au contraire : un peu comme le regretté Jean-François Parot, Jean-Paul Desprat a le don de faire revivre une époque. On s’y sentirait presque chez nous : des collines sèches et granitiques de Bort, au bord de la Dordogne, où Anselme s’essaie pour la première fois à la classification des minéraux et où Mathieu développe son oreille absolue, jusqu’à Paris, l’immense capitale du royaume de France, vibrante, mouvante, creuset d’une nouvelle société et d’un nouveau savoir, Bleu de Sèvres nous emporte dans un tourbillon aussi foisonnant que l’époque qu’il décrit.
    Cette relecture a été une excellente redécouverte : non seulement je ne me rappelais pas de tout mais relire ce roman à l’aune de nouvelles connaissances me l’a rendu encore plus délectable. Je me suis lovée dans cette intrigue, en bonne passionnée de XVIIIème siècle que je suis, comme dans une couverture douillette et j’ai savouré chaque mot de cette lecture, avec le sentiment d’en être totalement partie prenante.
    Il est des romans qui vous marquent ainsi tout au long de votre vie de lecteur : si je ne me souvenais pas exactement de tout, j’avais gardé de Bleu de Sèvres un souvenir ému, celui d’une révélation, l’impression d’avoir lu un roman qui n’est pas tout à fait comme les autres et j’ai retrouvé cela à la relecture, avec un plaisir non dissimulé. Je n’ai désormais qu’une hâte : malgré ma PAL qui ne cesse de grandir, me plonger – et ce sera probablement de nouveau avec délectation – dans Jaune de Naples et Rouge de Paris : j’ai déjà hâte de retrouver Anselme, Mathieu, Adèle et tous les autres.

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    La Manufacture de Sèvres en 1756, quelques années avant la découverte du kaolin en France

    En Bref :

    Les + : à ma première lecture, il y a exactement dix ans, j'avais eu un coup de cœur pour ce roman. A la deuxième lecture, si je ne l'ai pas ressenti (ou différemment, dirons-nous), j'ai malgré tout passé un excellent moment en redécouvrant cette histoire de la porcelaine française. Le XVIIIème siècle y apparaît dans toute sa beauté et sa complexité.
    Les - : pour moi, un roman qui a toutes les qualités d'un bon roman historique, érudit sans être pompeux et qui met en scène des personnages attachants et que l'on a hâte de retrouver.


    Bleu de Sèvres ; Jean-Paul Desprat

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  • « Les hommes sont prompts à pardonner aux femmes d'avoir le cœur trop tendre. »

    Couverture La Saga des Vikings, tome 2 : La reine des mers

     

     

      Publié en 2018 aux États-Unis

      En 2021 en France

      Titre original : The Sea Queen

      Éditions Pocket

      720 pages

      Deuxième tome de la saga La Saga des Vikings

     

     

     

    Résumé :

    Tous ont tué, pillé, trahi. Tous sillonnent les flots, encore et toujours. Tous n'aspirent qu'à une chose : le repos de la terre et la paix des familles. Depuis qu'elle s'est unie à Solvi, l'ennemi juré de son frère, la farouche Svanhild mène une vie de rapines, de paria des mers. Tout l'inverse de Ragnvald de Møre, son frère, qui, fidèle au roi Harald, mène pour lui une guerre sans fin...Où s'arrête l'honneur ? Où commence le sacrifice ? Quel poids ont les serments quand le destin exige de faire couler le sang des siens ?

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

     Entre la fin du IXème siècle et le début du Xème, un jeune roi charismatique et ambitieux ne souhaite qu’une chose : réunir toute la Norvège sous sa seule égide. Ce roi, c’est Harald à la Belle Chevelure (qui règne de 872 à 930 sur la Norvège), souverain scandinave dont la destinée a été racontée dans les sagas et par les premiers historiens du monde viking…
    Ragnvald, héros du premier tome, est ici un conseiller écouté de Harald, on pourrait même dire un ami, si tant est que les rois en aient. Et l’influence qu’il exerce sur le jeune souverain lui apporte autant de loyautés que d’inimitiés.
    Pour Ragnvald, le plus important est surtout d’avoir pu obtenir réparation après avoir été injustement spolié de ses terres familiales et d’avoir reçu du roi des terres à exploiter et à faire fructifier, où il a pu installer son épouse et ses enfants.
    Au même moment, sa sœur Svanhild, qui a fait le choix du camp opposé, sillonne les mers sur les navires de son époux, Solvi, ennemi juré de Ragnvald et de Harald.
    Dans ce roman, tout est vrai et tout est faux. Linnea Hartsuyker, romancière américaine d’origine norvégienne, a pris comme base de départs les écrits de l’historien scandinave Saxo Grammaticus mais aussi la saga d’Harald, la Heimskringla.
    Nous sommes ici au tout début de l’histoire viking : une centaine d’années plus tôt, les premiers raids vikings ont fondu sur l’île de Lindisfarne, au large de l’Écosse. Les historiens ont coutume de prendre cet événement, survenu en 793, comme le début de l’ère viking, qui décroît ensuite au Moyen Âge central, quand les royaumes scandinaves commencent à s’unifier puis à se christianiser. Encore aujourd’hui, Harald à la Belle Chevelure reste l’un des rois vikings les plus connus, notamment pour cette première unification de la Norvège qui se fait dans la douleur car il faut alors imaginer des territoires morcelés, entre les mains de jarls et de rois, dont les activités principales sont souvent le commerce ou l’agriculture. Pour autant certains, comme le roi du Halogaland, Hakon, ne sont pas prêts à voir la Norvège s’unir entre les mains d’un seul homme. Vous vous en doutez, la vie en Norvège à cette époque-là n’est pas de tout repos et recèle bien des pièges et des chausse-trappes : Ragnvald va encore en faire l’expérience dans ce tome, mais il va aussi avoir la chance de voir lui revenir sa jeune sœur, Svanhild, la fameuse « reine des mers » qui, après un événement tragique, décide de fausser compagnie à son époux. Et la belle intrépide est loin de laisser Harald indifférent (d’ailleurs, si vous faites quelques recherches ici ou là sur Harald, vous trouverez dans la liste de ses épouses et concubines une certaine Svanhild Oysteindatter, qui est probablement l’inspiration de la Svanhild du roman).

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    Représentation du roi Harald Ier de Norvège, datant du XIVème siècle et issue du manuscrit Flateyjarbók

    Jeux de pouvoir et d’influence, ambitions personnelles, batailles épiques : comme le premier tome, ce deuxième volume nous offre une belle fresque historique comme on les aime. Si vous avez vu la série Vikings, on est un peu dans cet univers-là : d’ailleurs je crois que le personnage de Harald apparaît aussi dans la série, qui réunit plusieurs grands événements fondateurs de la civilisation viking et des personnages emblématiques voire légendaires.
    Le gros point fort du roman, c’est de ne pas sombrer dans l’écueil du mythe et de la légende : on le sait, le monde viking est très à la mode ces dernières années et il est vrai qu’il y a chez eux quelque chose de fascinant. Pour autant, les Vikings ne sont pas que ces guerriers sanguinaires et violents écumant les mers, remontant les fleuves et raflant tout sur leur passage, à commencer par les richesses religieuses des monastères et des églises. Les Scandinaves du Haut Moyen Âge sont aussi, et avant tout, d’excellents navigateurs, constructeurs hors-pair de navires efficaces et sophistiqués, conçus pour la haute mer ce qui leur permet de sillonner les mers du monde connu et même au-delà, allant de Constantinople jusqu’aux rivages de l’actuelle Amérique (on sait aujourd’hui que les premiers Européens à avoir posé le pieds sur l’actuel sol américain ne sont pas les hommes de Christophe Colomb mais ceux d’Erik le Rouge). Ils sont aussi des terriens, exploitant leurs terres et vivant de l’agriculture et de l’élevage (principalement des moutons, qui paissent l’herbe grasse des fjords). Société hiérarchisée, la société viking est régie par des lois et des règles strictes et possède même sa propre forme de justice, sous la forme du ting, une assemblée annuelle où l’on peut aller demander réparation en cas de querelle avec un tiers. Enfin, aussi surprenant que cela puisse paraître, le divorce est accepté et même assez largement pratiqué, tant par les hommes que par les femmes et ces dernières, si elles sont le plus souvent cantonnées à la vie de la communauté, à la gestion domestique et à l’éducation des enfants, peuvent aussi parfois guerroyer auprès des hommes sur les drakkars (pour autant et j’ai apprécié cette modération, l’autrice ne tombe dans le cliché inverse, faisant de toutes les femmes vikings des guerrières au bouclier : certaines vont certes se distinguer, mais sans constituer la norme toutefois).
    Si la civilisation scandinave médiévale vous intéresse, comme c’est mon cas, je pense que vous pourrez aimer cette saga. Il est vrai qu’on ne peut nier que les Vikings ont vraiment quelque chose de fascinant, pour tout un tas de raisons et je crois qu’on est tous un peu malgré nous habités par des clichés et des légendes qui ont la vie dure (les drakkars, les casques à cornes, tout ça…) et qu’il peut être intéressant de découvrir une vérité plus nuancée. Ici, les Vikings de Linnea Hartsuyker n’ont pas grand-chose de plus ou de moins que les autres rois européens de la même époque… ils ne sont probablement ni plus violents, ni plus avides que pouvaient l’être les souverains francs ou germaniques de la fin du IXème siècle.
    J’ai donc retrouvé ici ce que j’avais aimé dans le premier tome. Mais, à l’inverse, les réserves que j’avais pu formuler après ma lecture de Ragnvald et le Loup d’or sont les mêmes ici : j’ai eu l’impression de me perdre au milieu de la trop grande profusion de personnages (heureusement, quelques indications en fin de volume permettent de nous y retrouver mais, justement, n’aurait-on pas eu meilleur compte de le placer en tête de volume, ce lexique ? Personnellement, je ne l’ai découvert qu’assez tardivement mais m’y suis pas mal référée et cela m’a permis, le cas échéant, de faire quelques recherches pour en apprendre un peu plus sur un tel ou un tel) et certains chapitres m’ont paru quelque peu confus, voire brouillons et j’ai trouvé que cela avait enlevé un peu de rythme au roman.
    Je retiendrai de cette lecture l’habileté de l’autrice à mêler vérités historiques (quoique celles-ci soient lacunaire pour une histoire aussi ancienne et encore partiellement connue) et histoire totalement romanesque mais bien conçue. La reine des mers est une bonne fiction historique et qui a le mérite de nous faire voyager dans les paysages spectaculaires de l’Europe du Nord, des fjords norvégiens et suédois jusqu’à l’Irlande, en passant par les îles Féroé et l’Islande. J’ai passé un agréable moment en compagnie de Svanhild, une jeune femme déchirée par des choix difficiles à faire mais qui trace son chemin, dans une époque périlleuse ou rien n’est simple et où la mort et la violence sont omniprésentes.
    Malgré des défauts, La saga des Vikings est à découvrir, pour peu que vous aimiez le Moyen Âge et les grandes fresques historiques.

    La Viking de Birka était-elle une guerrière? | ICI Explora

    A l'instar de la guerrière viking dont la tombe fut exhumée à Birka en Suède, Svanhild a toute sa place sur les bateaux guerriers de son époux Solvi (tableau illustrant la mort d'Hervor, soeur du roi Heidrekr, par Peter Nicolai Arbo)

    En Bref :

    Les + : une description fine et nuancée d'une civilisation fascinante, sans tomber dans l'écueil du mythe ou de la légende. C'est une société viking cohérente et probablement proche de la vérité que nous montre ici l'autrice.
    Les - : je regrette des longueurs et des passages parfois un peu confus, brouillons...


     

    http://ekladata.com/q7rz1YPWadYaMKqgpjDkLDQwabs/IMG-1919.jpg

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

    Retrouvez juste ici mon avis sur le premier tome de La saga des Vikings, Ragnvald et le Loup d'Or


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  • « Je ne pardonnerai jamais aux Tudors de m'avoir brisé le cœur. Ils ont conquis le trône en faisant couler le sang de ma famille. »

    Couverture La malédiction du roi

     

     

         Publié en 2014 en Angleterre

      En 2021 en France (pour la présente édition)

      Titre original : The King's Curse

      Éditions Archipoche

      622 pages

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Angleterre, 1499. Après la décapitation de son frère sur ordre d'Henri VII, Margaret Plantagenêt se retrouve l'une des dernières héritières de la maison d'York. Un nom dangereux à porter depuis que les Tudors se sont emparés du trône...

    Pour assurer sa sécurité, elle épouse Richard Pole, un cousin du roi. A la mort de celui-ci, veuve et sans ressources, elle ne doit son salut qu'à l'arrivée à la cour de la future souveraine, Catherine d'Aragon.

    Désormais comtesse de Salisbury, Margaret devient première dame de compagnie de la reine. Au point de susciter des jalousies.

    Philippa Gregory ressuscite avec maestria les heures les plus sombres de la royauté anglaise, où complots et trahisons se règlent souvent dans le sang.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Faisant partie de l’immense anthologie romanesque consacrée par Philippa Gregory à l’époque des Tudors et de la Guerre des Deux-Roses, La malédiction du roi est, encore une fois, un beau portrait de femme.
    Après Anne et Mary Boleyn (Deux sœurs pour un roi), Anne de Clèves (L’héritage Boleyn), Catherine Parr (La dernière reine) Catherine d’Aragon (La princesse d’Aragon) Elizabeth Woodville et sa fille Elizabeth d’York (La reine clandestine et La reine blanche), Anne Neville (La fille du faiseur de roi) et les destins tragiques des sœurs Grey (Reines de sang), je continue mon exploration de l’Histoire britannique vue à travers des destinées féminines avec ce roman consacré à Margaret Pole.
    Née dans les années 1470, Margaret Plantagenêt est apparentée aux plus illustres familles anglaises de la fin du Moyen Âge : par son père, George de Clarence, elle est une nièce du roi Édouard IV d’York. Elle sera aussi par conséquent la nièce du très controversé roi Richard III. Sa mère, Isabelle Neville, est la fille du puissant comte de Warwick, surnommé le « faiseur de roi » et sa tante Anne épousera successivement le fils du roi Henri VI et Marguerite d’Anjou puis Richard de Gloucester, futur Richard III. Par ses deux parents, la lignée de Margaret remonte à des temps immémoriaux et notamment à l’un des plus puissants rois de la fin du Moyen Âge : Édouard III, dont se réclament les York comme les Lancastre, qui se disputent le royaume d’Angleterre à la fin du XVème siècle, au cours d’un violent conflit civil que l’Histoire retiendra sous le nom de « Guerre des Deux Roses » ou « Guerre des Cousins ».
    Alors qu’elle naît au sein de la plus puissante des lignées, que son sang royal la promet au plus glorieux des destins, Margaret n’est plus rien, ou presque, quand s’ouvre le roman en 1499. Elle a alors vingt-six ans, est mariée à Sir Richard Pole, un obscur gentilhomme au service des Tudors, de onze ans son aîné et vient d’assister à l’exécution de son jeune frère Édouard Plantagenêt, surnommé Teddy, enfermé de nombreuses années à la Tour de Londres et qui n’en sortira que pour marcher à sa mort, alors qu’il a perdu l’esprit en prison et ne présente plus aucun danger. Car, alors que le XVIème siècle se profile à l’horizon, le destin des Plantagenêt a basculé : la dynastie qui s’était installée sur le trône britannique au XIIème siècle avec Henri II, a perdu son influence dans les dernières années de la Guerre des Deux-Roses au profit du jeune Henri Tudor, représentant des Lancastre. Le dernier roi York, Richard III, est mort sur le champ de bataille de Bosworth en août 1485, laissant sa couronne à Henri. Mais la dynastie des Tudors est fragile, mal installée : le mariage d’Henri Tudor avec la fille aînée du roi Edouard IV, Elizabeth, surnommée Bessie, ne lui garantit pas sa légitimité, sans cesse contestée. De nombreux « prétendants » au trône (dont le plus fameux, Perkin Warbeck, à la fin des années 1490, affirmant être Richard de Shrewsbury, fils cadet d’Edouard IV) apparaîtront dans les dernières années du XVème siècle, notamment à la faveur du mystère qui entoure la disparition des princes d’York, Édouard et Richard, les fils d’Édouard IV, détenus à la Tour de Londres à la mort de leur père et qui n’en sortiront jamais. Ont-ils été assassinés par leur oncle Richard pour s’approprier le trône comme on le dit ? Ou bien par des partisans des Tudors ? A l’inverse, leur mère, la reine Elizabeth Woodville, avait-elle pu mettre ses enfants en sécurité ou au moins l’un d’entre eux ? Encore aujourd’hui, nous n’en savons rien. Toujours est-il que Henri Tudor eut toujours, ou presque toujours, à défendre son trône contre des prétentions sensément plus légitimes que les siennes. Cela aura pour conséquence de développer chez le premier roi Tudor une peur constante de se voir détrôner et Henri VII, comme son successeurs Henri VIII, dont le règne est mieux connu, terminera sa vie paranoïaque, soucieux de faire sans cesse le ménage autour de sa lignée pour lui garantir prospérité et longévité. Le frère de Margaret fera les frais de cette psychose, puisqu’il passera presque l’intégralité de sa jeune vie derrière les barreaux avant d’être exécuté. Et la jeune femme elle-même, bien que bénéficiant de l’amitié et de la confiance de sa cousine la reine Elizabeth d’York, se voit dépossédée en peu d’années de son rang, de son influence, de son avenir et même de son nom car les Plantagenêt, sous le règne des Tudors deviennent, sinon des parias, du moins « persona non grata ». Margaret, devenue Margaret Pole comme une couverture, un gage de bonne conduite puisque son époux est proche de la nouvelle famille royale, devra toute sa vie porter son nom comme un boulet ou une épée de Damoclès parce que, rapidement, être un Plantagenêt sous la dynastie des Tudors deviendra un véritable danger.

    Margaret Pole — Wikipédia

    Portrait de Margaret Pole par un artiste inconnu (XVIème siècle)


    Margaret Pole, devenue comtesse de Salisbury sous Henri VIII, est connue essentiellement pour sa longue amitié avec la reine Catherine d’Aragon, qu’elle accueille adolescente à Ludlow, après son mariage avec le prince Arthur – son mari Richard Pole était le gouverneur de la forteresse, demeure officielle du prince de Galles. Elle partagera l’intimité du jeune couple et soutiendra Catherine durant les années incertaines qui suivent son veuvage – le prince Arthur meurt en 1502, environ un an après son mariage avec la princesse espagnole. La fin du règne d’Henri VII est relativement paisible pour Margaret, même si elle doit faire face à la méfiance revancharde de la mère du roi, Margaret Beaufort, aussi puissante qu’une reine.
    Les débuts du règne d’Henri VIII, le plus fameux roi de la dynastie Tudor, sont un âge d’or pour l’Angleterre : jeune homme beau, cultivé, roi humaniste et athlétique, qui n’aime rien tant que jouter et chasser avec ses compagnons, Henri est apprécié de ses courtisans, admiré par son peuple. Afin de conserver l’alliance avec l’Espagne, il a épousé la veuve de son frère, la princesse Catherine. La proximité de Margaret avec celle-ci la ramène au plus près du trône et dans le sillage de la brillante cour d’Angleterre, avant de devenir, en 1516, la gouvernante de la princesse Marie.
    Mais le destin est en marche et la légende noire des Tudors en passe de s’écrire, emportant dans sa tourmente les destins de nombreux personnages, à commencer par les Pole. Jusqu’aux années 1540, Henri VIII ne saura jamais quoi faire de ces trop embarrassants cousins qui pourraient, s’ils le voulaient, revendiquer le trône…
    Margaret sera le témoin de tout le basculement du règne d’Henri VIII : elle le verra se métamorphoser, tant physiquement que mentalement, le jeune prince brillant, juste et avide d’amour devenant un homme mûr obèse, en mauvaise santé, violent, paranoïaque, obsédé par le fait de ne pas avoir de descendance mâle, se débarrassant de ses épouses dès lors qu’elles ne parviennent pas à engendrer de fils. Devenu un véritable tyran, les dernières décennies du règne d’Henri VIII sont marquées par le sang et la violence religieuse. Et parce qu’un tyran s’attire immanquablement la haine, l’Angleterre des années 1530-1540 sera marquée par de nombreuses révoltes.
    Margaret a-t-elle été, comme le présente Philippa Gregory dans son roman, le chef de file d’une opposition tantôt larvée, tantôt active ? Nous n’en savons rien. Mais il est certain que son nom faisait d’elle, sinon une partisane active de l’opposition, du moins un symbole de l’ancienne Angleterre, catholique et appartenant à la dynastie des Plantagenêt. Autrement dit, pour un roi ayant divorcé de l’Église de Rome et craignant pour sa légitimité, un danger. Pourtant, Margaret et les siens furent tour à tour des favoris, obtenant titres (comme celui de comtesse de Salisbury) et terres et des adversaires du pouvoir, menacés ou se voyant dépouillés des précédentes faveurs accordées…
    Le roman est très dense : ses six cents et quelques pages traitent quand même presque 43 ans d’une vie, de 1499 à 1542, date de la mort de Margaret. Une vie oubliée puis progressivement redécouverte et étudiée, à la faveur d’une historiographie moderne accordant une place plus importante dans ses travaux aux femmes. Car si l’Histoire, on ne peut le nier, est souvent étudiée à travers des destinées masculines, elle a aussi été faite par des femmes…et des femmes qui n’étaient pas que des reines ou des impératrices. Margaret Pole, comtesse de Salisbury, nièce de deux rois, cousine d’une reine, amie d’une autre et gouvernante d’une princesse malheureuse qui prendra sa revanche en ceignant à son tour la couronne (Mary Ière) en est un bon exemple.
    J’ai pas mal de choses à dire sur ce roman, du positif comme du négatif, à nuancer cependant : le premier adjectif qui me viendrait pour décrire La malédiction du roi, c’est inégal. Inégal dans le sens où des chapitres vraiment intéressants, captivants même sont brusquement suivis de chapitres beaucoup plus longs, presque superflus. J’ai alterné, au cours de ma lecture, entre des phases où j’étais captivée et d’autres où je me suis ennuyée, vraiment, d’où ce sentiment d’avoir lu un livre qui manquait parfois un peu de rythme. La malédiction du roi s’essouffle vers la fin et j’ai mis beaucoup de temps à le terminer. Un peu comme La reine blanche, qui était très répétitif, j’ai trouvé aussi que certains passages étaient assez redondants (les fils de Margaret Pole arrivent mille fois auprès de leur mère et reçoivent sa bénédiction à genoux…peut-être pas mille fois, mais vous voyez ce que je veux dire). Et en même temps, le roman est passionnant car il montre vraiment bien le basculement du règne d’Henri VIII, dont les fragilités psychiques entraînent le pays dans un véritable chaos. Ainsi, le jeune prince doué, espoir des sujets, devient vite un homme obsédé par sa descendance qui, pour engendrer enfin un garçon destiné à lui succéder et à consolider la dynastie, n’hésitera pas à traîner devant un tribunal sa première épouse et à la laisser mourir dans sa geôle humide du château de Kimbolton et à faire décapiter la suivante, après l’avoir accusée de sorcellerie. On ne compte pas non plus les proches ou conseiller d’Henri VIII qui ont payé cette proximité de leur vie : le cardinal Wolsey, Cromwell, Thomas More, l’un des fils de Margaret, lord Montague, le duc de Buckingham… Et c’est vraiment fascinant de voir « l’enfant chéri de l’Angleterre » se transformer en Barbe-Bleue inquiétant et imprévisible, dont les mains sont salies du sang de ses épouses (notamment les malheureuses Anne Boleyn et Katherine Howard) mais pas que… Pour toutes ces raisons, le roman est intéressant et à lire, si vous vous intéressez aux Tudors, dont la dynastie est auréolée d’autant de légendes que de vérités historiques.
    Enfin, un autre point négatif, mais qui n’est pas imputable à l’autrice : la traduction des noms. Certes, je l’ai fait dans cette chronique en écrivant Henri avec un i et en ne traduisant pas Édouard en Edward…mais j’avoue que j’ai parfois été surprise de voir le nom de Jane Seymour francisé en Jeanne Seymour quand le nom Margaret est conservé dans sa forme anglaise. Pourquoi, dans ce cas, ne pas harmoniser la traduction et prendre un parti-pris auquel on se tient ? La francisation des noms, pour autant qu’elle peut être controversée, aurait dû dans ce cas être utilisée pour tous ou alors abandonnée : si cela ne m’a pas gênée pour les noms dont la prononciation est la même, ou presque, en anglais comme en français, c’est vrai que j’ai parfois été un peu surprise de ce choix. Mais cela n’est qu’une remarque sur la forme et n’enlève évidemment rien au fond.
    Je terminerai donc cette longue chronique en disant que, comme bien souvent chez Philippa Gregory qui nous a habitués à des pavés, il y a du bon comme du moins bon. Ses romans sont indéniablement marqués par des recherches historiques solides et une bonne connaissance de la période. La plume de l’autrice est toujours alerte, personnellement j’arrive maintenant à force de la lire, à ressentir sa patte, même derrière une traduction : le fait que ses romans soient souvent écrits à la première personne du singulier nous rend les personnages proches, on a l’impression qu’il s’adresse à nous et il est plus facile de s’attacher, de s’identifier. Mais parfois, il y a des longueurs, des moments moins captivants, moins passionnants. J’avais eu le même ressenti avec Reines de sang, par exemple ou avec La reine blanche. Pour autant, ce n’est jamais déplaisant et j’ai encore une fois passé un agréable moment. Comme je vous le disais un peu plus haut, si vous êtes intéressés par l’époque des Tudors, vous aimerez probablement ce roman, qui se situe à une époque charnière, l’Angleterre entrant dans la Renaissance avec perte et fracas. La dynastie des Tudors a-t-elle été fondatrice, malgré son règne relativement court (moins de deux siècles, de 1485 à 1603) ? A la lecture de ce roman, on se dit que oui, assurément.

    Margaret Pole, Countess of Salisbury: From Traitor's Daughter to Traitor's  Mother to Beheaded Martyr – Ann Foster

    L'actrice britannique Laura Carmichael incarne la comtesse de Salisbury dans sa jeunesse, au moment de sa rencontre avec Catherine d'Aragon dans la série The Spanish Princess 

    En Bref :

    Les + : un roman solide historiquement et passionnant car il nous montre à travers les yeux de Margaret Pole le basculement sordide du règne d'Henri VIII, de prince brillant à roi inquiétant, violent et imprévisible.
    Les - :
    des inégalités et parfois un manque de rythme.


    http://ekladata.com/JkwsAWzdXp8zsw_1eFLKAfecCh0/IMG-1925.jpg

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     


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