• « Les impressions et les sentiments peuvent vous mener aussi loin que les faits dans la quête de vérité. »

     

     Publié en 2016 en Angleterre

     En 2021 en France (pour la présente édition)

     Titre original : Lady Hardcastle Mysteries, book 2,   In the Market for Murder

     Éditions City

     348 pages

     Deuxième tome de la saga Les enquêtes de   LadHardcastle

     

     

     

    Résumé :

    En ce printemps 1909, Lady Hardcastle, aristocrate excentrique et détective amateur, profite d'un repos bien mérité dans le coin de campagne anglaise où elle s'est installée. Un calme qui est de courte durée...Spencer Caradine, un fermier local, s'effondre raide mort à la taverne, la tête dans sa tourte.

    Meurtre ou accident ? Inutile de compter sur les policiers locaux pas très futés pour lever le voile sur ce mystère. Lady Hardcastle et sa dame de compagnie, Florence, doivent prendre les choses en main et mener l'enquête. Mais la liste des suspects est longue comme un jour sans pain...

    Entre la femme de Caradine amoureuse d'un autre, son fils qui le haïssait et les villageois dont il prenait un malin plaisir à pourrir la vie, la victime n'avait que des ennemis. Les enquêtrices de choc vont devoir mobiliser une bonne dose d'astuce et de crochets du droit si elles veulent pouvoir savourer le brandy de la victoire !

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Par un pluvieux et orageux printemps typiquement anglais, nous retrouvons notre duo d’enquêtrices de choc : lady Emily Hardcastle et sa dame de compagnie, Flo Armstrong, rencontrées dans Petits meurtres en campagne.
    Pour vous situer rapidement si vous ne connaissez pas cette série : lady Hardcastle et Flo viennent de s’installer à la campagne, en plein cœur du Gloucestershire, dans le petit village de Littleton Cotterell, après avoir sillonné le monde et notamment l’Asie. On apprend qu’elles ont mené une vie plutôt non conventionnelle, au service du roi et de l’Etat – en somme, Emily Hardcastle et Flo ont été des espionnes et les voilà qui se retirent « au vert » si on peut dire, dans une vie plus calme mais pas forcément plus rangée pour autant.
    Une première enquête s’est littéralement jetée sous leurs pas lorsqu’elles ont été amenées à prêter main-forte à la police locale dans le cadre de l’affaire Frank Pickering. Une affaire qui n’est pas près d’être oubliée et dans laquelle elles ont laissé quelques plumes.
    Mais il semblerait que certaines personnes ne peuvent pas forcément vivre tranquillement et quand votre réputation vous précède, difficile d’être en paix : voilà qu’un fermier du coin, Spencer Caradine meurt soudainement à l’issue du marché à bestiaux hebdomadaire, la tête directement dans sa tourte au bœuf et aux champignons ! Que s’est-il passé ? Est-ce une mort naturelle, somme toute assez bête mais pas impossible ou bien sommes-nous face là à un meurtre habilement déguisé ? Tout se complique quand, commençant leur enquête, lady Hardcastle et Flo se rendent compte que Caradine faisait l’unanimité contre lui, de ses voisins à sa propre famille…et beaucoup de monde aurait pu avoir un intérêt à le voir mort, à commencer par son épouse, la jolie Audrey, amoureuse d’un autre ou les autres fermiers, à qui Caradine n’aimait rien tant que jouer des tours.
    Mais l’enquête promet de se corser quand soudain, le club de rugby de Littleton est victime d’un cambriolage et quand une partie du village s’adonne au spiritisme, séances qui convoquent un esprit des plus opiniâtres et décidé manifestement à accuser de meurtre un nouvel arrivant, Mr Nelson Snelson. Toutes ces affaires sont-elles liées ? Doit-on prendre pour argent comptant les assertions d’un esprit vengeur et surtout, qui en voulait suffisamment à l’irascible Caradine pour l’éliminer définitivement de la surface de la terre, alors qu’il semblait n’être apprécié de personne ?
    Dans ce deuxième tome des Enquêtes de Lady Hardcastle, toujours narré par Flo, sa dame de compagnie, on prend les mêmes – ou presque – et on recommence. Manifestement, la police n’est pas plus douée que dans le premier tome et les prodigieuses capacités du duo fraîchement arrivé dans la région, sont de nouveau sollicitées pour faire la lumière sur trois affaires distinctes mais qui pourraient peut-être bien finalement n’en faire qu’une.
    Toujours aussi fantasque, lady Emily Hardcastle dans ce tome, se met en tête d’apprendre à conduire une automobile (nous sommes en 1909 et l’automobile commence tout juste à apparaître) et de créer un film d’animation, à la manière de Georges Melliès qui popularise en ce début de XXème siècle le cinéma. Elle n’en reste pas moins concentrée sur la mission qu’on lui a confiée, en bon limier qu’elle est et n’aura de cesse de trouver le coupable.
    L’enquête est agréablement menée, sympathique à suivre, avec cette ambiance anglaise inimitable des cosy mysteries. A aucun moment je n’ai eu envie de chercher qui était le coupable, je me suis juste laissé porter, essayant de comprendre les liens entre les trois affaires auxquelles lady Hardcastle et Flo se retrouvent soudainement confrontées et les suivants avec intérêt dans leurs diverses pérégrinations sur les routes rurales du Gloucestershire. De nouvelles informations sur le passé des deux femmes sont à nouveau distillées, mais sans dévoiler entièrement le mystère, ce qui est agréable même si, évidemment, on en déduit que toutes deux ont connu une vie vraiment peu conventionnelle pour des femmes de cette époque-là et que la relation entre Emily et Flo est bien plus proche de celle de complices de travail que de maîtresse et domestique : l’irrévérence affectueuse de la seconde envers la première en est d’ailleurs une belle preuve.
    Je déplore seulement qu’en milieu d’ouvrage, j’ai eu soudain la sensation que la trame de l’intrigue se délitait un peu et je ne comprenais plus forcément sur qui ou quoi lady Hardcastle et Flo enquêtaient…Avait-on vraiment un lien entre toutes les affaires ? Pourquoi soudainement l’enquête sur Spencer Caradine avait-elle, en apparence, été laissée de côté ? Par chance, tout s’est à nouveau assemblé comme les pièces d’un puzzle pour apporter la solution d’une affaire finalement des plus banales au départ mais qui aura pris bien des chemins de traverse, mettant à mal tant la déduction de la police que de nos Sherlock Holmes et Dr Watson de Littleton Cotterell !
    Bref, cette enquête m’aura baladée agréablement pendant ses trois-cents et quelques pages sans que je ne m’ennuie à aucun moment. Si cette série n’a pas le charme attachant d’autres univers de cosy mystery, elle a pour elle un côté décalé des plus charmants et des personnages qu’on aime retrouver. Bref, c’est donc avec plaisir que je continuerai de découvrir les enquêtes d’Emily Hardcastle et de l’inénarrable Flo, dame de compagnie, cuisinière hors-pair et aussi douée dans les arts martiaux qu’un moine shaolin ! Ca promet de belles aventures, n’est-ce pas ?

    En Bref :

    Les + : une enquête bien menée et bien ficelée dans son ensemble, servie par les capacités de déduction assez prodigieuses de lady Hardcastle. L'univers est décalé et chaleureux comme un salon de thé anglais par un dimanche après-midi pluvieux !  
    Les - : une enquête en milieu du roman qui s'éparpille un peu et perd en souffle, mais par chance, les pièces du puzzle se rassemblent très vite donc c'est dans l'ensemble un bémol sans trop d'importance.

     


    Les enquêtes de Lady Hardcastle, tome 2, Meurtres dans un village anglais ; T.E Kinsey

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle 

     

    • Retrouvez mon avis sur la première aventure d'Emily Hardcastle et sa dame de compagnie :

    - Petits meurtres en campagne

     

     


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  • L'instant poétique #4 : Le dormeur du val, Arthur Rimbaud, 1870

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    Le seul manuscrit autographe du Dormeur du val, daté d'octobre 1870 est aujourd'hui conservé à la British Library

    • LE POÈME

     

    C'est un trou de verdure où chante une rivière
    Accrochant follement aux herbes des haillons
    D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
    Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

    Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
    Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
    Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
    Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

    Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
    Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
    Nature, berce-le chaudement : il a froid.

    Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
    Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
    Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

     

    • ET CA PARLE DE QUOI ?

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    L'Homme blessé, tableau du peintre réaliste Gustave Courbet décrit une scène pratiquement similaire à celle décrite par Rimbaud dans son sonnet 

    Rimbaud écrit ce sonnet en octobre 1870, alors qu'il a seize ans. C'est l'un de ses poèmes les plus connus, bien qu'il ne présente pas encore d'innovations profondes : il s'agit d'un sonnet en alexandrins avec des rimes régulières et on est donc loin de la modernité des futures productions de Rimbaud. Pour autant, c'est une oeuvre qui résonne fortement avec le contexte historique dans lequel évolue l'auteur. En octobre 1870, la France connaît une période de troubles politiques profonds : au cours de l'été, Napoléon III a déclaré la guerre à la Prusse. Malade et affaibli, l'empereur a cependant pris le commandement de ses armées. Encerclé à Sedan début septembre, il a finalement dû capituler et se rendre. Dans la foulée, le pouvoir impérial s'effondre et l'impératrice Eugénie a même dû quitter précipitamment Paris pour partir en exil, le 4 septembre 1870. 

    Il est probable que le jeune poète se soit senti particulièrement concerné par ce conflit dont le théâtre des opérations se situe non loin de Charleville dans les Ardennes, où il vit. Le dormeur du val raconte l'histoire d'un soldat inconnu qui semble endormi dans un cadre bucolique, tranquille et enchanteur qui tranche avec la chute brutale et macabre du sonnet, lorsque l'on comprend que l'homme, loin de se reposer loin de la zone de combats, est en fait mort de ses blessures...

     

    • L'AUTEUR EN QUELQUES PHRASES

     

    Poète français dont la célébrité ne se dément pas, Arthur Rimbaud est né en octobre 1854 à Charleville. Il meurt en 1891 à Marseille, à l'âge de trente-sept ans. Connu pour sa relation tumultueuse avec le poète Paul Verlaine, il est surtout un poète prolixe, dont l'oeuvre se caractérise par une grande densité thématique et stylistique. Il commence à rédiger ses premiers poèmes à l'âge de quinze ans. 

     

     


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  • « Toute la vie de Nicolas II et des  siens, y compris pendant leur captivité et pratiquement jusqu'à leur exécution, nous est ainsi familière. Des fastes de la Cour à la précarité de leur exil, d'une jeunesse souvent douloureuse à l'épreuve du pouvoir et des drames personnels poignants, on découvre un minutieux et parfois indiscret album de famille. »

     

     

     

     Publié en 2015

     Éditions Perrin (collection Biographies)

     459 pages

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Coupable ou martyr ? Coupable et martyr ? Longtemps, l'histoire officielle, d'inspiration marxiste, a accablé Nicolas II, chargé de tous les crimes, accusé de toutes les erreurs. Depuis la chute de l'URSS, la spectaculaire révision de son rôle, de son attitude, de son influence, les drames personnels qu'il a subis et l'engrenage de la Première Guerre mondiale nous montrent un autre souverain, un homme différent de celui qu'on présentait, dépassé par les évènements, miné par la fatalité et finalement broyé par une histoire éminemment tragique. La destinée du dernier tsar, patriote jusqu'au bout, est plus fascinante et bouleversante que celle de ses illustres prédécesseurs parce que, précisément, le pouvoir des Romanov s'achève en tragédie.
    Cent ans plus tard, dans cette biographie inédite et richement illustrée, Jean des Cars dresse le portrait intime du couple formé par Nicolas II et Alexandra Feodorovna, et de leurs enfants: les grandes-duchesses Olga, Tatiana, Maria, Anastasia et le tsarévitch Alexis qui naîtra hémophile - un calvaire pour son entourage, une menace sur la dynastie.
    Du couronnement à l'assassinat de toute la famille, l'auteur nous conte avec son talent coutumier la vie du dernier couple impérial russe, des années de bonheur à l'épreuve de la guerre et des révolutions, des réformes intérieures au pouvoir de Raspoutine, de l'abdication au massacre.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Dans la nuit du 17 juillet 1918, la famille Romanov est réveillée brutalement par ses geôliers et sans ménagement conduite jusqu’à la cave de la maison Ipatiev, où elle est détenue depuis quelques semaines. L’avancée des armées royalistes dans la région étant inquiétante, va-t-on les emmener ailleurs, encore une fois : après Tsarskoïe Selo, où la famille a vécu en résidence surveillée, puis Tobolsk, va-t-elle encore devoir gagner une nouvelle prison ? La famille ne sait pas encore qu’elle n’ira plus jamais nulle part, du moins de son vivant. Silencieusement, les Romanov – l’empereur, l’impératrice, leurs quatre filles et le petit Alexis, dans les bras de son père -, descendent les vingt-trois marches qui les mènent vers leur supplice. Ils sont accompagnés du médecin de famille et d’une femme de chambre de l’impératrice. Dans la pièce, ils sont sous la surveillance de leur gardien, le sinistre Iakov Yourovski. C’est lui qui, quelques minutes plus tard, donnera l’ordre à ses soldats de tirer : les Romanov et leurs serviteurs sont assassinés à bout portant. Il n’y aura aucun survivant à cette tuerie qui n’avait pas d’autre but que d’éradiquer purement et simplement la famille du tsar déchu. D’autres membres de la famille seront aussi les victimes du nouveau régime : un peu avant Nicolas II et les siens, son frère le grand-duc Michel a été exécuté, puis ce sera au tour de la grande-duchesse Ella – sœur de l’impératrice et épouse du grand-duc Serge – et de certains cousins de Nicolas II d’être passés par les armes.
    Transportés vers un puits de mine dans une forêt, non loin de la ville d’Ekaterinebourg où la famille était détenue depuis la fin mai à la maison Ipatiev (la maison à destination spéciale), les corps sanglants sont déshabillés, démembrés, jetés pêle-mêle dans le puits. Pour essayer de faire disparaître toute trace du massacre, les soldats de Yourovski finissent par y jeter des grenades qui font exploser les galeries. Sans preuves, personne ne pourra accuser le nouveau régime d’être l’assassin du tsar et de sa famille. Ce mystère entourant la fin des derniers Romanov aura pour conséquence l’apparition dans les années qui suivent d’une fausse Anastasia, qui se révèlera en fait être un imposteur. Aujourd’hui, grâce à des tests ADN, nous savons de manière certaine qu’aucun Romanov n’est sorti vivant de la maison Ipatiev – aujourd’hui rasée, cette dernière a laissé place à une église orthodoxe commémorative.
    La mort de la famille impériale et l’exil des survivants, met fin à un régime autocratique séculaire : hasard macabre, le premier tsar Romanov, Michel, avait tiré de son couvent pour être placé sur le trône en 1613, couvent qui portait le nom…d’Ipatiev. Héritier de figures aussi célèbres que Catherine II ou Pierre le Grand, le futur Nicolas II est né en 1868 : il est le fils d’Alexandre III et de son épouse danoise, la princesse Dagmar de Danemark, devenue la tsarine Maria Feodorovna. Le jeune garçon a treize ans quand, à la fin de l’hiver 1881, son grand-père Alexandre II succombe à une énième attaque à la bombe. Le futur tsar sera profondément choqué devant le corps sanglant et désarticulé de son grand-père, si grièvement blessé aux jambes qu’il ne survivra pas. Alors que son père accède au trône de Russie, Nicolas devient le tsarévitch, l’héritier du trône : on pourrait penser logiquement que toute sa future éducation sera conditionnée par ce statut particulier or, il n’en est rien. Le futur Nicolas II est mal préparé, tenu à l’écart par son père Alexandre III, maintenu dans une sorte d’insouciance enfantine loin des affaires. Nicolas noue une relation avec une jeune danseuse, voyage en Europe et jusqu’au Japon mais n’est pas associé au pouvoir par un père tout-puissant, bienveillant mais qui ne saura pas préparer son fils à la tâche qui l’attend. Alexandre III meurt prématurément à l’âge de 49 ans d’une maladie rénale, laissant l’empire russe à un jeune homme de vingt-quatre ans, épouvanté devant le colosse qu’il s’apprête à porter à bout de bras. Comme Louis XVI qui dira à l’annonce de la mort de son grand-père Louis XV « Mon dieu, protégez-nous, nous régnons trop jeunes. », le cri du cœur spontané qui échappe à Nicolas II est éloquent : « Je n’ai jamais voulu être tsar. » La suite des événements lui prouvera qu’il n’était effectivement pas taillé pour l’être.

     

    La famille impériale est unie et mène une vie relativement simple, quasi bourgeoise : le couple formé par Nicolas et Alexandra est très lié autour de sa progéniture et surtout du petit Alexis. Mais cette entente et cette harmonie familiale ne suffisent pas à les rendre populaires


    Quelques semaines après la mort de son père, le jeune tsar se marie : mauvais présage ? Pour le peuple russe, chez qui grande religiosité et superstitions se mêlent intrinsèquement, cela ne fait pas de doutes, d’autant plus que le choix du jeune tsar s’est porté sur une fille de la famille de Hesse-Darmstadt, la jeune princesse Alix. Il n’est pas le premier empereur russe à choisir une épouse dans cette éminente famille allemande or, à chaque fois, le souverain marié à une princesse de Hesse connaîtra un destin tragique : ainsi, Paul Ier et Alexandre II, tous deux unis à une princesse issue de cette famille seront assassinés. Les parents de Nicolas se montreront réservés à l’annonce de l’intérêt que le jeune homme porte à Alix, petite-fille de la reine Victoria et ne donneront finalement leur accord que lorsque l’état de santé d’Alexandre III deviendra réellement préoccupant. Les Russes se montrent réservés face à cette princesse peu souriante, qui semble hautaine et surtout, souveraine faute, arrive « derrière le cercueil » de son beau-père.
    Heureux et uni, le couple aura cinq enfants : tout d’abord quatre filles, Olga, Tatiana, Maria et Anastasia, entre 1895 et 1901 puis le fils tant désiré, Alexis, en 1904. Dans l’intimité, tout semble aller pour le mieux pour ce couple qui, dans les somptueux palais des tsars, vit de manière relativement simple et bourgeoise, avec leurs enfants auxquels ils portent un sincère intérêt. Le drame de la vie de Nicolas II et d’Alix, devenue l’impératrice Alexandra Feodorovna sera la maladie du petit tsarévitch, découverte quelques semaines après sa naissance, en septembre 1904 : l’enfant est alors victime d’une hémorragie du nombril qui conduit à la pose d’un diagnostic irrévocable. Comme beaucoup de descendants de la reine Victoria, grand-mère de l’Europe, Alexis souffre d’hémophilie, une maladie du sang qui l’empêche de coaguler correctement. De là, on comprend donc aisément ce que risquent les malades : une blessure, des hémorragies soudaines peuvent les emporter en quelques heures. Dès lors, l’enfant va être constamment surveillé, élevé dans une bulle protectrice mais aussi frustrante pour un enfant qui ne peut jouer et se dépenser comme il veut : la moindre entorse, la moindre contusion peut occasionner des hémorragies internes, des hématomes ou des douleurs articulaires terribles, qui laissent l’enfant épuisé et ses parents désemparés. Pour l’impératrice, la peine est double : non seulement elle est condamnée à voir souffrir son fils unique, impuissante à le soulager mais elle doit vivre aussi avec le poids de la culpabilité car c’est elle qui a transmis le mal à Alexis. L’hémophilie a en effet la particularité de se transmettre par les femmes mais uniquement à leurs fils.

     

     

    Les quatre grandes-duchesses (de gauche à droite Maria, Tatiana, Anastasia et Olga) entourant leur petit frère Alexis, né en 1904 : il est atteint d'un mal génétique et incurable, l'hémophilie


    La maladie de l’héritier, incurable et si douloureuse, qui les fait vivre dans une angoisse permanente de l’accident fatal et l’impuissance de la médecine de l’époque, qui soulage l’enfant avec de l’aspirine – on découvrira plus tard que le médicament est complètement contre-indiqué en cas de troubles de la coagulation, ayant pour propriété de fluidifier le sang -, conduisent la tsarine à se réfugier dans une religiosité qui tend rapidement au mysticisme et la rend particulièrement faible face à des gourous et autres thaumaturges prétendant pouvoir soulager le tsarévitch. Le plus célèbre sera le fameux Raspoutine, sous la coupe duquel tombera non seulement l’impératrice mais aussi ses filles et, probablement, l’empereur. Mais peut-on reprocher à des parents désespérés de chercher à soulager les souffrances de leur enfant, d’autant plus que Raspoutine, bien plus que les médecins de la Cour, est le seul à parvenir à endiguer les crises qui engendrent de terribles souffrances chez le petit malade.
    La mauvaise préparation de Nicolas II à la charge qu’il devait occuper, une tsarine mal acceptée par l’opinion qui, à l’instar des Français du XVIIIème siècle qui appelaient Marie-Antoinette « l’Autrichienne », finira par ne plus la qualifier autrement que comme « l’Allemande » puis un contexte social et politique complexe, une guerre mondiale sans précédent, auront finalement raison du régime tsariste et l’émergence d’un autre pouvoir, personnifié notamment par la figure de Lénine.
    On a beaucoup écrit sur les Romanov : de leur fin tragique jusqu’à la spectaculaire contrition du pouvoir soviétique entre les années 1900 et 2000, tout a contribué à faire d’eux un mythe. Ici, Jean des Cars ne s’attache pas à décortiquer la politique malheureuse du dernier tsar : c’est plutôt une biographie domestique que l’auteur nous propose, nous faisant pénétrer dans l’intimité du couple puis de la famille. On découvre ainsi une famille unie, profondément liée par la maladie du tsarévitch et les inquiétudes permanentes induites par sa santé. Les sœurs aînées entourent leur petit frère très aimé de beaucoup d’attentions et de tendresse, elles se montrent protectrices les unes envers les autres mais surtout, toutes les quatre ensemble pour Alexis, tellement fragile. Elles suppléent ainsi leur mère, la tsarine Alexandra, dont la propre santé est rapidement chancelante : celle-ci souffre d’angoisses profondes mais aussi de problèmes circulatoires qui l’empêchent souvent de marcher et de participer aux activités que la famille aime…ainsi, le tsar et ses filles qui sont passionnés de photographie, adorent les activités de pleine nature, les longues marches et même la natation. Leur pratique assidue de la photographie permet aujourd’hui aux historiens d’avoir un accès à des documents inestimables, témoins de la vie quasi-bourgeoise et loin des fastes de la représentation que menaient le couple impérial et ses enfants.
    Et pourtant, la beauté des grandes-duchesses, la maladie d’Alexis, longtemps cachée à l’opinion puis éclipsée par le scandale de l’influence de Raspoutine auprès de la tsarine, ne sauveront pas l’empire. Comme l’empire du Kaiser Guillaume II en Allemagne, l’empire austro-hongrois de Charles Ier et l’empire ottoman, le géant qu’est l’empire russe des tsars sera balayé par le contexte politique puis la Première guerre mondiale : la déconnexion de Nicolas II, le paradoxe entre son éducation et les bouleversements d’une époque qu’il ne comprend pas, la maladie de son fils qui le pousse à se replier sur sa vie domestique au détriment de la politique et du peuple russe qui attend des décisions concrètes de ses dirigeants concourent à faire disparaître un régime séculaire mais dépassé. Nicolas II ne fut pas un bon tsar : de cela aujourd’hui, nous ne pouvons douter. Le couple impérial ne parvint pas ou ne voulut pas comprendre les aspirations d’un peuple fatigué, d’abord par l’inflation et la pauvreté puis par une guerre internationale sans précédent, il laissa pourrir la situation et, par manque de volonté, par faiblesse, se conduisit lui-même au supplice, y entraînant aussi ses enfants. Il ne nous appartient pas aujourd’hui de juger ce qui fut fait hier, nous ne pouvons que l’étudier au mieux, loin des contre-sens que peuvent induire notre manière de pensée appliquée à une époque plus ancienne. Pour autant, humainement, il est difficile de ne pas considérer aujourd’hui la mort de la famille impériale comme une incroyable tragédie, de part probablement le nombre conséquent de sources photographiques qui nous permet de mettre des visages sur des noms et par la proximité de ce drame – à peine une centaine d’années nous séparent des derniers Romanov. Il y a aussi quelque chose d’assez fascinant dans cette tragédie familiale et de suffisamment horrible pour l’entendement pour conduire à de nombreuses rumeurs de survivance (notamment de la grande-duchesse Anastasia, aujourd'hui infirmées par la plupart des historiens), toutes battues en brèche par les analyses génétiques et scientifiques qui ont pu être menées entre la fin des années 1990 et les années 2000. Exhumés du puits de mine de Ganina Yama non loin d’Ekaterinebourg pour être officiellement ré-inhumés avec tous les honneurs à Saint-Pétersbourg, les Romanov sont tous réunis dans la mort depuis quelques années et peuvent enfin reposer en paix. Des lieux de commémoration, des sanctuaires ont été élevés à l’emplacement de la maison Ipatiev, dans la forêt où les corps ont été hâtivement dispersés au matin du 17 juillet 1918…la Russie moderne, au-delà de ses troubles politiques, semble s’être réconciliée avec son passé et l’historiographie actuelle peut étudier les derniers Romanov de manière apaisée, sans se détacher pour autant de la pitié qui nous envahit face aux visages si beaux des grandes-duchesses et de leur petit frère, que l’on voit grandir et s’épanouir sur les clichés de famille tout en sachant que la course à l’abîme est commencée et que le tourbillon les emportera tous, dans la fleur de l’âge : la plus âgée, Olga, allait avoir 23 ans. Son petit frère aurait eu 14 ans moins de quinze jours après la tragédie de la maison Ipatiev.
    Avec beaucoup de chaleur, Jean des Cars fait revivre la dernière famille impériale russe, entre grandes joies et profonds chagrins, jusqu’au drame final. Une lecture passionnante et aussi fascinante que ses sujets d’étude.

     

     Nicolas II et son épouse allemande, Alix de Hesse-Darmstadt : l'impératrice, intransigeante, conservatrice et psychologiquement gouvernée par Raspoutine cristallisera la haine et l'hostilité du peuple russe

    En Bref :

    Les + : un très bon livre qui aborde l'histoire des derniers Romanov du point de vue intime et familial...c'était passionnant et j'ai passé un très bon moment de lecture. Jean des Cars a le don pour rendre l'Histoire accessible et on prend plaisir à lire ce livre, comme un roman, même si l'on connaît déjà l'issue tragique.
    Les - : quelques petites coquilles, probablement dues à des erreurs de frappe, dommage mais pas catastrophique non plus.


    Nicolas II et Alexandra de Russie : une tragédie impériale ; Jean des Cars

     

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle 

     

     


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  • « Parfois, même les gens que l'on aime sont capables du pire. Et nous n'échappons pas à la règle. Nous aussi nous sommes capables de laideur, de stupidité, de bassesse. »

    Couverture Mort à Devil's Acre

     

     

         Publié en 1985 en Angleterre

      En 2013 en France (pour la présente édition)

      Titre original : Death in the Devil's Acre

      Editions 10/18 (collection Grands Détectives)

      286 pages 

      Septième tome de la saga Les enquêtes de Charlotte    et Thomas Pitt

     

     

     

     

    Résumé :

    Lorsqu'un docteur est retrouvé brutalement assassiné dans un quartier sordide, même les riverains les plus endurcis sont choqués. Mais le choc se change en horreur quand l'inspecteur Pitt découvre trois autres cadavres portant la même carte de visite : poignardés dans le dos et sauvagement mutilés. Thomas Pitt et sa femme Charlotte s'embarquent alors dans une enquête dont personne ne sortira indemne, de la pire canaille à l'aristocratie la plus respectée. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Par un froid matin de janvier de la fin de l'époque victorienne, un agent fait une macabre découverte dans le quartier de Devil's Acre : dans une cour sombre, ce qu'il prend pour un homme endormi sous un porche est en réalité le corps sans vie d'un médecin, le Dr Pinchin, tué d'un coup de poignard dans le dos et surtout, sauvagement mutilé. Appelé sur place, l'inspecteur Thomas Pitt prend en charge l'affaire mais l'enquête piétine tant et plus et bientôt, la police est prise de vitesse : un deuxième corps est retrouvé à Devil's Acre puis un troisième, sans qu'elle n'ait la moindre idée du profil du coupable
    Et tandis que Pitt enquête dans les bas-fonds de ce quartier déshérité, où la prostitution est monnaie courante et où les habitants vivent dans l'indigence la plus totale, son épouse Charlotte, malgré les injonctions de son époux, fait ses propres recherches dans la bonne société londonienne, aussi intouchable en apparence qu'hypocrite car, avec l'aide de sa sœur, l'intrépide lady Ashcroft, elle découvre que beaucoup de femmes de bonne famille, par ennui ou désœuvrement, aiment à s'encanailler dans des quartiers aussi mal famés que Devil's Acre
    Après Le cadavre de Bluegate Fields, qui abordait déjà le sujet de la prostitution, féminine comme masculine, on retrouve une enquête qui tourne sensiblement autour du même sujet ici. Nous ne sommes simplement plus dans le même quartier ni avec les mêmes personnages mais sinon, les deux intrigues sont assez similaires, je trouve. Des sept tomes que j'ai pu lire jusqu'ici, Mort à Devil's Acre est sûrement celui qui m'a le moins emballée pour le moment. C'était sympa et c'est toujours un plaisir de retrouver Charlotte et Thomas, mais j'ai trouvé l'enquête un peu lente et surtout, j'ai été déçue par la fin qui arrive de manière assez précipitée, comme si l'autrice soudainement en avait eu marre et était pressée de torcher son roman. Ainsi, je n'ai pas forcément eu de réponses aux questions que j'ai pu me poser au cours de ma lecture et même si je ne m'attendais pas à la révélation finale, j'ai trouvé que tout se terminait trop vite pour qu'on comprenne exactement les motivations et implications de chacun. Dommage ! En revanche, la relation entre Charlotte et Thomas, qui restait abordée de manière relativement pudique dans les premiers tomes (il n'y a pas forcément de scènes explicites entre les personnages) semble évoluer : ici j'ai eu l'impression qu'ils se témoignaient plus ouvertement non seulement leur estime mutuelle - Thomas a beau réprimander Charlotte car il ne veut pas qu'elle se mette en danger, il n'en estime pas moins ses capacités de déduction et sa propension à se glisser sans problème dans les hautes sphères londoniennes souvent verrouillées - mais aussi une certaine tendresse, que l'on ressentait implicitement dans les tomes précédents et que le lecteur déduisait forcément mais c'était peut-être moins évident. Donc si je devais retenir une chose de ce livre, ce serait ça, car le duo fonctionne vraiment à merveille, en tant que couple à la ville que comme binôme d'enquête

    En Bref :

    Les + : malgré quelques petits bémols c'est toujours une joie de retrouver ce duo mari et femme qui fonctionne si bien.
    Les - : une fin un peu précipitée et bâclée qui fait que le roman se termine à mon sens en queue-de-poisson sans que le lecteur ait pu saisir tous les enjeux de l'enquête.


     Les enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt, tome 7, Mort à Devil's Acre ; Anne Perry

      Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle  

     

    • Alors, envie de partir avec Charlotte et Thomas en pleines affaires criminelles à l'époque victorienne ? Découvrez mes billets sur les six premiers tomes : 

     

    L'étrangleur de Cater Street 

    Le mystère de Callander Square

    Le crime de Paragon Walk

    Resurrection Row

    Rutland Place

    Le cadavre de Bluegate Fields

     


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  • #40 Les Borgia : des mafieux au Vatican ?

     

    Les Borgia - Alexandre VI, l'ambition faite pape - Herodote.net

     

    Le 11 août 1492, c’est fait ! A la majorité canonique et après moult intrigues, le cardinal Rodrigo Borgia, 61 ans, est élu pape et son triomphe est complet. Comment s’est passée l’élection ? Peut-être pas dans toutes les règles sacrées : on murmure déjà qu’il a acheté certains votes, usant allègrement de simonie, mais peu importe, la fin justifie les moyens et le cardinal d’origine espagnole, dont la vie privée est plus que sulfureuse devient le 214ème souverain pontife. Le 26 août suivant, il est couronné officiellement et prend le nom d’Alexandre VI.

    • Rodrigo Borgia, après beaucoup d'intrigues, devient Alexandre VI 

     

    Histoire des Borgia - Roman-Historique.fr

    Cardinal depuis 1456, Borgia a eu le temps, avant d’accéder à la distinction papale, de devenir un personnage incontournable de l’Eglise catholique, gravissant patiemment les échelons – il faut dire qu’il s’est vu confier son premier poste ecclésiastique dès l’âge de quatorze ans - et hissant sa famille originaire de Valence, en Espagne (le nom Borgia est la forme italianisée du nom Borja) au rang des plus éminentes familles romaines et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne s’est pas illustré par son exemplarité, menant joyeuse vie et entretenant des maîtresses au vu et au su de chacun. Devenu Alexandre VI, il sera ainsi le premier pape à reconnaître officiellement ses enfants naturels (parmi ceux-ci, les plus célèbres sont probablement César, Juan et Lucrèce Borgia, nés entre 1474 et 1480) refusant de se livrer encore à une hypocrisie qui a cours depuis bien longtemps dans l’Eglise catholique et qui veut que les grands prélats présentent leurs enfants naturels sous le doux euphémisme de neveux ou de nièces, même si personne n’est dupe. Il sera peut-être aussi celui qui les élèvera, au même titre que les plus grandes familles régnantes de l’époque, aux plus hautes distinctions : son fils Juan sera ainsi fait duc de Gandie et gonfalonier avant d’épouser l’aristocrate espagnole Maria Enriquez de Luna apparentée à Ferdinand d’Aragon, son benjamin Joffre né en 1481 devient duc de Squillace en épousant la fille naturelle du roi de Naples et son unique fille Lucrèce, comme les princesses européennes qui sont ses contemporaines se voit destiner à des mariages arrangés et avantageux pour que son pape de père puisse nouer ou consolider des alliances.
    Mécène (Alexandre VI est connu pour avoir été le protecteur du peintre Pinturrichio à qui il confia la décoration de ses appartements privés au Vatican) et bon administrateur, Alexandre VI devient pape à une époque qui marque un tournant pour l’Europe : le Moyen Âge est en train de s’effacer au profit de la Renaissance triomphante, qui a pris racine dans l’Italie du début du XVème siècle, notamment à Florence sous l’égide des Médicis, dont le plus célèbre représentant est mort, quelques mois avant l’élection de Borgia au pontificat : Laurent le Magnifique, qui disparaît le 8 avril 1492. Cette même année, les Rois Catholiques en Espagne prennent le dernier bastion maure et musulman qui subsiste dans la péninsule, Grenade, mettant ainsi fin à plusieurs siècles de « Reconquista » et d’occupation arabe en Espagne. Puis, Isabelle la Catholique pensionnera un navigateur génois, Christophe Colomb, pour ouvrir une route maritime et commerciale vers l’Asie par l’ouest…la suite, on la connaît : posant le pied sur l’île d’Hispaniola, Colomb sans le savoir vient de débarquer sur un continent encore inconnu des Européens, l’Amérique.
    En France, les Valois règnent, dans un pays apaisé depuis la fin de la guerre de Cent Ans et qui a connu une politique centralisatrice sous Louis XI qui a su renforcer, parfois aussi par une expansion territoriale violente, une puissance en perte de vitesse après la longue et épuisante guerre de Cent Ans, marquée également par une guerre civile et l’affaiblissement du pouvoir royal sous Charles VI. L’Angleterre, elle aussi, est en paix depuis quelques années, avec l’avènement d’une nouvelle dynastie en 1485, les Tudor, ce qui met fin à plusieurs décennies de guerre civile (la Guerre des Deux-Roses).
    Le règne d’Alexandre VI sur le trône de Saint-Pierre est marqué évidemment par le contexte politique et social de l’époque : le nouveau pape, dont la réputation sulfureuse n’est plus à faire, se heurte par exemple aux discours exaltés et haineux du moine prédicateur Jérôme Savonarole, qui tient la florissante ville des Médicis – Florence – sous sa coupe. La papauté ne viendra à bout de ce fou de Dieu que six ans plus tard, en le condamnant au bûcher en 1498. Entre temps, Savonarole a hérissé Florence de bûchers où les habitants sont contraints de porter tableaux et livres immoraux : Botticelli lui-même apportera certaines de ses œuvres pour les jeter sur le bûcher du moine exalté. En 1493, la bulle papale Inter cætera consacre la partition du Nouveau Monde entre l’Espagne et le Portugal : la première se voit attribuer la mainmise sur toute l’Amérique latine, à l’exception du Brésil qui, lui, devient terre portugaise. Cette bulle est définitivement entérinée en 1494 avec la signature du Traité de Tordesillas, entre Jean II de Portugal et les Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon.
    Le pape va devoir également gérer l’hostilité des grands seigneurs romains, qui tiennent la ville sous leur coupe et les Etats pontificaux, mal défendus, suscitent les appétits de ses voisins, Napolitains, Florentins ou même Vénitiens. Mais une plus grande menace encore plane au-dessus des Etats d’Alexandre VI : le jeune roi Charles VIII de France, peut-être poussé dans ses retranchements par le partage du Nouveau Monde entre les deux puissances de la péninsule ibérique, décide de faire valoir ses droits sur le royaume de Naples, hérités du roi René d’Anjou. Le jeune roi inaugure alors l’ère des « Guerres d’Italie », qui ne prendra fin qu’avec la signature du traité du Cateau-Cambrésis en 1559. La progression des armées françaises en Italie sera ainsi facilitée par les Colonna, famille romaine hostile aux Borgia. Lors du saccage de Rome par les troupes de Charles VIII, le pape sera même contraint de se réfugier au château Saint-Ange avec son fils César…

    • Les enfants terribles du Saint-Père

     

    Fichier:The Borgia Family by Dante Gabriel Rossetti.jpg — Wikipédia

    La famille Borgia par Dante Gabriel Rossetti

     
    Justement, il est impossible d’aborder le pontificat d’Alexandre VI sans parler de ses enfants, tant leurs destinées semblent intimement liées – à tel point que les auteurs qui tisseront la légende noire des Borgia insinueront que le pape entretenait une relation incestueuse avec sa fille Lucrèce. Nous l’avons vu, le pape n’hésite pas à reconnaître ses enfants et Alexandre VI s’entoure de sa progéniture et lui confie soit de hautes fonctions soit se servira d’elle pour consolider son pouvoir lorsque le besoin s’en fait sentir.
    En 1468 il a eu un premier fils, Pedro-Luis Borgia, qui est mort en 1488. Ce dernier est né de mère inconnue. La progéniture la plus célèbre du pape est celle issue de sa liaison avec Vanozza Cattanei, une jeune Romaine d’origine mantouane, qui n’est manifestement de haute naissance. Après avoir été la maîtresse du cardinal Giuliano della Rovere (le futur Jules II), elle rencontre Rodrigo Borgia en 1470 et lui donnera quatre enfants. Par la suite, lorsque la faveur de Vanozza décroît vers 1488, celui-ci s’éprend de la belle Giulia Farnese, issue d’une éminente famille italienne et dont le frère deviendra le pape Paul III. Réputée pour sa beauté, immortalisée par Raphael, elle est surnommée « la Bella » et donnera au moins une fille au pape, la petite Laura.
    Lorsque Borgia devient pape, les enfants qu’il a eus de sa maîtresse Vanozza Cattanei sont aux portes de l’âge adulte ou adolescents : ses fils aînés, Juan et César, ont dix-huit et dix-sept ans, ils sont de très jeunes hommes tout prêts à faire leur place dans le monde. Lucrèce est encore jeune, puisqu’elle a douze ans et reste dans le giron des femmes, bien qu’elle vive auprès de son père. Le petit Joffre quant à lui, a onze ans. Il est le moins connu de la fratrie.
    Les relations entre Juan Borgia et César ne sont pas bonnes : en effet, les deux frères entretiennent une sourde rivalité et se jalousent. Bel enfant plutôt grâcieux, on s’aperçoit vite que César nourrit une ambition identique à celle de son père. Ce dernier, désormais à la tête de la Chrétienté, nourrit de grands projets pour ses enfants et en particulier pour ses fils : à Juan il confie les affaires temporelles puisque celui-ci est fait capitaine général de l’Eglise et duc de Gandie. A César reviennent les affaires spirituelles : le but de ce dernier sera un jour d’accéder au cardinalat. La volonté du pape est-elle de créer une sorte de continuité dynastique ? On peut penser qu’en César, le pape voie ainsi son successeur, celui qui pourra parfaire son œuvre. Dès l’âge de sept ans – avant même que son père ne soit élu pape, donc – César est sacré protonotaire de la papauté et chanoine de la cathédrale de Valence. Les fonctions mirifiques ne font que s’accumuler par la suite : évêque de Pampelune à quinze ans, archevêque puis cardinal de Valence à dix-sept, César obtient en 1493 les évêchés de Castres et Elne puis est élu abbé de Saint-Michel de Cuxa l’année suivante. Ces hautes fonctions ecclésiastiques n’empêchent pas le jeune homme de mener joyeuse vie et d’entretenir des maîtresses – on lui prête près de onze enfants naturels. César mène grand train et plus encore lorsque son père devient pape. Toutefois, il n’est pas satisfait : relégué aux affaires spirituelles quand il n’aspire qu’aux conquêtes militaires, César entretient une sourde rancœur contre le duc de Gandie, encore une fois provoquée lorsque leur père fait Juan gonfalonier de l’Eglise en 1497. Il semble que leur rivalité est si violente qu’elle culminera cette année même dans un acte particulièrement tragique et irrémédiable.

    Giulia Farnèse — Wikipédia

    Notamment immortalisée par Raphael, Giulia Farnese, sœur du cardinal Alessandro Farnese, est la maîtresse la plus connue d'Alexandre VI

     

    • Lucrèce Borgia : fille chérie du pape, pion politique mariable à l'envi ou jeune femme dépravée aux appétits sexuels débridés ? 

     

     Les amours de Lucrèce Borgia : son frère et ses époux
    L’autre figure de la famille Borgia n’est pas le benjamin, Joffre, mais l’unique fille du pape, Lucrèce. Aujourd’hui encore, on ne sait pas à quoi elle ressemble, mais le peintre Pinturrichio l’a immortalisée sur les fresques des appartements privés d’Alexandre VI : elle apparaît comme une belle jeune fille aux longs cheveux, richement vêtue d’une robe de couleur foncée avec une cape rouge sur les épaules. Elle a un visage rond, des yeux qui semblent marrons, des traits fins. Si le pape semble nourrir une certaine affection pour sa première fille – sa fille Laura, née de Giulia Farnese, voit le jour en 1492 –, il ne perd pas de vue qu’elle est aussi un pion politique à utiliser le plus avantageusement possible. Ainsi, la pauvre Lucrèce dont les historiens aujourd’hui revoient la tenace légende noire, se voit fiancée, mariée ou démariée selon les desiderata de son père et de ses frères. Née en 1480 à Subiaco, Lucrèce reçoit une éducation assez soignée. D’abord confiée à sa mère, elle s’installe à l’adolescence dans le palais de son père, qui se fait alors passer pour son oncle et ne lui révélera la vérité que plus tard : Lucrèce passe alors sous la tutelle d’une cousine des Borgia, Adriana da Mila, qui supervise son éducation puis la maîtresse d’Alexandre VI, la belle Giulia lui tient lieu de confidente, d’amie et de tutrice officieuse. Elle a douze ans quand ses fiançailles avec don Gasparo de Procida sont cassées, au profit d’un premier mariage : Lucrèce va épouser Giovanni Sforza, seigneur de Pesaro. Ils ont quatorze ans d’écart et rien en commun mais en unissant sa fille à Sforza, Alexandre VI cherche à consolider l’alliance qu’il a nouée avec cette éminente famille du Milanais. Le mariage, décidé dès 1492 n’est célébré officiellement que l’année suivante et la jeune épouse apporte une dot de 31 000 ducats. Mais le mariage fait long feu et en 1497 le pape et César manœuvrent pour le faire finalement annuler pour le motif de non-consommation. Surtout, Sforza a entre temps perdu tout intérêt pour Alexandre VI et pour nouer une nouvelle union avantageuse, il faut délier Lucrèce et lui chercher un nouveau parti. Il semblerait que le pape et son fils aient d’abord pensé à faire assassiner Sforza mais abandonnent le projet.
    En 1498, Lucrèce se marie avec Alphonse d’Aragon, duc de Bisceglie et prince de Salerno, un fils bâtard du roi de Naples : il est le frère de Sancia, l’épouse du jeune Joffre. Très vite enceinte, Lucrèce donne naissance à un fils, Rodrigo. Mais à nouveau, son mari s’attire l’hostilité de son père et de son frère…la naissance d’un fils les empêche cette fois de faire annuler le mariage. Leur décision est donc radicale : en 1500, ils font assassiner Alphonse, suscitant la colère et la tristesse de Lucrèce, qui se brouille à cette occasion avec son frère. Il semblerait en effet que ce deuxième mariage ait été heureux et que Lucrèce se soit bien entendue avec Alphonse, un jeune homme de son âge, séduisant, cultivé et attentionné envers elle. Mais le deuil sera de courte durée pour elle : aussitôt libérée, elle redevient un bon parti que son père souhaite remarier au plus vite.
    Le troisième mariage qui sera célébré en 1501 sera celui qui émancipera définitivement Lucrèce de la tutelle paternelle et fraternelle : la jeune femme de vingt-et-un ans se marie avec Alphonse Ier d’Este, futur duc de Ferrare. C’est un mariage négocié de haute lutte et qui donnera du fil à retordre à Alexandre VI, le duc Hercule Ier d’Este considérant avec mépris ces Borgia qu’il ne voit que comme des parvenus. Quant à sa future belle-fille, il la voit comme une dépravée, ayant mené une vie de luxe et de luxure dans les palais de son père et ne semble pas ravi de la voir entrer dans sa famille. Et pour couronner le tout, Lucrèce est une bâtarde, c’est la tâche suprême pour le duc ! Mais finalement, le mariage se concrétise, malgré la dot faramineuse demandée par Hercule Ier. De grandes festivités sont organisées à Rome, réjouissances qui finissent d’ailleurs par déraper dans la licence la plus totale. D’abord, un festin destiné à cinquante courtisanes est donné dans les appartements du Vatican puis le pape offre un spectacle des plus surprenants et pour le plus grand plaisir de ses invités, installés aux balcons : la saillie de plusieurs juments par des étalons fougueux !
    Cette troisième union permet à Lucrèce de se « ranger ». A Ferrare, elle se distingue comme une véritable mécène, protectrice des arts et des lettres. Malgré une sourde rivalité avec sa belle-sœur Isabelle d’Este, il semble que ce mariage ait été relativement heureux et il se voit couronné d’ailleurs par la naissance de nombreux enfants. Lucrèce sera la dernière des Borgia à disparaître, en 1519, à l’âge de trente-neuf ans : mal remise d’un dernier accouchement, elle meurt d’une infection puerpérale.
    Nous l’avons vu, aujourd’hui les historiens nuancent voire remettent complètement en cause la légende noire des Borgia qu’ont entretenue de nombreux auteurs depuis le XVIème siècle : Lucrèce n’est plus désormais présentée comme une jeune femme dépravée et à la vie sexuelle débridée, qui aurait entretenu des relations incestueuses avec son père ou avec son frère. On la présente essentiellement comme une mécène avertie et comme le pion des ambitions de son père. A-t-elle eu des amants comme on le prétend parfois ? A-t-elle, à seize ans, succombé aux charmes du jeune napolitain Perrotto Calderon, qui aurait été le père d’un enfant naturel (le fameux Infant Romain que certains ont vu comme le fils du pape et de sa propre fille) ? Le mystère demeure.

    • La rivalité entre Juan et César culmine dans une tragédie irréparable

     

                                        Giovanni Borgia (1474-1497) — Wikipédia César Borgia — Wikipédia

    Mais revenons-en à la rivalité des deux fils aînés : alors que Joffre a été marié à une fille bâtarde du duc de Naples, Sancia et titré duc de Squillace, les deux aînés continuent de se mesurer dans un véritable choc des titans. Lequel en sortira vainqueur ?
    César, confiné dans ses prérogatives religieuses le supporte de plus en plus mal et sa haine envers son frère aîné n’a plus de limites. Surtout, le jeune homme supporte mal l’indulgence de leur père envers Juan. A-t-il comme on le dit commandité l’assassinat de son frère ? Toujours est-il qu’en 1497, le fils aîné du pape est retrouvé mort, vraisemblablement assassiné, dans les eaux du Tibre. La douleur du pape est spectaculaire : Alexandre VI s’enferme dans ses appartements du Vatican pour y pleurer son fils. Le cadet, lui, qu’il ait été coupable ou non, voit probablement cette disparition comme une libération : enfin, le caillou dans sa chaussure qu’était son aîné, médiocre meneur d’hommes et bien trop protégé par leur père, n’existe plus. César va pouvoir laisser libre cours à son ambition et devenir à son tour le soutien de la papauté avec, il le sait, bien plus d’efficacité que n’en a eu Juan. En juillet 1497, César en qualité de légat du pape part pour Naples où il assiste au couronnement du roi Frédéric d’Aragon. Il ne revient à Rome qu’au début du mois de septembre et fait alors une demande spectaculaire mais peu surprenante à son père : il souhaite abandonner ses charges ecclésiastiques pour revenir à l’état laïc. C’est chose faite en août de l’année suivante, à la suite d’un consistoire pendant lequel Alexandre VI propose la laïcisation de son fils, qui est le premier cardinal de l’histoire à abandonner sa fonction. Très à l’aise devant les cardinaux, César Borgia argumente avec brio, faisant valoir son absence de vocation. Même s’ils y sont opposés, les cardinaux n’ont d’autre choix que d’accorder au fils du pape ce qu’il veut. On dit alors que César dépose sa cape de cardinal devant le consistoire et part aussitôt rencontrer le chambellan du roi de France, Louis de Villeneuve, pour négocier une alliance avec la France contre le duc de Milan (du roi Louis XII, César recevra le titre de duc de Valentinois cette même année 1498). Enfin, César peut vivre son rêve, à savoir mener des missions diplomatiques et militaires comme il l’a toujours souhaité.
    En cette année 1497, la gloire de César Borgia commence. Contrairement à une idée reçue, il n’est pas le modèle du Prince de Machiavel mais s’entretient probablement de nombreuses fois avec lui et sera sans nul doute l’un des personnages les plus importants de cette première Renaissance : en 1499, César se marie avec Charlotte d’Albret, dame de Châlus et sœur du roi Jean III de Navarre. Ils auront une fille, Louise Borgia, dite Louise de Valentinois. Ce mariage est censé consolider l’alliance entre papauté et royaume de France. Par la suite, il s’illustrera sur plusieurs champs de bataille des Guerres d’Italie et se verra même offrir un véritable triomphe à l’antique par son père en 1500 après qu’il ait définitivement vaincu les Sforza. Cette même année, César devient capitaine général et gonfalonier de l’armée papale. Rien ne semble plus l’arrêter.

    Bénéficiant du soutien total du pape, l’ambition de César n’a plus de limites. Il décide de se tailler un véritable « royaume » en Romagne et, pour ce faire, en chasse les petits seigneurs dont les familles parfois y sont implantées depuis des siècles. Mais le fils du pape n’en a cure : auréolé par ses victoires militaires, il se prend véritablement pour un nouvel empereur de Rome, faisant graver sur son épée la devise « aut caesar, aut nihil », « Ou César, ou rien », devise volontairement sibylline qui fait référence tant à son prénom qu’au titre porté par les empereurs romains de l’Antiquité.
    En 1502, c’est vers la riche Toscane que César Borgia tourne son regard, inquiétant d’ailleurs les Florentins. Mais l’empire des Borgia touche à sa fin et c’est un colosse aux pieds d’argile. Les qualités de César en tant que général ou homme d’Etat ne sont rien sans la puissance de son père, qui le soutient en tout et bientôt, tout ce que César a patiemment bâti ces dernières années va s’effondrer comme château de cartes, avec la disparition du pape.

    • Onze ans après après l'accession d'Alexandre VI, le début de la fin...

     

    Une autre vision des Borgia

    Le pape Alexandre VI présente Jacopo Pesaro à Saint-Pierre par Le Titien (1502-1510)

     
    En effet, personne ne le sait, mais le pontificat d’Alexandre VI touche à sa fin. Le 10 août 1503, père et fils sont invités à un banquet chez Adriano di Castello, un cardinal nouvellement nommé. Au cours du repas, plusieurs convives tombent malades, se plaignant de violentes douleurs. C’est le cas du pape et de César, qui quittent la réception sérieusement malades : Alexandre VI meurt huit jours plus tard. Averti, son fils envoie son fidèle homme de main, Michelotto Corrella, piller les caisses du Vatican avant d’officialiser la mort du pape. Toujours malade, César n’a pas pour autant abandonné ses vieilles ambitions et il essaie d’assurer financièrement ses arrières. Mais c’est peine perdue : le fils d’Alexandre VI ne parvient pas à faire pression sur le conclave pour faire désigner un pape à sa solde et, dans la foulée, la Romagne se révolte contre lui. De plus, César Borgia n’a plus de soutiens à Rome : le successeur d’Alexandre VI, Pie III, s’était montré relativement neutre entre le clan Borgia et le clan della Rovere qui, maintenant qu’Alexandre VI est mort, laisse libre cours à sa rancune. Mais le pape meurt un mois seulement après son investiture : celui qui lui succède au trône de Saint-Pierre, sous le nom de Jules II, est un della Rovere, ennemi irréductible d’Alexandre VI et de César.
    Ce dernier a quitté Rome pour la Romagne, où il veut mater la révolte qui a éclaté après l’annonce du trépas d’Alexandre VI. Sur la route, César est capturé près de Pérouse et jeté en prison. Jules II va alors patiemment dépecer le domaine de César, soit en rattachant certaines terres aux Etats pontificaux (Imola) soit en rétablissant dans leurs droits ceux que César avait spoliés, comme les seigneurs de Rimini et de Faenza. En janvier 1504, Jules II accepte enfin de libérer son rival, à la condition qu’il abandonne toutes ses terres. César choisit alors de s’embarquer pour Naples mais il y est à nouveau arrêté par le gouverneur espagnol, Gonzalve de Cordoue, qui le considère comme un allié du roi de France et donc comme une menace pour le royaume de Naples. Livré à Ferdinand II d’Aragon, contre lequel il avait combattu avec Louis XII, César est d’abord emprisonné à Chincilla puis à Medina del Campo. Il s’évade en octobre 1506 et parvient à rejoindre Pampelune, en Navarre : là il peut se réfugier à la cour de Jean III, qui est son beau-frère. Ce dernier le nomme capitaine général de ses armées et César part combattre le comte de Beaumont à Viana. Là, il tombe dans une embuscade et meurt à l’âge de trente-et-un ans le 12 mars 1507. Il est inhumé dans l’église de Santa Maria de Viana, aujourd’hui en Navarre espagnole.

    • Une légende noire tenace mais aujourd'hui nuancée par l'historiographie

     

    Lucrèce Borgia (Hugo) — Wikipédia

    Tableau de Victor Boulanger représentant la Scène de l'affront, tirée de la pièce Lucrèce Borgia de Victor Hugo

    Le pontificat d’Alexandre VI est essentiellement connu grâce au témoignage considéré comme l’un des plus crédibles, du grand cérémoniaire Johann Burchard, qui a laissé un précieux journal, intitulé Liber notarum et souvent étudié par les historiens ayant travaillé sur les Borgia. Dans le même temps, une légende noire se développe, accusant les Borgia de tous les maux et dont même Victor Hugo plusieurs siècles plus tard se fera le chantre, dans sa pièce Lucrèce Borgia, décrivant la fille du pape comme une croqueuse d’hommes menant une vie débridée et mère d’un bâtard dont elle tombe amoureuse avant de se rendre compte avec horreur qu’il est son fils. Les Borgia sont aussi souvent accusés d’avoir été des empoisonneurs, usant d’une mixture extrêmement toxique de leur invention, appelée la « cantarelle », que César Borgia aurait conservé en permanence sur lui grâce à des bagues à poison. 
    L’historiographie contemporaine tend à considérer aujourd’hui les Borgia comme ni plus ni moins dépravés ou criminels que les plus éminentes familles de l’époque : s’il est à peu près certain que le pape et son fils firent assassiner le second époux de Lucrèce et si nous n’avons aucun doute quant à la paternité du pape ni même sur l’identité des mères de ses enfants (Vanozza Cattanei et Giulia Farnese entre autres), il est aujourd’hui couramment admis que Lucrèce n’entretint probablement aucune relation incestueuse avec son père ou son frère. L’enfant naturel qu’on lui prête, qui serait né vers 1496 et pourrait être le fruit de ses amours avec le jeune camérier (Giovanni Borgia surnommé l’Infant Romain ou Infans Romanus) est plus vraisemblablement un bâtard d’Alexandre VI ou un fils de César, reconnu par le pape mais dont les mystères entourant la naissance ont entretenu les plus folles – et les plus basses – rumeurs.
    Mais cette légende tenace a marqué durablement l’Histoire, faisant naître instantanément dans nos esprits, lorsqu’on évoque les Borgia, l’image d’une famille à l’existence trouble, prête à tout pour assouvir ses ambitions et n’hésitant pas à avoir recours au poison et au poignard pour parvenir à ses fins dans une Rome décadente et corrompue, à l’image de son Eglise qui, quelques années plus tard, devra affronter le violent mouvement de la Réforme luthérienne. Héros de romans, de films ou de séries télévisées, les Borgia nourrissent encore l’imaginaire de la fiction de nos jours.

     © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour aller plus loin : 

    - Les Borgia, Ivan Cloulas. Biographie.
    - La splendeur des Borgia, Henri Pigaillem. Roman historique. 
    - Le serpent et la perle / La concubine du Vatican, Kate Quinn. Romans historiques. 
    - Trilogie Francesca : Empoisonneuse à la cour des Borgia / La trahison des Borgia / Maîtresse de Borgia, Sara Poole. Romans historiques. 
    Lucrèce Borgia, Joachim Boufflet. Biographie. 

     


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